Mauvais départ
Chapitre 1-Mauvais départ
Il y a bien longtemps de cela, en des temps très anciens et dans une monarchie située sur l'île de Grenadine, gouvernait un roi connu pour sa grande intelligence. Il s'appelait Salomontil le Sage et était l'heureux époux de Bertille la Bienheureuse.
Fait rare pour l'époque, la reine Bertille la Bienheureuse avait mis au monde des sextuplés dizygotes qui avaient tous survécu. Surpris par cet accouchement en surnombre, le roi Salomontil le Sage qui, ce jour là patientait dans l'antichambre, avait prénommé ses nourrissons dans l'urgence et par ordre d'arrivée.
Ainsi, ce fut d'abord trois garçons qui pointèrent le bout de leur nez. Le premier à être présenté au roi son père était robuste et d'assez bonne taille. D'emblée, il lui évoqua le héros légendaire de Troie et sur un ton joyeux, il le baptisa Achille. Bien qu'étonné, Salomontil le Sage s'était réjoui de voir un deuxième bébé s'en venir vers lui. Dans les bras d'une petite servante sautillante et rigolarde, le poupon au visage doux dormait tranquillement. En concordance avec Bazil qui en arabe signifiait " Généreux ", le roi l'appela Basile et en fut très content. Le troisième, quant à lui, replié contre la poitrine large d'une servante aux joues rouges, fut appelé Virgile, car il avait de belles et de grandes mains d'artiste " ... et j'espère une âme de poète... " s'était dit son père en souriant. Sous les yeux éberlués de Salomontil le Sage, le numéro quatre avait fait son entrée dans l'antichambre. Cette fois-ci, il s'agissait d'une fille aux longs cils qu'il s'empressa de nommer tout naturellement Lucille. Ravi par ces nombreuses naissances, le roi s'estima fort chanceux. Et tandis qu'il se tapait sur les cuisses en gloussant, le cinquième nourrisson déboula dans les bras d'une servante au long cou et nez pincé.
Le roi n'en revenait pas !
Stupéfait, mais néanmoins heureux, il fut charmé par le regard profond de la petite poupée qui le fixait droit dans les yeux. Immédiatement, il se dit qu'elle serait sage et réfléchie... un peu comme lui... Il l'associa donc à une prophétesse et la prénomma Sybille.
Cinq descendants ! Et tous, visiblement en pleine santé ! Le roi était aux anges.
Puis, alors que les minutes se décomptaient sans que la porte ne s'ouvre plus et que Salomontil le Sage s'apprêtait à sortir de la pièce, le battant de la lourde porte grinça de nouveau et un sixième bébé lui fut encore emmené.
Le roi en était estomaqué !
Porté par un laquais appelé en renfort par manque de servantes disponibles, celui-ci braillait à poings serrés.
— C'est... c'est... c'est une fi... fille... l'informa en tremblant le jeune homme.
Le roi fronça les sourcils et s'écria :
— Mais quelle râleuse !
Dépassé par l’événement, le valet embarrassé et empoté quitta aussitôt l'antichambre. Il regagna la pouponnière à pas rapides, puis la geignarde au creux des bras, il renseigna le scribe chargé d'inscrire les prénoms des nouveau-nés.
— Elle... elle... s'a... s'appelle Râ... Râleuse, bredouilla-t-il au petit bossu qui nota sur le registre officiel " En ce jour de grâce, à quatre-heures deux, vint au monde Râleuse 1ère du nom, fille de Salomontil le Sage et de Bertille la Bienheureuse. "
Ainsi, alors que le roi n'avait pas eu le temps de l'associer à un prénom comme il l'avait fait pour ses cinq frères et sœurs, la benjamine fut estampillée... Râleuse.
Annotations