3.4 - Insomnie
Douceur obscure, la nuit et les draps enveloppaient leurs corps alanguis. La tête reposée contre sa poitrine, Snow sentait les battements sourds du cœur de Red, le molleton élimé de sa chemise de nuit, l'odeur de son savon noir et son souffle torride qui lui balayait les cheveux. Son bras sur sa hanche resserra son étreinte, sans oser s'aventurer au-delà.
Par-dessus sa tête, l'autre expira suavement.
— Flocon...
— Oui ?
L'index malicieux de la rousse glissa sur la boutonnière de Snow. Parvenus en bas, ses doigts firent sauter un bouton, puis remontèrent tout en la débraillant. Tandis que sa paume se faufilait dans le sillon de la poitrine, Red chercha du bout du nez le visage de Snow.
Frôlement d'arêtes, lèvres mêlées, les papilles en ébullition.
Avec l'accord tacite du corps qui s'offrait à elle, la plus farouche des deux empoigna fermement le sein à portée de main. Un gémissement au bord des lèvres, la brune se pressa un peu plus contre elle. Face à cette supplique tue, Red avança l'autre poigne et, ainsi encerclée par la tiédeur de son amante, pinça les tétons durcis sous ses ongles.
Snow se mordit les lèvres, un bruit d'extase retenu de justesse.
Sa compagne jubilait, et s'amusait un peu à malmener ses pointes. Tout à la délectation, la bouche crispée pour garder le silence, la jeune fille sentait sa rose sensible fondre comme neige au soleil. Toutefois, elle ne se risquait pas à rendre la pareille, de peur de braquer sa chère. La main résolument cantonnée à son aine tendait les doigts peureux à ses poignées d'amour.
Devinant sa retenue, Red l'attrapa et la guida, timide, sous l'épais molleton, jusqu'à son propre sein.
— Si tu veux Flocon, tu peux... un peu.
Snow ne se fit pas prier. D'abord tendre et prudente, à mesure que les muscles de sa douce se relâchaient, elle redoubla d'ardeur. La chemise retroussée, les doigts avides, la bouche gourmande. Comme elle la flattait du bout de la langue, Red lui rendit la politesse, une main griffue à l'assaut de sa nuque. Un frisson transit Snow. Sa chère lui releva la tête pour l'arracher à son torse. Sans prévenir, elle renversa la brune pour goûter son mamelon, puis le mordre.
Cette fois, expiration aiguë.
Red la titilla encore un peu puis s'écarta, fière d'elle.
— Merci, murmura Snow, aussitôt gratifiée d'un baiser sur le front.
Leurs bustes nus s'étreignirent jusqu'à sombrer de fatigue. Ses bras remplacés, Morphée n'avait guère voix au chapitre.
Par quelque jalousie néanmoins, le marchand de sable chatouilla les paupières de l'orpheline. Une heure, voilà tout le sommeil que les dieux, vexés, lui avaient accordé. Plus un grain sous ses yeux : elle était tout éveillée. Pelotonnée contre elle, Red roupillait à poings fermés. Pas l'ombre d'un cauchemar ne froissait son visage. Par égard, Snow demeura allongée auprès d'elle sans remuer et attendit, des minutes puis des lustres, qu'un rêve la graciât. En vain.
À passé trois heures, la rouquine s'enroula en ronronnant dans la couette, ne lui laissant pour couverture que le cafetan frisquet de Nyx. Ainsi Snow s'évada à la dérobée, du lit puis de la chambre. Seule dans le salon, elle rencontra le calme morne et une froidure plus vive. Soudain, l'étrange mélodie exhalée par Red lui manqua. Une angoisse pullulante l'empêcha cependant de regagner sa couche.
Elle ouvrit le placard du bahut où l'on rangeait de quoi s'éclairer et dénicha une lampe-torche. Alors elle entama d'inspecter la pièce au peigne fin. Pas un meuble, pas un coussin, pas un abat-jour, pas même un bibelot n'échappa à sa vigilance. Si un micro ou un objectif se trouvait camouflé quelque part, l'adolescente mettrait la main dessus.
Le salon vérifié, elle passa à la cuisine. Et, alors qu'elle fouillait les placards en quête d'un mouchard dissimulé au fond, une main osseuse s'abattit sur son épaule.
Snow glapit. Le sursaut faillit bien lui décrocher le cœur.
La lampe tendue dans l'espoir d'aveugler son agresseur, elle n'entrevit pourtant que les mirettes éblouies de Rosa. Snow éteignit sa torche.
— Vous m'avez fait une peur bleue !
— Tu cherches une tasse, Snow ? Tu veux une tisane ?
L'haleine de la vieille dame empestait encore un peu le whisky. La jeune fille s'étonna de ne pas l'avoir reconnue à l'odeur. La paranoïa lui faisait perdre les sens. Mieux valait se calmer.
