Chapitre 47 : Le retour
Il ne fallut qu’un peu moins de deux douzains à Naim pour rentrer en Orvbel. Sa première action fut de rendre visite à Brun pour déposer son rapport. Elle détailla toute son enquête et n’oublia pas le fait que Biluan avait grillé sa couverture. Quand il la libéra, ils étaient au début du mitan. Dursun devait être en train de s’occuper de son potager. Elle irait la voir après. Mais pour le moment, elle cherchait sa sœur. Selon la personne qui la surveillait, elle pouvait se situer n’importe où. Toutefois, cette période très chaude de la journée n’était pas propice aux activités physiques. Elle la débusquerait certainement près d’un endroit où se rafraîchir. Elle décida de commencer par la salle des tempêtes, puis si elle s’était trompée, elle irait essayer à la plage. Elle la dénicha dans le premier des deux lieux. Maintenant qu’Elya avait des amies de son âge, elle trouvait beaucoup plus amusant d’y patauger. Elles étaient suffisamment jeunes pour qu’elles pussent réellement y nager alors que ses aînées ne pouvaient vraiment se baigner que dans l’océan. Elle s’attendait à voir Deirane ou Dovaren en sa compagnie, mais elles étaient sous la surveillance d’un vieil homme qu’elle ne connaissait pas.
Après de très longues retrouvailles, à la mesure de son absence, elle se mit en quête de Deirane. Ard lui avait expliqué qu’à cette heure de la journée, elle se reposait dans un endroit ombragé, certainement sur la terrasse surplombant la mer. Effectivement, ce fut bien là qu’elle la découvrit. Un dais protégeait les lieux des ardeurs de Fenkys, et le vent marin, à défaut de le rafraîchir, le rendait respirable. Naim, originaire de la Nayt, trouvait la chaleur de l’été pénible. Et Ortuin, d’où venait Deirane, outre le fait de se situer encore plus au nord, se situait à proximité des montagnes. Elle ne fut pas surprise de la découvrir étendue sur une banquette en train de somnoler, assommée par la canicule.
Deirane ouvrit les yeux en la sentant près d’elle. Elle regarda un moment la géante.
— Naim. Tu as fait bon voyage ? demanda-t-elle.
— Très intéressant. Je suis sûre que tu vas aimer.
— Qu’as-tu trouvé qui pourrait me plaire ?
— Le nom de Ternine te dit-il quelque chose ?
— Absolument pas. Qui est-ce ?
— C’est un Salirianer qui a travaillé un temps pour l’Orvbel en tant que découvreur.
— Et qu’a-t-il découvert ?
— Plein de choses. En particulier une jeune paysanne au corps incrusté de diamants et d’or.
Deirane se redressa sur ses coudes, soudain intéressée.
— Est-ce lui qui m’a vendu à Brun ?
— Oui et non. Il a essayé. Mais Brun l’a trahi. Du coup, il est allé tout raconter aux pentarques d’Helaria.
— Donc ils savent où je suis.
— En fait non.
Elle chercha ses mots un long moment.
— Ternine a changé de camp avant que le plan pour ta capture ne soit mis en œuvre. Il en ignorait les détails. Les guerriers libres sont persuadés que l’Orvbel avait bien l’intention de t’enlever, mais que la Nayt l’a coiffé au poteau.
— Mais pourquoi pensent-ils ça ? C’est ridicule.
— Tous les indices accusent la Nayt. Jusqu’à l’usage de Jevin que Brun n’aurait jamais employé, car ils se détestent.
— Mais Jevin et Brun sont frères. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’ils s’adorent, mais ils se respectent.
— Ils ont réussi à cacher ce fait.
Naim s’assit sur le bord de la banquette. Deirane réfléchissait à toute vitesse.
— Si ce Termine…
— Ternine.
— Si ce Ternine est passé à l’Helaria, ils doivent savoir pour les petits trafics de Brun. Ça va lui porter préjudice. Il va être furieux, ajouta-t-elle avec un sourire.
— Il n’en sait rien. Dans mon rapport, Ternine est mort sans avoir parlé. La découverte de l’implication d’Elvangor dans l’organisation de Brun ne serait que le fruit du hasard. Après tout, avant la guerre civile, Elvangor était la plus grande cité edoriane du pays, voire du monde. Je ne vois rien d’étrange à ce que les pentarques commencent leur pacification par celle-là. Le seul vrai rapport, c’est toi qui l’as.
