Chapitre 8 - ALEXY

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le 29/04/2020 & le 22/02/2022

Je ne comprends vraiment plus rien.
Il venait enfin d'accepter sa présence, et maintenant, il l'assomme ?
A quoi peut-il bien penser, bon sang ?
Je m'apprête à me jeter sur lui pour l'immobiliser, un élan brutal qui me vient naturellement, quand il m'attrape par le bras, ouvre la portière du coffre et me jette dehors. J'essaye de me débattre mais il plaque une main sur ma bouche. Je ne peux rien faire, enfermée dans la cage solide de ses bras.
- Tais-toi! Ne crie pas, sinon je ne te relâche pas. Tu vas comprendre pourquoi j'ai fait ça, mais jure-moi d'abord que tu ne crieras pas. Jure-le moi! répète-t-il.
Ai-je le choix ? Comme à chaque fois, je dois choisir entre la peste et le choléra. Maintenant que je sais qu'il me manipule depuis le début, maintenant qu'il vient de révéler sa véritable nature, j'ai aussi peur de lui et de l'Organisation que de la DFAO. N'y a-t-il donc personne sur cette Terre pour vouloir simplement m’aider, et pas se servir de moi pour arriver à ses fins ?
Je hoche faiblement la tête.
- Avec conviction, Alexy. Je te connais.
Tant que ça ?
- Tu fais ça juste pour pouvoir t'enfuir dès que je te relâcherai - je dois avouer qu’il n’a pas tort. Je te jure qu'il y a une bonne raison à ça. Mais laisse-moi au moins la possibilité de m'expliquer.
C'est cette dernière phrase qui me fait changer d'avis. J’ai prié pour qu’on m’accorde cette même chance, et si mes prières avaient été exaucées, peut-être ma vie n'aurait-elle pas ressemblé à ça. Peut-être aurais-je suivi un autre chemin. S'ils m'avaient laissé le bénéfice du doute... Qui suis-je pour le juger sans rien savoir, moi qui, il y a quelques heures à peine, était prête à recueillir un homme sans la moindre précaution ? Allen aurait pu me sauver d’un piège grossier dans une autre situation.
Alors cette fois, c'est avec fermeté que j'agite la tête, et il doit ressentir ma sincérité, car l'étau de ses bras se desserre lentement. Une fois libérée, je fais volte-face pour le regarder, et je n’aime pas cette peur d’animal traqué que je ressens. Coincé dans ma ceinture, mon pistolet épouse ma hanche. Je pourrais le dégainer en quelques secondes... mais pas avant qu'il ne se soit justifié. Ensuite, je pourrai juger. Mais pas tout de suite, non, pas tout de suite.
- Explique-toi.
Il soupire de soulagement.
- Je n'avais pas le choix. Crois-moi, j'aurais préféré ne pas avoir à l'assommer, mais je n'ai pas encore assez confiance en lui. Il fallait que je te parle en privé.
Alors c'est donc ça, sa raison ? Il fallait qu'il me parle ? Et il avait besoin d'être aussi brutal pour ça ?
- Et tu ne pouvais pas tout simplement sortir avec moi en te passant de tes méthodes barbares ?
Je sens la colère bouillir en moi une enième fois.
- Un agent formé est à même de se libérer de ces pauvres chaînes sans aucune difficulté, pour peu qu'il ait le matériel sur lui. Et si il appartient effectivement à la DFAO, il a ce matériel. Je ne pouvais prendre aucun risque. Maintenant, écoute-moi. Jusque là, il n'était pas assez concentré sur toi, ou il faisait trop sombre, pour qu'il remarque clairement que tu es une femme...
Il continue de parler mais je ne l'entends pas.
Femme.
Femme.
Ce mot que j'ai cherché toute ma vie.
Toute ma vie, je me suis demandé quel nom mettre sur l'anomalie que je suis. Puis j'ai compris qu'une bête de foire n'a pas ce privilège. Et voilà que maintenant, je peux enfin me désigner en tant qu’espèce.
Une femme.
Une femme.
Plus simplement l'équivalent féminin de l'homme.
Une femme.
Quelque chose de palpable, à part entière. Quelque chose qui se démarque, qui n'a pas besoin des hommes pour exister.
Non, pas quelque chose.
Quelqu'un.
Une femme.
Je me délecte de ce mot qui vient compléter un autre coin du puzzle.
Une femme.
Une femme.
Un mot que je n'ai jamais connu, mais dont les sonorités si sont familières à mon oreille. Il correspond, sans accroche, sans rien qui me perturbe. Il est juste parfait.
Une femme.
Moi.
Je suis une femme.
