Chapitre 37 : La tendresse selon Larein

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Attention : certaines scènes violentes sont susceptibles de choquer.


Le deuxième repas de la journée venait de se terminer. En général, à cette heure particulièrement chaude, la plupart des concubines en profitaient pour faire une sieste. Dursun était donc relativement tranquille pour mener ses activités. Son pays d’origine se situait sur l’équateur, la chaleur ne lui faisait pas peur. À cette heure-ci, un monsihon avant que Fenkys n’atteignît son zénith, elle travaillait à ses plantations. Elle se changea, revêtant des habits grossiers en toile solide. Comme d’habitude, ils étaient propres. Quand elles les enlèveraient, pleins de terre et de sueur, ils seraient aussitôt emportés pour être nettoyés et remplacés. Dès qu’elle fut prête, elle sortit. Elle se rendait vers son potager. Il était idéalement situé, assez loin du palais pour bénéficier du soleil le plus tard possible et suffisamment proche pour éviter de mettre trop de temps à le rejoindre. Cela lui prenait moins d’un demi-calsihon pour effectuer le trajet.

Quand elle avait demandé l’autorisation d’en créer un, elle pensait à une petite surface, un peu à l’écart. Chenlow lui avait fait délimiter et clôturer une zone carrée de dix perches de côté. L’intérieur comportait une allée centrale et deux bordures. Celles-ci étaient divisées en planches suffisamment étroites pour qu’elle pût s’occuper des plantes sans marcher dessus. Sauf bien sûr lorsqu’il fallait réaliser des travaux lourds, comme bêcher. Aménager tout cela avait été difficile, mais les eunuques l’avaient aidée. Ils avaient même construit un abri, en dehors de la zone, pour ranger ses outils. Ils lui avaient ensuite fait bénéficier de leurs conseils. Ils s’y connaissaient, ils entretenaient un potager semblable dans leur jardin qu’ils partageaient avec les domestiques. Mais comme ils étaient plusieurs à s’en occuper, il était beaucoup plus grand. Avec le temps, ils avaient été moins nombreux, bien que parfois ils lui rendissent visite pour voir comment elle se débrouillait. Et finalement, il n’en resta plus qu’un qui venait quotidiennement pendant sa pause pour l’aider.

Aujourd’hui, elle avait prévu de planter des fèves. Ce cousin du haricot ne se vendait pas en ville et ne figurait pas couramment à la table du harem. Quand elle avait annoncé qu’elle allait en produire, plusieurs concubines avaient demandé à en recevoir. C’était souvent le cas, elle prenait soin de choisir des fruits et des légumes rares, contrairement aux eunuques qui participaient à l’approvisionnement des cuisines du palais. Quelle n’avait d’ailleurs pas été sa surprise de voir le nom de Brun apparaître dans la liste ? Elle aurait parié qu’il aurait réquisitionné tout le stock pour son usage personnel. Mais non. Il avait suivi les règles comme n’importe quel habitant de ce palais. Mais elle s’occuperait des fèves après. Pour le moment, elle devait arroser les plants.

De l’abri, elle sortit une bonne paire de gants de jardinage et deux seaux. Elle remarqua en les remplissant qu’on avait remplacé le robinet. L’ancien fuyait. Son installation avait été difficile. Il avait fallu creuser une tranchée depuis le palais pour apporter l’eau. Pendant les travaux, elle avait dû marcher jusqu’à une salle de bain pour s’approvisionner. Heureusement, elle disposait de huit eunuques pour l’aider.

Le robinet se trouvait en bordure de l’enclos, mais les seaux restaient lourds, surtout pour une personne de son gabarit. Elle sentit qu’on les lui retirait. Hensferson était arrivé.

— Bonjour, s’écria-t-elle joyeuse de le voir.

— Bonjour, lui renvoya-t-il en retour.

Elle lui déposa une bise sur la joue qu’il lui rendit.

— Alors que fait-on aujourd’hui ?

— On plante les fèves, répondit-elle.

— Ça ne va pas être trop dur.

