Je t'ai peu parlé et, sans doute, je n'engagerai plus la conversation pour essayer de te transmettre la colère que je te voue. Tu ne comprendrais pas, de toute manière, comment pourrais-tu comprendre ? C'est le même sort pour tout le monde, et surtout pour chacun : je ne suis pas une exception, pas un chanceux.

Je n'ai jamais eu de bonne étoile, j'en suis conscient... Pourtant, parfois, lorsque je regardais le ciel ces nuits d'hiver, je pensais à toi en me disant qu'il se pouvait que tu sois clémente avec moi, que tu me rendes heureux. J'étais jeune, innocent, insconscient de tes intentions et de ta noirceur. Je ne peux pas dire que tu m'aies jamais manqué puisque tu étais toujours là, près de moi, à chaque instant, dans mon esprit et dans mon coeur. Tu berçais ma respiration, tu me permettais de m'exprimer, tu m'as permis de rencontrer des personnes exceptionnelles.

Je sais que tu m'as donné beaucoup plus qu'à d'autres, que tu as harcelés, sans cesse brisés, détruits. Tu m'as offert des sourires, des rires, c'est grâce à toi que j'ai ressenti mon pouls battre si fort en face de quelque personne formidable, grâce à toi que j'ai pleuré des larmes de joie en apprenant certaines nouvelles, grâce à toi que j'ai su écrire, pu écrire, aimé écrire. Alors, on se dira que je n'ai aucune raison de te haïr, toi qui as dessiné la personne que je suis et sans qui je n'aurais jamais été personne.

Mais te souviens-tu des fois où tu n'as pas tenu tes promesses ? De celles qu'on fait et qu'on ne tient jamais et auxquelles pourtant je croyais... Toutes les larmes que tu as provoquées et que j'aurais tant voulu réprimer mais sur lesquelles repose ton existence ? Evidemment, on ne peut pas ne ressentir que les émotions les plus belles, ne rencontrer que les personnes les plus gentilles ou ne vivre que les moments les plus doux. Etais-tu cependant obligée de m'infliger ces moqueries ? Ces hontes ? Ces doutes ? Ces regrets ? Ces colères ? Etais-tu obligée de piétiner mon ego et le peu de confiance que je conservais d'un passé qui, à défaut d'être glorieux, n'était pas sans fiertés ? Etais-tu obligée d'être si chiche sur les bonheurs que tu m'offrais, à une certaine période où le meilleur semblait proscrit ?

Néanmoins, ce que je te reproche n'est pas fondé que sur ce qui m'est arrivé, m'arrive ou m'arrivera. Regarde cette personne que je chéris plus que tout au monde ! Méritait-elle ces silences, ces doutes, ces désillusions, ces défaites, ces larmes ? Nous savons tous que non, elle ne méritait rien de tout cela, rien d'autre que des sourires, des victoires, d'immenses félicités à la hauteur de ses talents. Pourquoi lui as-tu tant de fois brisé ses rêves et ses espoirs ? Pourquoi l'as-tu mise à genoux, impuissante et pourtant sublime dans la tristesse qui l'accablait ? Pourquoi lui as-tu donné cet entourage qui méprise ce qu'elle est vraiment et discerne rarement les blessures qu'elle porte en elle ? Parce que tu n'es pas juste, que tu ne le seras jamais, que tu te plais à détruire au lieu de réparer, à annihiler, à briser, à déchirer, à mordre, à tordre, et c'est pour cela que je te hais.

Tu es celle qui m'a permis d'exister et qui a anéanti tant de désirs.

Je ne te remercierai pas pour ce que tu as offert parce que c'était mon dû comme celui de chacun. En revanche, je condamnerai ce que tu as détruit, pour te nommer enfin... la vie.