3.2 - Fêlures

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De retour à l'appartement, Red se mit en quête du fameux livre offert par Belle, des années auparavant. Elle l'avait rangé si précieusement qu'elle peinait désormais à remettre la main dessus. Elle écuma tous les étages de sa bibliothèque, sa malle à trésors et les piles de feuillets qui encombraient son bureau. Snow la seconda, dévouée, repassant derrière elle, l'œil alerte, sans véritable idée de ce qu'elle recherchait.

— Il a quelque chose de particulier, ce livre ? Un signe distinctif ?

— Il n'est pas vraiment relié. Les pages sont juste agrafées, et la tranche bricolée avec du carton.

Le nez dans ses papiers, Red en libéra une nuée de poussière et se courba dans un puissant éternuement. Les yeux à hauteur des tiroirs du bureau, elle les ouvrit un à un, les retourna tous. Enfin, tout au fond du dernier, elle dégotta le vieux manuscrit, chiffonné et mal relié. Il était moins épais que ceux que Snow avait vus défiler entre les mains de Queen.

La jeune fille se rappela avec nostalgie des week-ends voués à éplucher les paragraphes d'auteurs anonymes, à jouer aux apprenties éditrices aux côtés de sa belle-mère, à tâcher de deviner quels livres seraient retenus par le comité de lecture. Elle n'était pas peu fière d'avoir souvent vu juste.

Un soupir au bord des lèvres, Snow saisit les pages que sa chère lui tendait, puis les mit de côté sur la table de chevet.

— Je le lirai plus tard. On a encore plein de choses à faire d'ici ce soir !

Joignant le geste à la parole, elle empoigna deux coins d'un drap propre. Red attrapa les deux autres et, sans se faire prier, l'aida à refaire le lit.

Après la nuit passée dans son ancienne demeure, Snow s'était mise en tête de rapatrier chez Rosa quelques-uns de ses effets personnels. Peu pratique à transporter, le convertible leur avait causé bien des difficultés mais, à force de stratagèmes, les deux adolescentes étaient parvenues à le glisser jusqu'à la boutique sur un traîneau improvisé avec de vieilles luges. Red avait bien cru mourir écrasée en le hissant dans l'escalier, heureusement ses muscles ne s'étaient pas dérobés. L'effort en valait la peine. L'ancien lit démonté et le matelas remisé, les deux amantes profitaient à présent de la même couchette et pouvaient s'assoupir, lovées tant qu'elles voulaient l'une contre l'autre.

La couette à peine changée, Snow renversa sa petite amie sur le matelas, l'enjamba, l'embrassa. Les mains de Red retenaient sa nuque afin d'éterniser les caresses de leurs langues ; les siennes pressèrent les hanches de la rousse, d'abord timidement, puis s'agrippèrent à son pull et, en soif de chaleur, se glissèrent sous les mailles.

Red tressauta. Ses dents claquèrent. Le goût du sang plein les papilles, Snow éloigna sa langue mordue. Ravalant la douleur comme sa grimace, la bouche de la brune esquissa un sourire désolé :

— Trop tôt ?

— Je... non... Tu... tes mains étaient froides.

— Pardon.

— Non, Flocon, c'est moi... C'est moi qui t'ai mordue. Je suis désolée.

— Ne t'inquiète pas, c'est ma faute. J'aurais dû prévenir, demander...

— Snow.

À genoux face à elle, Red frotta leurs fronts. Ses mains tendres couvrirent les joues de Snow et, du bout des pouces, en chassèrent les larmes avant même qu'elles eussent coulé. Les lèvres rassurantes soufflèrent au creux des siennes :

— Je t'aime.

Cela, Snow n'en doutait pas un instant. Néanmoins, elle regrettait de ne pouvoir rendre à Red son soutien sans faille : elle n'avait été capable que d'écouter sa tragédie sans savoir rien y changer. Celle qui, par amour, n'avait pas hésité à couvrir son meurtre méritait davantage qu'une oreille attentive. Son impuissance la consternait. Incapable de secourir son aimée ; incapable même de refréner ses ardeurs.