— Non, mais ça va être long. Je fais deux planches.

— Deux, tu as reçu tant de commandes que cela.

— Huit concubines, deux domestiques, cinq eunuques et un roi.

— Trois planches, corrigea-t-il.

Pendant que Hensferson arrosait les plantes déjà en terre, elle alla chercher le sac de semences et le plantoir. La veille, elle avait sélectionné les deux zones, parmi les sept inoccupées, en rajouter une de plus ne présenta aucun problème. Elle se plaça sur la première et se lança. Un trou, une graine, on tasse le sol, on se décale de la longueur d’une main et on recommence. Elle avait calculé, cela faisait cent soixante graines. Au bout d’un moment, son compagnon vint la rejoindre. À deux, cela allait beaucoup plus vite. Cela prendrait bien deux calsihons pour s’occuper de toutes les planches. Quand ils terminèrent, l’astre du jour avait atteint le sommet de sa course. Elle regarda le travail accompli. Hensferson l’avait laissée finir, il avait rapporté une dizaine de seaux pour arroser le tout. Elle n’aurait pas à les transporter.

— Je te quitte, annonça-t-il, il est temps pour moi de rentrer.

— Ne disposes-tu pas de quelques instants encore ? On n’a pas pu parler.

— Chenlow se montre très strict sur les horaires.

Elle hocha la tête, elle avait compris. Mais comme il avait pris soin de lui préparer le travail le plus dur, elle n’avait plus besoin de lui. À regret, elle lui déposa une bise sur la joue et il s’éloigna en vitesse vers la porte qui menait au jardin des eunuques, une porte qui ne s’ouvrait pas pour les concubines.

Un à un, elle versa l’eau des seaux dans un arrosoir équipé d’une pomme et elle abreuva ses plantations. Une fois terminée, elle estima la tâche accomplie. Elle était fière d’elle. Elle essuya une goutte de sueur qui coulait sur son front, se maculant le visage de terre.

Quelqu’un applaudit juste derrière elle. Elle se retourna, curieuse de découvrir qui était venu admirer son œuvre. Il n’était pas rare qu’une concubine vînt la regarder travailler, surtout parmi les non-affiliées. Mais guère plus de deux ou trois s’étaient sali les mains à ses côtés, sans compter Nëjya et Deirane bien sûr. À la barrière de son enclos, une jeune femme à la chevelure rousse et à la peau pâle constellée d’éphélides s’était accoudée. Dursun la connaissait, mais elle avait toujours pris soin de l’éviter. Larein. Heureusement, elle était seule, sans sa cour de fidèle.

— C’est donc ici que tu produis ces légumes qui nous régalent tant.

Dursun avait peur, mais elle ne devait pas le montrer.

— Tu ne t’es pas inscrite pour la distribution, répliqua Dursun.

Elle espérait que sa voix était suffisamment ferme.

— On cultive beaucoup de fèves là d’où je viens. Elle remplace le blé pour fabriquer la farine. Je ne peux plus en manger.

— Ah.

Larein ouvrit le portillon de l’enclos et entra.

— Tu sais, avant de te rencontrer, je n’avais jamais vu une femme comme toi. Des yeux étranges. Ce teint de peau unique. Et ces cheveux magnifiques.

Elle saisit une mèche noire et la laissa filer entre les doigts.

— Et si doux.

Dursun était terrorisée. Elle n’osait plus bouger, laissant la concubine jouer avec sa chevelure. Elle aligna une de ses propres mèches flamboyantes avec celle de l’adolescente pour les comparer. Au bout d’un moment, elle s’arrêta, ses doigts sur le cou de Dursun.

— Tu es encore jeune. Tu ne possèdes pas beaucoup de formes. Mais ta sœur non plus, et elle était magnifique. Et tu évolues exactement comme elle.

Dursun la laissa explorer son corps de ses mains sans oser l’interrompre, de peur qu’elle s’énervât et lui fît mal. Elle se mordit les lèvres lorsqu’elle lui pelota les seins, afin ne pas risquer de pleurer non plus. Larein se révélait aussi caressante que Nëjya. Mais elle n’était pas Nëjya. Au lieu de lui donner du plaisir, les attouchements de la concubine la révulsaient.

