Chapitre 17: Incontrôlables

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-C'est hors de question.

L'Insaisissable grimaça sous son masque. Jonas, à ses côtés, se tendit légèrement. Leur interlocuteur, un jeune homme au regard aussi insolent que malicieux, avait été envoyé par l'une des grosses tête de la pègre: Evan, dit le Voyageur.

L'émissaire était rentré en contact avec eux en affirmant que son clan détenait la jeune Grimmsworth. Conscient de l'aubaine, l'Insaisissable avait pris le risque de se déplacer afin de négocier lui-même, en compagnie de Jonas. Seulement voilà, le clan d'Evan était réputé pour être difficile en affaires.

-Il me semblait que nous avions un accord ?

-Vous aviez un accord avec Buck, pas avec nous.

L'Insaisissable se retint de soupirer. Parmi toutes les personnes envoyées pour la retrouver, il avait fallu que ce soit Evan qui mette la main dessus. Remarque, ça n'avait rien d'étonnant.

-Il me semblait que votre clan et celui de Buck étaient en bons termes ?

-Nous n'étions pas ennemis, oui. Mais il se trouve qu'il a pénétré sur nos terres sans invitation. Avec une armée. Et sur votre ordre je présume.

Jonas ouvrit la bouche pour protester, mais il le retint en levant la main.

-Je ne le nie pas. Mais...

-Le Mouvement Révolutionnaire nous déclarerait-il la guerre ?

La situation devenait tendue. D'ordinaire impassible, Jonas peinant à se contrôler. N'importe quel observateur attentif aurait pu remarquer que les jointures de ses doigts étaient à présent blanches. Et malheureusement pour eux, l'émissaire semblait être un observateur attentif. Il leur offrit son plus beau sourire condescendant.

-Voyez-vous, vous n'êtes pas en position d'imposer vos conditions. Vous voulez la fille et les documents, et ils sont tous deux en notre possession. Si vous tentez de nous mettre la pression par la manière forte, nous entrerons en conflit direct avec vous, et vous n'êtes actuellement pas capable d'encaisser les pertes qui suivront.

Il n'avait pas tort. Envoyer Buck et ses hommes contacter Evan n'avait pas été une bonne idée. A présent, ce dernier pouvait les attaquer à tout moment sous prétexte de représailles. Et même avec le support de Buck, ils n'avaient pas encore assez d'homme pour repousser totalement le clan du Voyageur.

-A vous entendre vous exprimer, grommela Jonas, on pourrait croire que vous représentez le clan...

L'homme masqué se tendit légèrement. Jonas avait fini par craquer, et cela n'annonçait rien de bon.

-Mais je le représente, affirma l'émissaire sans se défaire de son sourire. Et en me manquant de respect, vous lui manquez également de respect.

-Nous n'avons pas à respecter les voyous de votre genre.

-Je vous déconseille fortement de jouer à ce jeu-là. Dois-je vous rappeler que vos têtes, à tous les deux, sont mises à prix ?

Avant que la conversation ne dégénère sur un terrain trop houleux, l'Insaisissable préféra brosser son vis-à-vis dans le sens du poil.

-Soit. Quelles sont vos conditions ?

-Pardon ?

-Qu'attendez-vous de nous ? Nous pouvons vous proposer beaucoup de choses en échange de ce que vous possédez...

-En réalité, pas grand-chose, répondit-il en faisant mine de réfléchir. Le fait est que nous n'avons pas besoin d'argent, et c'est tout ce que vous avez d'intéressant à proposer.

-Vraiment ? Je sais qu'Evan en a après l'homme qui fournit la nicotine à la plèbe.

Il comprit son erreur à l'instant où il vit l'attitude du jeune homme changer brutalement. Son visage se ferma, et son regard brilla de cette lueur assassine, caractéristique récurrente chez les habitants des Enfers. L'Insaisissable se retint de sursauter, tandis que Jonas fit un pas en arrière.

-Ne vous occupez pas de nos affaires, gronda-t-il, menaçant. Nous savons qui il est, et ses jours sont comptés.

-Et vous pensez réellement que votre clan est assez puissant pour faire chuter un Administrateur ? Il s'agit là de l'objectif à long terme de mon organisation. Si nous faisions alliance...

L'émissaire se leva brusquement et fixa l'homme masqué avec fureur.

-Non merci, nous nous débrouillerons sans vous.

Et, sans un mot de plus, il quitta la pièce, laissant les deux hommes confus. Ils restèrent silencieux quelques secondes, avant que Jonas ne pousse un grand soupir résigné.

-Excusez-moi. J'ai perdu mon sang froid.

-Ce n'est pas dans tes habitudes.

