Chapitre 57 : Le message. (2/3)

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Brutalement, elle se mit à crier.

— Les dauphins, hurla-t-elle, si vraiment vous êtes le huitième peuple de l’Helaria, j’ai un message pour les pentarques.

Elle poussa le corps à l’eau vers l’océan. Il ne coula pas, maintenu à la surface par les gaz dégagés par sa décomposition. Le courant, rapide à cet endroit, l’entraîna vers l’est. Il ne demeura visible qu’un bref instant. Pendant un temps plus long, on pouvait deviner une ombre qui se déplaçait.

— Je suis Deirane, je suis amie de Calen et de Saalyn. Je suis retenue prisonnière en Orvbel. Allez dire ça aux pentarques.

Elle surveilla ce qu’elle pensait être les restes de Biluan. Dans l’obscurité, elle ne pouvait en être sûre.

— À l’aide, au secours. Venez me chercher, lança-t-elle une nouvelle fois.

Elle s’assit sur le sommet de la colonne.

— Venez me chercher, dit-elle tout bas. Ne me laissez pas ici.

Les derniers mots furent prononcés dans les larmes. Dursun enlaça son amie. Elle essaya de la réconforter. Mais les sanglots ébranlaient le corps frêle. Les paroles ne parvenaient pas jusqu’à elle. Elle se contenta de la bercer un court instant. Mais le temps les pressait. Elles devraient rentrer avant que les gardes ne déverrouillassent le pont.

Malgré ses appels, elle ne réagissait toujours pas. L’Aclanli finit par la secouer plus violemment. En vain. En désespoir de cause. Elle lui asséna brusquement une paire de gifles. Deirane se crispa sur la défensive. Elle regarda son amie, surprise, une lueur d’appréhension dans les yeux.

— On doit rentrer, Nëjya et les filles ne retiendront pas les gardes éternellement. Le pont va se baisser.

— Et si on ne retournait pas au harem, lâcha Deirane, si je me jetais à l’eau et que je laissais les dauphins me récupérer.

— Ils ne retrouveraient qu’un cadavre. Tu te noierais dans ces tourbillons. À moins que tu ne finisses fracassée contre les rochers. Tout a été prévu pour que personne ne puisse partir par là.

— Et ça serait si grave si je disparaissais ? Tous ceux pour qui je comptais me croient morte. Je ne manquerais à personne.

— À moi, tu me manquerais.

Deirane remarqua la voix vibrante de son amie. Elle aussi était sur le point de pleurer.

— J’ai perdu tous mes proches. Ma sœur n’est plus là. Si tu disparaissais à ton tour, qui s’occuperait de moi.

— Nëjya ?

— Nëjya ce n’est pas pareil. C’est mon amante. On se donne du plaisir ensemble. Mais aujourd’hui, c’est toi ma famille. Et puis, qui prendrait soin des nièces de Dovaren. Tu es leur mère maintenant. Sans toi, elles seraient orphelines une deuxième fois. Nous avons besoin de toi.

Elle se tut un instant avant d’ajouter :

— J’ai besoin de toi.

Elle regarda la surface de la mer, agitée par les courants contraires qui créaient des tourbillons.

— Si tu sautes, je saute avec toi. Et on y reste toutes les deux.

Dursun pleurait pour de bon maintenant. Deirane lui prit le visage entre les mains. Elle sécha une larme du pouce. Puis elle lui déposa un baiser sur le front.

— J’ignorais que je comptais tant pour toi.

Dursun répondit d’un petit sourire triste.

— On rentre. De toute façon, l’océan est trop froid. Qui sait combien de temps j’y resterai à grelotter si je me noyais.

Deirane se laissa glisser à l’eau. Dursun ne tarda pas à l’imiter.

Maintenant qu’elles ne traînaient plus le corps, la nage était devenue plus facile. Deirane put admirer la grâce avec laquelle sa compagne glissait sur l’eau. Elle nageait comme un caillou avait-elle dit. Un caillou sacrément doué en tout cas. Dès qu’elles repassèrent entre les parois de la crique, les courants s’atténuèrent et c’est dans une eau calme qu’elles rejoignirent la plage. Elles ne mirent que quelques stersihons pour ça.

Aussitôt qu’elles prirent pied sur le sable, elles s’égouttèrent. Prise d’une impulsion, Dursun enlaça Deirane en une brève étreinte. Puis elle s’éloigna un peu gênée. Deirane lui attrapa le poignet pour la ramener vers elle. Les bras autour de la taille, elle la maintint contre elle le temps de lui déposer un autre baiser sur le front avant de la libérer.

