Venise by night
Gabriela et Silvio sortent quelque temps plus tard du café, ils ont décidé d’en apprendre plus sur les personnes qu’Hélène Schiaparelli souhaitait retrouver. La nuit, fraîche et étoilée, rappelle à Silvio les promenades qu’il faisait lorsqu’il était enfant. Son esprit vagabonde vers cette époque où avec ses amis, ils découvraient leur environnement. Mais désormais, Agostino a grandi, et Livia a quitté sa vie et il n’est plus question de gros chats.
Lorsqu’ils arrivent sur la place de l’Arsenal, la lune projette l’ombre rassurante du grand lion sur le sol devant eux. Ils lèvent les yeux, la taille de l’astre semble inhabituelle, sa lumière les illumine d’une étrange clarté dans laquelle les statues brillent d’une blancheur surnaturelle.
La terrasse du café à laquelle ils se sont assis de longues heures ensemble est occupée par une foule de gens. Silvio s’avise de l’homogénéité de cette assemblée, des personnes jeunes, hommes ou femmes aux traits durs et à l’allure stricte dans leurs costumes noirs. Qu’ils portent tous des lunettes de soleil ne le trouble pas, mais leur façon de les suivre du regard dans un même mouvement génère en lui une sourde angoisse.
Gabriela, quant à elle, continue de parler, elle évoque la date des concours pour lesquels ils s’entraînent ensemble. Elle ne remarque pas la présence de ce groupe insolite. Silvio lui prend la main et la mène sur le pont. Il souhaite s’extirper de la surveillance imposée par ces gens aux yeux noirs, elle se laisse guider, sans manifester la moindre résistance. Au sommet, il constate que d’autres individus en costume leur bloquent la descente et commencent à gravir les marches.
Gabriela s’accoude à la rampe, sa bouche continue à bouger, Silvio n’entend plus aucun son en sortir, alors qu’il perçoit le martèlement des pas sur le bois de la passerelle.
Il se retourne, la place s’est couverte d’une foule sombre qui ne cesse de grossir. De chaque maison, de chaque rue, des nuées d’hommes et de femmes entrent sans cesse sur l’esplanade. De l’autre côté du canal, la même scène. Gabriela poursuit son soliloque muet, elle pointe du doigt l’intérieur de l’arsenal, sourit et ne remarque pas la menace qui pèse sur eux.
Silvio aimerait la prévenir du danger, mais lorsqu’il se décide enfin à poser les mains sur ses épaules, ce n’est pas Gabriela qu’il saisit, mais Livia qui se transforme soudain en Hélène Schiaparelli.
Les hommes en noir les entourent désormais, Silvio lance un appel vers le protecteur de Venise. Le grand lion de pierre tourne la tête vers lui dans un bruit de meules, le regard désolé, il ne peut que pousser son rugissement : « Roooaaaarrrrrrrr. »
Lorsque Silvio se réveille, en sueur, sa décision est prise : quelles qu’en soient les conséquences, il découvrira ce qui se trame dans sa ville.
***
Silvio aperçoit sa collègue. Gabriela débarque à l’arrêt Arsenal, dans sa tenue de sport, prête pour leur rituel dominical : des kilomètres de course le long des jardins de la Biennale et dans le stade à Sant Elena.
« Ciao, Silvio, tu as l’air vaseux ? Tout va bien ?
— En passant sur la place de l’Arsenal, j’ai vu le même bateau qu’hier soir avec les mêmes personnes dedans, deux hommes et une femme à l’allure militaire.
— Les mêmes qu’hier, tu penses ?
— Aucun doute là-dessus.
— On change de programme ? propose Gabriela, un sourire sauvage parcourt un instant ses lèvres.
— Oui, on fait un tour des jardins et on se met en planque sur la place, on suit les vieux à la trace, je sens qu’ils courent un danger. »
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