Silvio suit les autres, ils montent l’ancienne allée de la salle de spectacle, entre la salle de briefing et les bureaux. Ils entrent dans la cafétéria du commissariat.

 Lors de l’aménagement de l’ancien théâtre en poste de police municipale, la décision fut prise de ne pas ouvrir l’entrée principale au public. La municipalité ne souhaitait pas que les vigili urbani soient associés à des termes tels que comédie ou farce. La salle de déjeuner occupe la place du café du théâtre, située juste à côté de l’accès en façade, elle en a gardé la décoration, le bar et le sol recouvert de mosaïques.

 Gabriela est déjà assise, à la table la plus isolée, bien que les autres agents de la brigade ne soient pas présents, préférant squatter un bureau inoccupé pour leur pause. Pasqualina s’attable à côté d’elle, Agostino laissant à Silvio le choix entre face à Gabriela ou… face à Gabriela.

 « Ciao, Silvio ! Alors cette mission secrète ? lui lance-t-elle avec un sourire taquin lorsqu’il s’installe.

 — Et vous, comment s’est passée cette matinée ? grommelle-t-il en essayant d’éluder la question.

 — Tu ne nous auras pas comme ça ! Insiste à son tour Agostino.

 — Allez, s’il te plaît, enchaîne Pasqualina dont les beaux yeux naïfs feraient fondre un iceberg.

 — Je n’ai pas le droit d’en parler, désolé, déclare Silvio, espérant mettre dans sa voix le maximum de fermeté. »

 Silvio baisse le regard et se consacre à son sandwich, un tramezzino thon, mayonnaise et poivron. Les trois autres s’échangent des coups d’œil de connivence. Silencieusement, ils préparent la deuxième charge, Gabriela prend le commandement des opérations.

 « Allons, on fait équipe, et comme tu as l’air perturbé, on souhaiterait que tu nous en parles…

 — Scalarino a été clair, rétorque Silvio en s’apercevant que ses joues commencent à rougir.

 — Bon, on joue à un jeu ! Propose Agostino. Nous te posons des questions et tu ne réponds pas.

 — Mmm, ne trouve qu’à répondre Silvio soupçonnant un piège.

 — Tu étais en observation ? »

 Silvio ne montre aucune réaction. Les autres essayent d’évaluer l’information et préparent la seconde question.

 « En filature ? » Propose Gabriela.

 Silvio hausse légèrement les épaules, presque imperceptiblement, Gabriela regarde ses complices, l’expression de ses yeux trahit le triomphe.

 « Tu devais suivre quelqu’un, ce n’est pas un délinquant, sinon, tu n’aurais pas eu à nous le cacher. Tu étais en civil donc et tu n’as pas le droit d’en parler. Donc il s’agit d’une affaire pas très officielle. C’est Scalarino qui te l’a demandé donc, ça vient de haut. »

 Silvio montre des signes d’embarras, son visage s’empourpre, il a presque terminé son sandwich, il ne saura bientôt plus comment s’occuper pour échapper à cet interrogatoire.

 « C’était un homme ! » Lance à son tour Pasqualina.

 Silvio n’oppose aucune réaction, elle s’enhardit. « Une femme ! » Mal à l’aise, il rougit légèrement.

 Conscient de ce trouble apparent, Agostino renchérit « Une jeune femme, et plutôt jolie ! » Le teint de son ami le conforte dans cette idée, il poursuit dans cette voie.

 « Alors Scalarino t’a demandé de suivre une jolie nana. Alors, elle est vraiment aussi mignonne que ça ? Tu me la présentes quand ? »

 Silvio se lève vivement et se rend à la poubelle du réfectoire avec ses affaires.

 Dans son dos, Pasqualina pose sa main sur celle d’Agostino, ses yeux lui lancent des éclairs.

 Le visage de Gabriela, quant à lui, ne projette plus l’aura triomphante qu’il avait quelques secondes plus tôt. Ses mâchoires serrées et son froncement de sourcil témoignent d’une colère contenue et d’une détermination à savoir de quoi il retourne.