Larein déboutonna son chemisier en tissu doré et l’enleva devant l’adolescente. Puis elle s’approcha d’elle presque à la frôler. Elle lui prit les mains et les posa sur ses seins. Dursun ne voulait pas caresser la jeune femme, mais elle avait peur de sa réaction si elle se retirait.

— Tu aimes ? demanda Larein. Tu sais que tu pourrais en profiter aussi souvent que tu le désirerais. De ça, et du reste. De tout le reste.

À la grande horreur de la chanceuse, elle dégrafa les bretelles qui retenaient le haut de sa salopette. Cette dernière ne tenait plus en place que grâce à sa ceinture. Puis elle remonta la tunique jusqu’aux épaules, lui dénudant tout le buste. Les mains de Larein caressaient maintenant directement la peau. Au bout d’un moment, elles finirent par atteindre les seins qu’elles massèrent délicatement. Quand elle les embrassa et les mordilla, Dursun détourna la tête et ferma les yeux. Il y avait toujours quelqu’un qui venait la regarder, pourquoi juste aujourd’hui personne ne se portait à son secours ?

— Ce serait dommage que tout ceci disparaisse.

— Pourquoi ? osa-t-elle. Tu vas me faire quelque chose ?

Les sanglots qui menaçaient faisaient trembler sa voix. Elle eut peur que Larein le remarquât. Mais ce ne fut apparemment pas le cas, puisqu’elle continua ses opérations. Sans retirer ses mains, elle détailla la silhouette de l’adolescente d’un air gourmand.

— Je voudrais bien te faire quelque chose. J’aimerais caresser davantage une peau si douce. Mais Nëjya pourrait s’en prendre à moi. Cette femme peut se montrer d’une violence parfois.

Si elle n’avait pas été si terrorisée, Dursun aurait pu apprécier l’ironie. Larein n’avait rien à envier Nëjya sur la question de la violence. Seulement, contrairement à Larein, Nëjya n’était pas agressive, elle se contentait de défendre les siens.

— En fait, je parlais de Serlen, reprit Larein. Elle est invulnérable, mais autour d’elle ça tombe comme des mouches. Ta sœur il y a presque un an. Dovaren ensuite. C’est un peu dangereux de la fréquenter par les temps qui courent. Qui va être la prochaine ? Toi ? Sarin ? Ou cette Samborren qui sait si bien faire vibrer ce joli petit corps.

Elle ponctua ses paroles en lui glissant la main entre les jambes. Heureusement, elle ne portait pas ses habituelles robes courtes, mais une solide salopette de toile épaisse. Dursun ne chercha plus à retenir ses larmes.

Larein était satisfaite. Elle était arrivée exactement là où elle le voulait. Et cela s’était révélé si facile. Et si agréable. Elle retira sa main.

— Ne reste pas avec Serlen. Ça risquerait d’être très mauvais pour ta santé. Avec moi, tu serais bien protégée. Penses-y.

Larein déposa un dernier baiser sur chacun des seins, puis elle remit la tunique en place, non sans avoir avant longuement admiré le spectacle délectable. Finalement, elle posa ses mains sur celle de l’adolescente, toujours pressées contre sa poitrine.

— Je vois que tu les aimes. Tu pourrais jouer avec tous les jours si tu voulais. De toutes les façons que tu pourrais imaginer.

Elle se pencha tout contre Dursun pour lui susurrer à l’oreille :

— Tu te montres trop douce. J’aime qu’on me fasse mal. Et toi ? Tu aimes faire mal.

Puis, elle se libéra à regret de la légère étreinte.

— Mon offre n’est pas limitée dans le temps, mais dépêche-toi quand même. Ça dégage sec autour de Serlen.

Elle ramassa son chemisier, qu’elle jeta sur son épaule sans le remettre en place. Puis elle laissa la jeune femme seule, en larme sur le sol boueux de son allée. Celle-ci ne vit pas les associées de Larein, qui avaient bouclé la zone pour empêcher quiconque de les déranger, la rejoindre pour rentrer avec elle au palais.