Je ne sais pas si ce constat m'inspire du dégoût et de la haine ou aussi un peu de paix. Il y a quelques mois, je n'aurais pas hésité sur la réponse, mais aujourd'hui, beaucoup de choses ont changé, et je dois me raccrocher à ce que je peux trouver en chemin. Un déclic s'est produit en moi, quoiqu’il puisse amener par la suite.
Une femme.
- Alexy ?! Mais enfin réponds!
La voix affolée d'Allen qui résonne douloureusement près de mes oreilles, ses mains fermes qui serrent mes bras à m'en faire mal… je m'arrache au tourbillon. Je suis brutalement ramenée à la réalité et à des problèmes bien plus concrets que mes divagations.
- Hein ?
- Hein ? répète-t-il, ahuri. Depuis tout à l'heure, tu es comme ailleurs, tu ne réponds plus quand je te parle, et tout ce que tu trouves à dire, c'est hein ?! Mais enfin, qu'est-ce qui s'est passé ?
La tension dans sa voix retombe peu à peu.
Je papillonne des paupières.
Suis-je censée lui avouer ? Lui parler de mes sentiments les plus intimes, ceux que je n'ai jamais révélés à quiconque ? Mais cette étrange confiance qui me lie à lui depuis que je l'ai rencontré me pousse à me confesser, à bouger les lèvres pour enfin décharger ce que j'ai sur le coeur.
- Une femme. Tu as dit une femme. C'est donc ça que je suis ?
Un ange passe.
Puis ses yeux s’humidifient, les larmes sur le point de déborder, et je me demande si j’ai fait quelque chose de mal. Je me mets même à penser que quelqu'un l'a attaqué par derrière, quand il souffle :
- Tu.. tu ne connaissais pas ce mot, n'est-ce pas ?
Je n'esquisse pas un mouvement, et ne fais pas non plus mine de répondre car il connaît la réponse à cette question, mais pourquoi est-il si surpris ? Je ne suis pas la seule à souffrir de cette lacune, à vrai dire personne n’est au courant à part le Gouvernement et eux, manifestement.
- Oh mon dieu, Alexy, je suis tellement désolé!
Voilà qu'il recommence à faire comme s'il me connaissait. Ce serait plutôt à moi de dire que je ne le comprendrai jamais. Plus le temps passe, et plus son comportement me déstabilise, et pourtant cela ne fait qu’un jour à peine que nous sommes ensemble.
- Pourquoi tu t'excuses ?!
Je penche la tête sur le côté, curieuse de déceler sur son visage une expression aussi mortifiée que déprimée. Toute mon envie de me confier a disparu, remplacée par mes instincts aiguisés qui le passent au crible.
- Réponds-moi!
La situation s'est inversée, cette fois c'est moi qui le secoue brutalement par les épaules, engageant un contact physique avec lui pour la première fois. Mais je me suis laissée emporter par mes émotions, et il est trop tard pour faire marche arrière. Je le serre de toutes mes forces en espérant lui soutirer une réponse, mais il s'est replié sur lui-même aussi vite qu'il s'était ouvert à moi. Ma fenêtre de tir est passée.
Il redevient le garçon renfermé qui est apparu fugitivement hier, quand je l'ai trop poussé dans ses retranchements en lui parlant de l'Organisation. Celui qui ne peut pas répondre, mais qui aimerait bien. Celui qui est déchiré entre deux décisions comme je l'étais avant mon enlèvement. Je laisse tomber mes bras le long de mon corps, abandonnant la lutte, car je me sentirais incapable de plus insister vis-à-vis de quelqu’un qui se retrouve dans cette fâcheuse et désagréable position.
- Merci, murmure-t-il, des larmes toujours aux coins des yeux, mais il détourne bien vite la tête pour le cacher.
Quand il me regarde à nouveau, toute trace de faiblesse a disparue et je comprends qu’il sait.
Il sait que je ne le forcerai pas à me révéler ce qui le torture tant.
Il sait que je lui laisse un sursis, malgré tout ce que cela me coûte, car je suis moi-même encore trop remuée pour m’infliger cette lutte supplémentaire.
Pour dissiper le malaise et ma frustration, il revient sur le sujet qui nous occupait avant mon moment d'égarement, avant que je n'apprenne qui je suis, comment je m'appelle. Je lui en suis infiniment reconnaissante.
- Alexy, si je t'ai fait venir ici, c'est pour parler de ce que nous allons lui dire, une fois qu'il sera réveillé. Comme je te l'ai dit, tu es une femme, et c’est quelque chose qui paraît plutôt évident. Tu transpires la féminité, il va donc forcément le remarquer. Nous devons nous concerter sur le mensonge à lui servir... ou pas. C'est ton choix. Sur ce coup, je n'ai pas mon mot à dire, cependant sache que s’il doit apprendre la vérité, nous ne pourrons plus le laisser repartir. Il sera obligé de nous suivre jusqu’à l’Organisation, qu’il le veuille ou non, car ce secret est trop compromettant pour le laisser repartir dans la nature avec lui.