Quoique Red le niât, son ancien bourreau avait semé en elle une honte indélébile. Travestie en pudeur, cette inadmissible culpabilité l'empêchait de se laisser aller, d'exposer à la tendresse ses entrailles putrides. Cela, Snow le sentait, le comprenait. Mais elle n'aurait su le respecter, car à ses yeux à elle cette chair n'était que volupté. Si elle osait l'effleurer, l'adorer, peut-être Red l'entendrait-elle. Ses tentatives, pourtant, n'engendraient que la frigidité, que l'autre mettait sur le compte tantôt du froid, tantôt de l'heure, tantôt de la fatigue. Et malgré elle, Snow venait à perdre patience. Les replis répétés de Red esquintaient sa propre estime – et elle s'en voulait même de les ressentir de la sorte.

Comme d'ordinaire, elle conserva le sourire de façade qui rassurerait sa compagne et répondit sans insister :

— Je t'aime aussi.


Le lit fait, elles s'attelèrent à leurs devoirs sur la table de la cuisine, plus spacieuse que le bureau. Red éclaircissait pour Snow les cours de sciences, cette dernière la guidait dans ses dissertations. L'entraide tempérait ce labeur quotidien et, soucieuses de le boucler au plus vite, elles s'efforçaient de rester concentrées.

Durant leur temps libre, Snow enseignait à Red quelques astuces de cuisine, l'autre la divertissait en potins sur le voisinage. Souvent, elles s'étendaient face à face dans le canapé, jambes mêlées, un roman ou le journal en mains, et se livraient quelques bribes de leurs lectures. Parfois, elles sortaient se promener. En l'absence fréquente de Rosa, elles préféraient toutefois l'intimité de l'appartement.

Quand la grand-mère de Red n'officiait pas dans sa boutique, elle traînait à coup sûr au Blue Bird. Il n'était pas rare qu'un voisin débarquât en panique, soit pour ramener la vieille femme titubante, soit pour supplier Red d'accourir calmer une énième colère amplifiée par l'ivresse. Éternelle impuissante, Snow constatait avec peine la charge qui pesait sur les épaules de son aimée et entamait son moral.

Lorsque la sonnette retentit, ce jour-là, le visage de la rouquine s'assombrit. Cependant, comme à son habitude, elle attendit le second signal avant de se lever. Tandis qu'elle prenait en maugréant le chemin de l'escalier, Snow se redressa à sa suite.

— Je peux venir avec toi, je peux être là pour...

— Pour les voir nous regarder comme des bêtes pathétiques ? Non merci. C'est gentil, Flocon. Mais j'aime mieux que tu ne t'en mêles pas. C'est ma responsabilité.

Avant que la jeune fille eût le temps de descendre, la porte en bas se ferma en tintant et des semelles frappèrent les marches. Impossible de confondre ce son de pas trébuchant. Dès qu'elle sut que Rosa était rentrée par ses propres moyens, la figure de Red se détendit un peu.

La vieille dame parut à l'étage, le dos courbé et la mine pompette. Malgré l'agacement palpable, sa petite-fille s'empressa de la soutenir et l'escorta jusqu'à sa chambre.

— Tu peux pas t'en empêcher, pas vrai ?

Rosa ne répondit pas. Faute de justification, ou simplement de lucidité. Elle gagna son lit, où elle se laissa choir misérablement. Dans un accès de colère, Red claqua le battant en sortant de la pièce. Alors, elle rencontra la moue troublée de Snow.

— Je suis désolée, soupira-t-elle, confuse.

Snow vint à elle, entoura ses épaules de ses bras et déposa, tout en douceur, un baiser sur sa tempe furieuse.

— On devrait se préparer, Feu-follet. On va passer une chouette soirée, d'accord ?

Red acquiesça en silence. Un sourire vague plissa ses lèvres. De concert, elles s'en furent vers la chambre pour s'apprêter un peu. Pour la première fois, elles sortaient quelque part, toutes les deux, comme un couple. En couple, mais en secret.

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