— Il faut y aller maintenant, dit-elle.

Dursun hocha la tête.

Deirane ne se montrait pas très enthousiaste à l’idée de s’habiller mouillée. Mais elle n’avait pas le choix. Elle n’avait pas prévu de serviettes et le temps les pressait. Elle ne savait pas si le passage resterait praticable encore longtemps. En tout cas, de leur point de vue, le pont paraissait en place. Elle se secoua pour faire tomber le maximum d’eau, tordit ses cheveux pour les essorer, mais elle ne pouvait accomplir plus. L’Aclanli n’était pas mieux lotie qu’elle. Elle enfila sa tunique qui collait désagréablement à la peau.

Deirane invita Dursun à passer devant elle. Elles commencèrent à grimper l’escalier qui les ramènerait au harem.

Alors qu’elles venaient de dépasser la moitié du chemin vers l’obstacle qu’elles craignaient tant, elles entendirent des bruits de claquement.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Deirane.

— Ils déverrouillent le pont, il faut se dépêcher, répondit Dursun.

Elles se mirent à courir. Tant que les chaînes demeuraient en place, elles encore pouvaient passer. Mais elles devaient atteindre le pont avant qu’elles fussent détendues, ce qui était une question de vinsihons. Le pont semblait hors de portée. Il paraissait toujours utilisable, mais c’était trompeur. Si elles arrivaient trop tard, il se soustrairait sous leurs pieds. Après la nage qu’elles venaient d’accomplir, elles étaient épuisées. La course représenta le coup de grâce. Deirane n’avait plus de souffle. Elle avait l’impression que ses poumons allaient exploser. Ses jambes se dérobaient tous les quelques pas.

Enfin, elles atteignirent la moitié de l’escalier. L’obstacle tant redouté se retrouva devant eux. Elles ne réfléchirent pas et s’engagèrent dessus sans ralentir.

Au début, il tint bon. Elles allaient réussir. Soudain, elle le sentit s’effondrer sous ses pieds. Il basculait. Elles étaient arrivées trop tard. Dans un cri, Dursun agrippa Deirane par la taille pendant que la jeune femme tentait de parcourir les dernières perches qui les séparaient de la sécurité.

Trop tard. Le tablier se rabattit contre la falaise. Elle entama son plongeon vers les pieux métalliques acérés dressés en dessous. Vers la mort. Sa main toucha la paroi en face du bout des doigts. Si près de réussir.

Soudain, elle sentit une solide poigne lui attraper l’avant-bras. Sa chute fut stoppée net. Elle s’écrasa contre la muraille et poussa un cri de douleur. Elle n’entendit pas Dursun. Dans le choc, elle avait lâché prise. Mais elle la sentait accrochée à ses jambes.

— Vous allez bien toutes les deux ?

C’était la voix de Naim. Deirane éprouva un soulagement comme elle ne l’avait jamais été.

— Moi, ça va, répondit Deirane. Dursun ?

— Je ne vais pas tenir longtemps.

— Je vous remonte, tenez bon.

La Naytaine hissa Deirane sans effort. Quand son amie arriva à hauteur du chemin, elle s’agrippa à la géante pour que celle-ci pût s’en occuper. Un instant plus tard, elles étaient toutes les deux assises sur la route, adossée à la falaise.

Deirane jeta un coup d’œil sur Dursun. Elle remarqua à quel point cette dernière était pâle. Elle tremblait encore de la terreur qu’elle avait éprouvée. D’ailleurs, elle lui avait serré les jambes si fort qu’elles en étaient douloureuses.

— Vous allez bien ? demanda Naim.

— Non, répondit Dursun.

— On a tout notre temps, nous ne courrons plus aucun danger.

— Nous devons quand même sortir Nëjya, Sarin et Cali des pattes des gardes, remarqua Deirane. Inutile qu’elles passent à la casserole si ce n’est pas encore fait.

— Tu as raison, répondit Dursun, sauf qu’on ne sait pas où elles sont.

Elle tenta de se lever, mais ses jambes refusèrent de la porter. Naim la prit dans ses bras. Deirane se montrait plus alerte. Elle tenait debout sans aide, mais elle devait s’appuyer à la paroi.

Le reste de la remontée s’effectua en moins effrénée, le caractère d’urgence avait disparu. D’ici à ce qu’elles atteignissent le niveau du harem, Deirane s’était ressaisie. Et même Dursun termina sur ses jambes.

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