Dans la salle des tempêtes, Deirane commençait à se montrer inquiète. Cela ne ressemblait pas à Dursun de manquer un repas.

— Mais que fait-elle ! s’écria Nëjya. Ce n’est pas si long d’arroser quelques plantes.

— Il a dû lui arriver quelque chose, suggéra Deirane. Va la chercher, je surveille les enfants.

— Bonne idée.

Elle se dirigea vers la porte de la salle qui donnait sur les jardins. À ce moment, elle s’ouvrit. Un eunuque entra, il portait Dursun dans ses bras. Son maquillage avait coulé sur son visage. Elle avait pleuré. Et elle était sale, comme si elle s’était roulée dans la boue. Sans compter les bretelles détachées de sa salopette. Nëjya se précipita.

— Que lui est-il arrivé ? s’exclama-t-elle.

— Je l’ai trouvée dans son potager, expliqua-t-il.

Il confia la jeune femme à sa compagne. Mais elle se dégagea et s’éloigna. Elle croisait convulsivement ses bras autour de sa poitrine. Deirane comprit immédiatement ce qui se passait.

— Jevin n’est plus là ! s’écria-t-elle. Qui alors ?

Nëjya se montra plus longue à interpréter ces paroles.

— Si je le découvre, je le castre, gronda-t-elle.

— Ici, cela risque d’être déjà le cas. Et ce n’est pas forcement un homme.

La Samborren essaya d’enlacer à nouveau la petite Aclanli, sans plus de succès. Mais cette fois-ci, elle s’éloigna juste hors de portée de sa compagne. Ce qui lui permit de recommencer. Elle ne tenta plus de s’esquiver, elle se laissa prendre dans les bras par son amante. Enfin, elle autorisa les larmes à sortir. Deirane aurait bien voulu les rejoindre pour réconforter son amie. Mais elle avait peur qu’elle fuît encore.

— C’est Mericia, rugit Nëjya, je suis sûr que c’est elle. Je vais m’occuper d’elle avec mes ongles. Quand j’aurai fini, elle sera beaucoup moins belle.

— Nous n’avons pas vu Mericia autour de l’enclos, intervint l’eunuque. En revanche, Larein s’en éloignait avec ses compagnes.

— C’est Larein qui l’a mise dans cet état !

Deirane s’avança.

— Ne t’attaque pas à Larein. Elle est trop dangereuse.

— Moi aussi je suis dangereuse.

— Mais tu es seule. La moitié de ses suiveuses se comportent comme elle.

— On ne peut pas se laisser faire sans réagir.

— Je n’ai pas dit ça.

Elle avait encore en mémoire le sourire de la concubine quand Dovaren s’était effondrée lors de la mise à mort de sa famille.

— Cette femme me fait peur, lâcha Deirane.

— Ça ne me freinera pas.

— Renonce ! Je n’ai pas envie de perdre une autre amie ! cria Deirane.

Nëjya la regarda, surprise par son éclat.

— Ne t’énerve pas comme ça, protesta-t-elle enfin, je ne dispose pas d’assez de bras pour m’occuper de vous deux à la fois.

Mais contredisant ses paroles, elle en tendit pour accueillir son amie. Pendant que Deirane se précipitait vers elles, Nëjya prit conscience qu’elle était la seule adulte du groupe. Les autres étaient encore adolescentes ; même si Deirane ne l’était officiellement plus, il était difficile de la considérer comme une adulte. C’était donc à elle de les soutenir. Deirane était l’âme de leur faction, Dursun son cerveau, mais elle était leur force. Elle les pressa toutes les deux contre elles. Dursun ne tenta pas de s’écarter malgré cette deuxième personne qui la serrait.

Deirane avait raison, Nëjya n’était plus seule en jeu. Elle avait trop à risquer. Elle n’irait pas affronter Larein. Pas tout de suite. D’abord, elle allait voir ce que Deirane allait faire.

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