— Avec plaisir, Rosa. Ça me fera du bien.
La grand-mère de Red tituba jusqu'à la cuisine, sortit en un rien de temps le nécessaire des placards, fit chauffer la bouilloire. Snow s'attabla dans le coin de la pièce. L'alcoolique, en attendant, se servit un grand verre d'eau et avala son aspirine.
— Tu es tendue, Snow ?
— C'est ce film, je crois, ça me travaille...
Rosa déposa sur la table leurs deux tasses fumantes et se joignit à elle. Snow raconta Les Mille Yeux du Docteur Mabuse, sous les mimiques amusées de la vieille femme qui s'étonnait sans cesse de toutes ces inventions de science-fiction.
— Vous ne croyez pas qu'un truc ne tourne pas rond dans cette ville ? insista l'adolescente.
— Plus d'un truc, bichette, mais c'est une petite ville, tout le monde se regarde, et tout le monde se juge.
Une gorgée de verveine chaude délia un peu la gorge de Snow.
— Vous connaissez bien Orson et Lorina ?
— Les parents d'Alice ? Eh bien, les sœurs de L'ori... na, quelques unes étaient amies avec ma fille, quand elles avaient ton âge. C'étaient toutes de gentilles filles. Elles ont fait de beaux mariages et ont quitté Hartland. Toutes, sauf la cadette. La petite Lorina. Ça me fait tout drôle de l'imaginer en mère de famille, elle qui était complètement dans la lune.
— Comment ça, dans la lune ?
— Un hiver, elle est restée plantée derrière la boucherie pendant des heures. Le petit Blawst l'a retrouvée presque congelée. Ç'a été tout une histoire... Elle était comme ça, Lorina, dans son monde. Un peu comme sa petite... Ah, Alice, quelle misère !
— Je vous le fais pas dire.
Le nez dans sa tasse, Snow fronça les sourcils :
— Vous pensez pas qu'Orson... enfin... Il leur bourrerait pas le crâne avec des histoires ?
— Oh non, non, pas Orson, démentit la grand-mère. Il les aime tant, toutes les deux. Il les couve un peu trop, c'est vrai, mais il a fait de Lorina une femme respectable. Il... Eh bien, il ne laisserait personne se moquer d'elle.
— Et ça, c'est de l'amour ?
Les joues de la couturière se gonflèrent d'un sourire insistant. Elle fixa Snow un instant et, comme l'adolescente ne se départait pas de ses suspicions, ajouta d'un air taquin :
— Tu ne laisserais personne insulter Red, toi non plus.
La tisane dans le mauvais trou, Snow manqua de s'étouffer. Les pommettes rouges, le cœur fusant comme un coucou, elle entortilla les doigts autour de l'anse.
— Ce n'est pas... J'ai juste... Red est...
Impossible de se justifier. Rosa hochait la tête, les sourcils levés.
— On n'apprend pas au vieux singe à faire des grimaces, jeune fille. Je n'en ai peut-être pas l'air, mais j'ai eu dix-sept ans. Je n'ai plus toute ma tête, mais je ne suis pas idiote. Ma vue me fait faux-bond, mais je ne suis pas aveugle.
— C'est vrai Rosa, soupira l'accusée. Vous avez été là pour moi, donc je vous dois bien la vérité. Red m'a tout raconté. Et tout ce que je sais, c'est qu'elle mérite d'être heureuse. Alors je ne vais pas m'enfuir, je ne vais pas la rejeter, je ne vais pas prétendre que je ne ressens rien. Je comprendrais, si vous ne voulez plus de moi sous votre toit, mais...
— Tu ne peux pas rester.
Snow baissa les yeux. Son honnêteté venait de mettre à mal leur idylle quotidienne, elle s'en mordait les doigts. Mais, alors qu'elle allait quitter la table, Rosa la retint.
— Elle aussi doit partir, déclara la vielle dame. Pas encore, pas tout de suite. Mais le moment venu, vous devrez vous en aller, toutes les deux. Je vois comment elle te regarde, bichette. Je vois comme elle va mieux depuis que tu es là. Alors Snow, promets-moi que tu ne vas pas la laisser croupir toute sa vie dans ce trou. Même si ça implique de me laisser derrière, jure-moi de l'emmener loin et de faire son bonheur.
— Je... je le jure.
Trop abasourdie pour discuter des détails, Snow rumina sa promesse.
Elle n'avait pas hésité. Pas une seconde. Évidemment, le bien-être de Red passait avant tout. Mais comment le garantir ? Comment tenir parole ? Comment fuir Hartland sans craindre que leur passé pût les rattraper un jour ? Il n'existait qu'une assurance à leur avenir heureux : mettre un point final à cette malédiction.
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