Je suis abasourdie.
Malgré la condition qu’il vient de poser, son geste compte plus pour moi qu'il n'y paraît. Toute ma vie, on a décidé de ce que je devais faire ou dire à ma place. Toute ma vie, j'ai dû me cacher, non pas par choix mais parce que j'y étais obligée. Certes, j'aurais pu me livrer au Gouvernement, mais mon instinct m'en empêchait, et ce n'était donc pas vraiment une décision de ma part. Mais aujourd'hui, comme Allen vient de me l’affirmer, je suis aux commandes. Je peux choisir de ce que je vais faire de mon corps. Un corps qui m'appartient, avec toutes ses conséquences, ses bienfaits, ses malentendus...
Au fond de moi, je sais déjà ce que je m’apprête à dire.
Premièrement parce que c’est le plus logique, mais aussi parce que je suis fatiguée de courir pour ne pas qu'on me rattrape. Si je mens, mon mensonge me retombera dessus avec bien plus de puissance. Je l'ai déjà expérimenté, et je ne compte pas recommencer. Comment instaurer une relation de confiance en la basant non pas sur la vérité, mais sur une énième manipulation ? Je ne veux pas être l'instigatrice de quelque chose qui a détruit ma vie. Je ne peux pas l'infliger à quelqu'un, en sachant parfaitement l'effet que ça fait quand on le découvre, et peut-être que ce secret me concerne plus que lui, mais ce mystérieux inconnu mérite la vérité.
Le Gouvernement a voulu me cacher ?
Très bien.
Mais malgré ma répulsion, je ne suivrai pas le même chemin tortueux qui cause tant de souffrances.
Ma détermination doit se voir dans mes yeux parce qu'Allen hoche imperceptiblement la tête. Cependant, il me laisse m'exprimer librement, ne me court-circuite pas, car il sait que j’en ai besoin.
Au fil des jours, je ne peux m'empêcher de l'apprécier de plus en plus. Malgré certains défauts, comme le fait qu'il ne veuille rien me révéler et bien sûr, qu'il soit un homme, il possède des qualités que je ne peux pas nier, un don pour me mettre à l'aise, et surtout, il rayonne de cette volonté de bien faire si caractéristique. Depuis que nous nous sommes rencontrés, il ne cesse de me témoigner de la gentillesse, de la compassion, un fort désir de me protéger... et aussi incroyable que cela puisse paraître, de l'amitié.
Je prie juste pour que mes espoirs ne soient pas que des illusions, pour que tout ceci ne soit pas un jeu de plus, pour que je ne fasse pas une grossière erreur en lui accordant ma confiance. Pour qu'il ne me brise pas lui aussi.
- Je ne peux pas. Je ne peux pas lui cacher qui je suis réellement, Allen. Je n'en peux plus de fuir. Et puis, comme tu l'as dit toi-même, il s'en rendra forcément compte un jour. Rien que son évasion des Résidences prouve qu'il est intelligent et pragmatique. Quant à l’explication de mon existence en elle-même, nous n'aurons qu'à lui dire que je suis... que je suis...
Mais je n'arrive pas à finir ma phrase.
Parce que je ne sais pas comment justifier de ce que je suis. Mon pire démon redevient un obstacle de taille, même s'il n'a jamais cessé de l'être vraiment, au moment même où je m’apprêtais à en faire une force. Va-t-il aller jusqu’à me forcer à abandonner un homme en difficulté ? Je n'arrive pas à supporter le rapport de force entre ce que je suis et ce que j'aimerais être.
- Ne panique pas, me rassure Allen. Ne panique pas. Je sais déjà comment nous allons faire. Ce n'est sûrement pas exactement ce que tu voudrais, et j'en suis désolé encore une fois. Mais dans la situation où nous nous trouvons, je ne vois que cette solution pour maintenir les apparences. Et puis, vois le bon côté des choses : ce n'est pas le même mensonge que d'habitude.
Il me gratifie de son fameux petit sourire en coin, celui qui pourrait redonner goût à la vie au plus désespéré des hommes, et qui, en l’occurrence, m’accorde un peu d’espoir. Un de ceux qui, sincères, seraient difficiles à obtenir pour n’importe qui, mais qui lui viennent à lui si naturellement. Qu'il me l’accorde si souvent malgré tout ce qui nous oppose me met un peu de baume au coeur.
Puis il m'expose son idée.

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