— Mais pourquoi ?
— Ce que tu as fait pour Elya.
— C’était normal.
— Pas ce qui a suivi. Tu as payé très cher l’aide que tu lui as apportée. Je ne pourrai jamais te rembourser, mais je vais essayer.
— Mais comment l’as-tu su ? J’aurai parié que Brun aurait exigé son rapport avant de te laisser rencontrer qui que ce soit.
— Il l’a fait. Mais ça parle en ville. Même s’ils ne connaissent pas les détails, ils savent qu’une fillette a été agressée dans le harem. Et elles sont peu nombreuses. Le reste, Elya me l’a raconté tout à l’heure. Mais j’en avais appris assez pour prendre ma décision.
La géante enlaça la petite femme, la serrant contre elle. Deirane était surprise de ce geste qui lui ressemblait si peu. Au bout d’un moment, elle tenta de se dégager.
— Tu me fais mal, protesta-t-elle.
— Excuse-moi. Je ne connais pas ma force.
Elle la lâcha, libérant les côtes meurtries de l’Yriani. Puis elle se recula, examinant son visage finement ciselé.
— Si tu as besoin de quoi que soit, proposa Deirane, n’hésite pas à demander.
— Tu as déjà accompli beaucoup. C’est à mon tour de t’aider.
— Je ne sais pas comment Brun nous espionne, dit-elle, tu n’aurais pas une idée ?
— Hélas non, mais je pense ne pas me tromper de beaucoup en estimant que c’est lié au passé feytha de cet endroit. Je suis plus libre que toi, si tu veux je peux fouiner un peu. Rien d’autre ?
— Si. Je cherche aussi un moyen d’entrer et sortir de ce palais. Avec Ard, on comptait utiliser les passages secrets, mais je n’en connais qu’un. Toi, comment rentres-tu sans que personne te voie ?
— Déplace-toi des couloirs de service, proposa la Naytaine. Il existe tout un labyrinthe en sous-sol. Il permet aux domestiques d’aller partout discrètement.
— Vers l’extérieur aussi ?
— Bien sûr. Sinon comment les denrées entreraient-elles dans le palais ?
Deirane était surprise. Cela lui semblait une faille dans la sécurité.
— Mais ce n’est pas facile, reprit Naim. Les accès à ce réseau sont protégés. Il faut un bracelet spécial que tu n’as pas.
La guerrière leva son poignet, montrant la bande noire et lisse qui le ceignait.
— Ce sésame permet d’ouvrir quelques portes.
— Ça veut dire que tu pourrais faire entrer ou sortir quelqu’un ?
— Non, ce passe ne fonctionne que sur certaines d’entre elles. Le mien par exemple me donne accès au palais en passant par la caserne des gardes rouges. La sentinelle de faction me repérerait immédiatement. Et pour gagner le harem, je dois faire appel aux eunuques.
— Mais d’autres bracelets ouvrent d’autres portes ?
— Je suppose. La nourriture ne rentre pas par la caserne.
Naim se leva pour partir.
— Puisque je suis de retour, on reprend l’entraînement. Je t’attends au neuvième monsihon à l’endroit habituel.
— On ne l’a jamais arrêté. Orellide nous a fourni un professeur de combat.
— Je vais devoir examiner ça en détail.
Deirane esquissa un sourire. Quand elle allait découvrir que quelques concubines indépendantes s’étaient mêlées au groupe, elle allait être surprise. Mais il y avait plus urgent.
— Il faudrait que tu ailles voir Dursun, dit Deirane, elle veut te parler.
— Ça tombe bien. Je comptais la rencontrer. Elle travaille à son potager ?
— Oui, en compagnie de Nëjya.
Deirane la regarda s’éloigner un instant avant de reprendre sa position allongée sur sa couchette. Elle réfléchissait à ce qu’elle venait d’apprendre. Ainsi, elle savait qu’on pouvait aller partout dans le palais et même en sortir, si on disposait du bon bracelet. Mais les domestiques de l’extérieur et ceux du harem étaient séparés et ne pouvaient pas se mélanger. Il fallait bien que les deux groupes se rencontrassent à un moment, pour qu’ils pussent s’échanger les biens. Sinon les concubines ne tarderaient pas à mourir de faim. Elle allait devoir parler à Loumäi. Peut-être savait-elle comment les choses fonctionnaient.
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