Chapitre 33 - SACHA

8 minutes de lecture

le 11/03/2022

C’est le front couvert de sueur et de grosses poches sous les yeux qu’Allen fait sa réapparition le lendemain soir de ma discussion avec Alexy.
Parti toute la journée, et cette fois bien dans le but de retrouver leur agent infiltré, nous commencions à nous inquiéter qu’il ne soit retombé dans les affres du manque quand il a poussé la porte, nous faisant tous sursauter. Je ne sais pas exactement ce que Waël sait de toute cette histoire : lorsqu’Alexy est partie à la poursuite de son ami l’autre jour, après mon appel à Mr. Carren, j’ai décidé de descendre en bas pour sympathiser avec lui. Il s’est révélé d’une bonne conversation, et c’est à cette même occasion que je me suis rendu compte combien celles avec Alexy sont spéciales, combien personne n’émane la même étincelle qui rend nos discussions absolument uniques. A côté, Waël m’a semblé bien fade, et j’étais presque soulagé de mettre fin à notre échange quand Alexy et Allen sont revenus.
Depuis, leurs relations sont plus que froides et ils se contentent de se parler pour le strict nécessaire, et j’aimerais savoir quoi dire à Alexy pour montrer mon engagement mais depuis que j’ai de nouveau érigé des murs blindés autour de mon cœur, j’évite autant que possible tout ce qui pourrait raviver les sentiments ressentis généralement à son contact. Ils me perturbent trop, ils sont un vrai danger, alors autant ne même pas penser à l’explosion qui s’est produite en moi quand son corps était volontairement collé à moi. Rien à voir avec ce qui s’est passé dans les catacombes, c’était probablement le moment le plus intense de toute ma vie en terme d’émotions.
- Il a disparu.
La déclaration d’Allen tombe comme un couperet, interrompant le fil de mes pensées sur Alexy.
- Comment ça ? m’impliqué-je avec une ardeur non feinte, car ce qu’il sous-entend est bien plus grave pour le véritable Sacha que pour celui que je prétends être.
- Comment ça, il a disparu ? commencé-je à m’énerver. Personne ne se volatilise comme ça.
- C’est pourtant ce que tu as fait, toi, fait remarquer Alexy.
J’hésite entre la regarder pour essayer d’analyser de quelle manière elle prononce ces mots, ou rester bien focaliser sur la situation plus que pressante. Je choisis sagement la seconde option.
- Tu ne comprends peut-être pas le français ?
Plus le temps passe, plus Allen est irritable, et son échec ne doit sûrement pas arranger les choses. Je me lève, anxieux, passe nerveusement les mains dans mes cheveux. Je sens le regard d’Alexy fixé sur moi avec une force invisible que seule elle a la capacité de me faire percevoir.
- Je ne sais pas comment, ni pourquoi, mais mon contact ne se trouve plus là où il devrait être. Je l’ai attendu toute la journée, et quand j’ai interrogé les passants, ils déclarent sans la moindre émotion ne pas l’avoir vu depuis plusieurs mois. Sans lui, je ne peux pas faire savoir à l’Organisation que nous sommes ici, ou même que nous voulons rentrer à la base. Enfin, j’imagine que je n’ai pas besoin de vous expliquer à quel point la situation est précaire.
Je ne l’ai jamais entendu parler sur un ton aussi sec. Il finit par se diriger d’une démarche saccadée vers la table pour s’affaler sur une chaise en face d’Alexy. Il ne lui adresse même pas un seul regard, et je comprends qu’il ne ment pas.
C’est comme si une chape s’abattait sur moi, que j’écarte bien vite pour me concentrer sur la suite des évènements.
Le visage complètement figé, Alexy fixe Allen, sûrement encore trop sous le choc pour s’énerver. Mais je sais que ça ne tardera pas à arriver, et je ne me trompe pas.
- Donc on se terre à Paris depuis plusieurs jours, et on s’est infiltré jusqu’ici dans des catacombes pour que tu nous pourrissent la vie avec ton addiction, et en plus pour que tu ne sois même pas capable de nous mener à l’Organisation ? C’est la quoi, la prochaine étape, Allen ? Tes idées sont désastreuses, alors il serait peut-être temps d’arrêter de nous demander de t’accorder notre confiance aveuglément.
Je savais déjà avant qu’elle n’a aucune limite lorsque les émotions la submergent, mais de là à lui reprocher son addiction ? J’ai côtoyé suffisamment de personnes sous l’emprise de la drogue pour savoir que ce n’est jamais sans raison qu’elles tombent dans cette spirale infernale, et pour le coup, je trouve Alexy franchement insensible. Pas que j’ai grand-chose à dire à propos de comportements vicieux, mais je ne peux m’empêcher de me sentir un peu mal pour Allen, qui en dehors du fait qu’il fait partie de l’Organisation s’est révélé une personne plutôt respectable.
- La prochaine étape, c’est que nous allons quitter Paris parce que nous n’avons plus rien à faire ici. Au moins à l’extérieur, nous serons plus en sécurité. Nous repasserons par les catacombes, le même chemin qu’à l’aller, et ensuite nous aviserons.
- Aviser ? ricane-t-elle amèrement. Aviser, c’est ta manière de dire que nous allons attendre pendant quelques semaines supplémentaires, jusqu’à ce que la DFAO finisse par nous retrouver à cause de ton incompétence ? Si c’est ça que tu veux plutôt dire, alors je crois que je passerai.
- Et alors, une meilleure idée peut-être ? s’écrie Allen en retrouvant son répondant, se redressant sur son siège pour faire face à Alexy, ce qu’il s’était refusé à faire jusque là. Tu veux suivre ton propre chemin ? Tu ne survivras pas une journée dehors toute seule ! Si tu ne veux pas que la DFAO remette la main sur toi, rester avec moi est ta meilleure option.
