Chapitre 44 : Les secours
La tempête dura trois jours pendant lesquels les caravaniers, bloqués dans la forêt, affrontèrent les éléments déchaînés. Les arbres les protégeaient du vent, mais pas de la pluie. Les voyageurs n’était pas équipée pour faire face à de telles intempéries. Elle ne disposait que de tentes, inutilisables dans les circonstances actuelles. Dans ce genre de situation, elle était censée se trouver à l’abri dans un refuge. C’était le rôle du chef de convoi que de se renseigner sur la météo à venir et prendre les précautions nécessaires pour éviter de se faire surprendre. Mais ce dernier les avait trahis. Il les avait livrés aux Sangärens.
Des auvents avaient été tendus devant les entrées des chariots. Mais l’eau qui ruisselait sur le sol avait transformé la terre située en dessous en une boue collante. Ils s’étaient tous retrouvés cloîtrés dans les abris de toile qui couvraient les véhicules. Mais chargés, ceux-ci se montraient bien inconfortables. Les deux vides s’étaient révélés insuffisants pour accueillir tout le monde, les autres se blottirent entre les tapisseries précieuses. Roulées comme elles l’étaient, elles manquaient de souplesse. Mais c’était mieux qu’à l’extérieur. De temps en temps, un garde, en général le perdant au jeu, sortait nourrir les chevaux.
Enfin, le vent se calma, la pluie cessa et le soleil se montra. Le remplaçant de Frallo le traître – Naim n’arrivait jamais à retenir son nom – examina le campement. Les roues n’étaient enfoncées que jusqu’à la jante. Rien de grave. Ils pourraient quitter l’endroit facilement une fois que le sol aurait un peu absorbé toute l’eau. Ils étaient bloqués ici un jour de plus. Mais ils avaient subi des dégâts. Le chariot abandonné sur la plaine devrait être réparé avant de reprendre la route. Et deux chevaux devaient recevoir de soins. Sans compter les blessés de l’attaque sangären qui n’avaient pas pu être traités correctement. Ils avaient besoin d’aide.
Le chef envoya Corist chercher du secours à l’auberge suivante sur leur trajet. La caravane aurait dû l’atteindre au bout de deux jours de voyage. Un cavalier seul se déplacerait plus rapidement. Il mit quand même trois jours pour revenir.
Le lendemain de son départ, le marchand convoqua Naim. Il l’attendait devant son propre chariot.
— On m’a dit que vous désiriez me voir, dit-elle en se présentant devant son employeur.
— Je voulais te remercier. Sans toi, nous serions tous morts maintenant.
— C’est bien normal. C’est pour ce genre de chose que vous me payez.
— Je payais aussi Frallo pour ça. Cela ne l’a pas empêché de nous vendre.
— Que va-t-il devenir à votre avis ?
— Il a organisé un raid sangären sur le territoire de l’Helaria en plein sur une route protégée. Il va avoir la moitié des guerriers libres à ses trousses.
— La moitié seulement ?
— Le reste se lancera aux trousses des Sangärens pour leur ôter l’envie de recommencer une telle chose. Cela fait plus de vingt ans qu’ils n’avaient pas agressé la Pentarchie. Ils ne vont pas laisser passer ça.
— Frallo va certainement se perdre dans les terres sangärens, l’Helaria ne le retrouvera jamais.
— Ça vaudrait mieux pour lui pourtant. Son raid a échoué, les nomades ne lui feront aucun cadeau. S’ils mettent la main sur lui les premiers, ils l’égorgeront. Rapidement s’il a de la chance. Le seul moyen qu’il ait de s’en sortir est de rester dans la forêt pour atteindre un pays où aucune des deux forces ne pourra le débusquer.
Un ange passa. Chacun pensait au sort qui attendait le traître. Un frisson secoua Naim.
— Le Salirian serait une bonne planque, reprit-elle.
— Ça serait la pire au contraire. L’État s’y montre tellement défaillant que chacune des deux factions pourrait l’exécuter sans que personne trouve à y redire. Mais assez parlé de ce monstre. C’est de toi qu’il s’agit.
— Vous vouliez me remercier ? En général, on me dit toujours qu’on ne sait pas comment me remercier tellement ce que j’ai accompli est extraordinaire, plaisanta-t-elle.