Son acolyte haussa les épaules, avant de s'asseoir face à l'Insaisissable, là où l'émissaire se tenait. En une fraction de seconde, il avait retrouvé son visage impassible.

-Je ne peux pas le nier, cette situation me rend légèrement tendu.

C'était tout à fait compréhensible. La première étape de leur projet se concrétisait, et ils étaient sur le point de passer à l'action. Cependant...

-La moindre erreur pourrait être fatale, mon ami. Je ne t'en veut pas, mais soit prudent à l'avenir.

-Bien monsieur, cela ne se reproduira plus.

L'Insaisissable se détendit légèrement, comme lors de chaque fin de négociation.

-Faisons un rapide bilan. Nous contrôlons deux manufactures, et grâce à Buck nous ne manquons ni de combattants, ni de main d'oeuvre. Je souhaiterais néanmoins continuer à gonfler nos rangs.

-Est-ce vraiment nécessaire ?

-Malheureusement. Je crains que nous devrons faire face à Evan, un jour ou l'autre. L'émissaire n'avait pas tort, nous sommes actuellement impuissants face à lui.

-Que voulez-vous après tout ? Les habitants de ces étages sont incontrôlables.

C'était vrai. Ils avaient longuement réfléchi avant de s'allier à Buck par exemple. Ils n'étaient pas à l'abri d'un coup bas.

-Le Voyageur est intelligent, dit-il plus à lui-même qu'à Jonas. Il sait qu'il a avec lui les trois choses qui nous intéressent le plus ici.

-Pourquoi ne pas le laisser faire ? La chute d'Hoffmann nous serait bénéfique.

-Je ne pense pas qu'il s'arrêtera là. Il compte régler le problème à la source. Tout comme nous.

Jonas plissa légèrement les yeux.

-Aucune chance qu'il y arrive sans s'allier à nous. S'il venait à perdre les plans ou la fille...

Une idée germa soudain dans l'esprit de l'Insaisissable. Une idée insensée et complètement folle, mais après tout, il jouait avec le feu depuis sa naissance.

-Laissons-le faire. Malin comme il est, Evan comprendra rapidement qu'il ne pourra pas exploiter les plans sans nos usines.

-Vous proposez de le laisser s'attaquer aux Administrateurs pendant que nous continuons à chercher un Gardien ?

-Laissons-le déjà s'attaquer à Hoffmann. Il n'osera pas approcher Grimmsworth seul, et la maison des Stanford n'est plus une menace tant que le fils n'auras pas pris le pouvoir.

-Et ensuite ?

-Nous échangerons la fille contre une utilisation partagée de nos manufactures.

-Mais alors, les plans...

Porter un masque pouvait parfois être contraignant, dans le sens où personne ne pouvait voir le sourire plein de malice qu'il affichait en ce moment même.

-Ses troupes seront affaiblies après leur petite aventure au 120e. Buck et ses hommes n'en feront qu'une bouchée, et nous récupérerons les plans à ce moment là.

Imperturbable, Jonas n'en était pas moins impressionné. Son chef était un stratège hors-pair, assez culotté pour tenter un coup bas contre un caïd des Enfers. Cette audace couplée à sa ruse étaient la raison pour laquelle son prédécesseur l'avait choisi pour prendre la tête du mouvement. Et c'était également pour cela que l'Eglise n'avait toujours pas mis la main sur lui en deux décennies, là où les précédents leaders du mouvement étaient tous tombé au bout de trois ou quatre ans.

-Soit, répondit-il. Je m'occupe du recrutement comme vous le souhaitiez.

-Non mon ami. Wilson s'en chargera, mais toi, je veux que tu me trouves un Gardien. Même si nous avions deux mille hommes prêts à se battre dans nos rang, ce ne serait pas suffisant pour faire tomber les Modérateurs. Il nous faut l'aide de l'extérieur.

Jonas hocha docilement la tête, avant de se lever et de quitter la pièce à son tour. Il ne demanda pas à son chef d'où lui venait cette foi inébranlable, cette certitude qu'une civilisation existait en dehors de la Tour. Il lui faisait confiance, tout simplement, car c'était durant ses années à la tête du mouvement qu'ils avaient été le plus proche de leur objectif.

L'Insaisissable, resté seul dans la pièce, soupira. Il devrait bientôt bouger à nouveau, pour ne pas se faire repérer par les patrouilles régulièrement organisées dans les étages dans le seul but de le retrouver. Il savait que seul Jonas, au sein des hérétiques, n'avait jamais eu aucun doute envers lui. Ses autres lieutenants, s'ils le respectaient et lui étaient fidèles, doutaient de l'existence des hommes à l'extérieur.

S'ils avaient pu voir sous le masque, ils l'auraient pourtant cru sans hésiter.

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