- D’autres remarques intéressantes quant à mon incapacité à me débrouiller ? Tu serais surpris, je crois, persifle-t-elle, vengeresse.
- Si seulement tu cessais de toujours tout rapporter à toi pour me laisser décider de ce qui est le mieux pour nous, ce serait plus simple ! Tu ne crois peut-être pas que j’ai déjà suffisamment de mal à gérer la situation sans que tu en rajoutes avec tes histoires ?
Le mouvement de recul d’Alexy, comme s’il venait de la poignarder en plein cœur, n’est pas feint, de même que la souffrance qui inonde ses yeux. La souffrance et la culpabilité. Elle ne prononce plus un mot, sans même prendre la peine de répondre aux arguments d’Allen.
De mon côté, je suis bien trop occupé à réfléchir à ce qui s’impose pour la suite pour relancer la discussion. Allen semble soulagé de cette interruption dans notre accrochage, de ce calme momentané qui permet à chacun de reprendre ses esprits.
A l’évidence, la situation ne cesse de se dégrader et mes chances d’infiltrer l’Organisation dans un court délai se réduisent de plus en plus. Vues sous cette angle, les choses sont plutôt désespérées, car les capitaines devraient m’ordonner de mettre un terme définitif à la mission d’ici peu.
Mais au milieu de la dispute, j’ai repéré une information cruciale qui pourrait bien me permettre de sauver les derniers lambeaux de mon plan le temps d’en mettre un tout nouveau sur pieds. Ce sera un échec, mais pas un échec total, car je pourrai ainsi donner l’occasion à la DFAO de capturer Allen et Alexy sans fausser complètement ma couverture. A la base, les récupérer et les ramener dans l’un de nos complexes n’était prévu qu’en dernier recours, et avec ma pleine participation, car jouer la carte de nos troupes les retrouvant enfin après plusieurs semaines de fuite, comme par hasard, aurait été bien trop transparent.
Sauf que si Allen décide de s’évader par les catacombes, les possibilités que le Gouvernement nous surprenne sont de nouveau énormément rehaussées. Tenter de battre l’Organisation sur mon terrain, en plein cœur de Paris mais toujours pas en tant que l’ennemi, se révélera certes plus difficile que ce que j’avais prévu à la base, mais toujours pas totalement impossible. Avec un peu de chance, les cartes joueront en ma faveur.
A peine une semaine plus tard, je dois de nouveau intervenir en la faveur d’Allen contre Alexy, dans des conditions qui ont pourtant changé du tout au tout. Et au passage, je dois faire scrupuleusement attention aux phrases que je vais employer.
- De toute manière, me lancé-je en prenant le rôle du médiateur, rester à Paris plus longtemps ne ferait que nous mettre stupidement en danger. Nous pourrons nous concerter pour un compromis plus tard, et personnellement je crois que j’apprécierais de me sentir moins oppressé par le Gouvernement au beau milieu d’une capitale, pas vous ? De mon point de vue – et je hausse la voix tout en détachant mes mots pour me faire entendre clairement -, battre en retraite est plus que judicieux pour l’instant. Le reste peut attendre.
Alexy et Allen me regardent attentivement, et j’espère que cette-dernière en profite pour méditer mes paroles. Je prie silencieusement qu’elle soit raisonnable, qu’elle accepte, qu’elle ne me mette pas plus de bâtons dans les roues que je n’en ai déjà. Comme l’a dit justement Allen tout à l’heure, et je ne peux pas nier être plutôt d’accord avec lui, il serait profitable à tout le monde qu’elle cesse de vouloir causer des ennuis à la moindre occasion.
Je commence à me sentir gêné car aucun d’eux ne se décide à donner suite, mais je le prends comme une victoire et un accord de sa part quand Alexy soupire profondément, quittant la table pour monter à l’étage. Depuis que nous – ou plutôt seulement elle – avons mis les choses au clair entre nous, elle m’a laissé la chambre sans même me demander mon avis et dort discrètement dans le couloir ou dans le salon, en faisant attention à ce qu’Allen ne le remarque pas. Heureusement, parce que je ne suis pas sûr que nous deux dans la même chambre en pleine nuit se terminera bien, quelle qu’en soit la raison d’ailleurs.
Je me rejette dans mon siège, étrangement vidé de mon énergie, sûrement dans l’anticipation de devoir tout recommencer de zéro. Bon, peut-être pas totalement, car j’ai déjà gagné la confiance d’Alexy et plus ou moins d’Allen, mais qui sait comment ils réagiront en plein milieu d’un Quartier du Gouvernement ? Je vais devoir modifier ma stratégie du tout au tout, tout en subissant la déception de Mr. Carren et le sarcasme des autres capitaines, à la fois sur les nerfs et très satisfaits de ma défaite. Cela ne me réjouit pas des masses, mais j’ai fait ma paix avec les obstacles que je rencontre en ce moment. Je suis prêt à me relever. Comme je viens de le dire : battre en retraite est plus que judicieux pour l’instant.
Une phrase absolument pas lancée en l’air par hasard.
Une phrase qui, pour ceux qui m’écoutent secrètement, est très claire.
Une phrase qui veut en réalité dire : lancez nos troupes à leur poursuite et capturez-les à la première occasion plausible qui se présentera.

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