— Eh bien, en fait, je sais comment.
Il décrocha le panneau de côté du chariot. Elle n’avait pas remarqué qu’il était amovible. Il semblait pourtant cloué à l’avant et à l’arrière. Mais il s’agissait de leurre, le métal ne traversait pas les planches. Il masquait un espace suffisamment grand pour qu’un humain de taille normale y tînt à l’aise. De l’extérieur, on ne voyait absolument pas qu’il existait.
— Je ne comprends pas, s’étonna-t-elle.
— En première intention, je voulais te livrer aux Helariaseny pour toucher la récompense.
— Pourquoi ?
— Tu es bien Bruna, originaire de Tolos en Nayt ?
Naim sursauta. Comment connaissaient-ils le nom de sa famille ? En y réfléchissant un peu, cela n’avait rien d’extraordinaire. Avec ses sœurs, elle partageait une silhouette facilement identifiable. Il devait être aisé pour un guerrier libre résolu de remonter jusqu’à l’acte de vente. Et vu son crime, ils devaient être sur les dents.
— Je m’appelle Audham, pas Bruna. J’ignore qui est cette Bruna.
Son hésitation n’avait pas échappé au marchand. S’il avait encore eu des doutes, ils venaient de s’envoler.
— Audham, ou Bruna, ou quel que soit le nom que tu te donnes, je pensais te vendre aux Helariaseny, à Ruvyin.
— Et vous ne comptez plus le faire ?
— Je ne peux pas. Tu m’as sauvé la vie. Tu nous as tous sauvé la vie. À la place, je t’offre le passage vers l’Yrian. Pendant la fouille, tu voyageras là-dedans. Quand nous aurons traversé la frontière, je viendrai te libérer.
— Pourquoi ne m’avez-vous pas dénoncé à Kushan ?
— Le profit. Ta côte augmente. Plus le temps passe, plus la récompense est élevée. Elle se montait à plus de dix mille drirjety à Kushan. Elle aura doublé d’ici à ce qu’on arrive à Ruvyin.
Elle l’aida à refermer la cachette. En même temps, elle essayait de convertir la somme en cels. Cela faisait… beaucoup. Elle ne pouvait pas être plus précise. Elle avait du mal avec des nombres aussi grands.
— Une fois hors du pays, je te conseille de te planquer. Ne sors plus de ton trou jusqu’à ce que cette affaire se calme.
Elle ne répondit pas. Elle ne possédait aucun contrôle sur cet aspect de sa vie. Si Brun la renvoyait sur les routes, elle n’aurait pas d’autre choix que de lui obéir. Sinon, le contrat qui les liait serait brisé et il n’aurait plus aucune obligation vis-à-vis de sa sœur qui resterait esclave à vie.
— Si ton crime n’est pas trop grave, je te conseille de te rendre. Si ton procès avait lieu sans que tu y participes, tu ne pourrais pas te défendre et tout guerrier libre que tu croiserais pourrait appliquer la sentence, quelle qu’elle soit. Mais la valeur de la récompense me laisse penser le contraire.
— J’ai tué une personne, expliqua-t-elle.
— Alors, trouve-toi une cachette et n’en sors plus. L’Helaria ne se montre pas tendre avec les assassins étrangers.
Il la salua puis retourna vaquer à ses affaires. Il avait un chargement à contrôler.
Quand Corist revint, il n’était pas seul. Un charron avec un essieu de rechange et un médecin l’accompagnaient. Fort heureusement, aucun guerrier libre ne logeait à l’auberge. Sinon, il n’aurait pas manqué de les escorter et Naim aurait dû finir le voyage dans sa cachette. Pendant l’attente, les chevaux et les hommes s’étaient reposés, les affaires étendues au soleil et les véhicules réparés. Ils étaient prêts à reprendre la route. En fait, ils avaient même hâte de quitter cet endroit. Que la terre sèche suffisamment pour qu’ils pussent allumer un feu avait nécessité plus d’une journée. Tout le monde rêvait d’une vraie chambre avec un vrai lit et une vraie bière bien fraîche autour d’une table avec les copains. Aussi, quand il fallut soulever le chariot accidenté pour lui changer l’essieu, de nombreux voyageurs se portèrent volontaires.
Enfin, quelques monsihons après l’arrivée des secours, ils purent repartir.
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