1.7 - Discordance

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Le couple Blawst tenait la seule épicerie de la ville. Erwan Blawst en était le gérant attitré, mais on le voyait rarement quitter l'étal de sa boucherie, au fond de l'échoppe, derrière lequel il s'affairait sans relâche à découper la viande. En son temps, cette véritable armoire à glace avait été le champion d'athlétisme du lycée d'Hartland, remporté des compétitions régionales et fait la fierté de sa famille comme de la ville entière. Par-delà l'étal réfrigéré où trônaient les découpes cramoisies, le mur du fond retraçait, de trophées lustrés en photographies sous verres, la fresque d'une gloire passée que le tenancier se plaisait à narrer, chaque fois qu'un client s'aventurait à sa rencontre. À l'époque de sa renommée, on racontait qu'il avait eu un franc succès auprès des demoiselles, parmi lesquelles il s'était bien gardé de choisir une fiancée, ce qui ne l'eut pas empêché de goûter à la chair de l'une puis de l'autre sous prétexte d'inspecter la marchandise. Puis, les années passant et le triomphe déclinant, son physique avait pâti en même temps que son humeur et, du jour au lendemain, il s'était rangé. Il avait fréquenté sa voisine, la tendre et aimable Belle, dont on disait alors qu'elle n'était pas bonne à marier : son esprit rêveur, son goût pour la lecture et son manque d'ambition eussent fait d'elle une vieille fille, si Erwan ne l'avait pas prise pour épouse. Belle travaillait dorénavant pour son mari. Elle accueillait les clients, répondait aux demandes et encaissait les paiements, forte de sa gentillesse légendaire et d'une bonne humeur réputée à toute épreuve.

— Bonsoir mesdemoiselles. Vous désirez quelque chose en particulier ? demanda-t-elle d'un ton enjoué, son plus beau sourire aux lèvres, dès que Snow et Ashley franchirent la porte de l'épicerie.

La fille de Williston fut instantanément séduite par l'amabilité naturelle de la caissière, modestement vêtue d'une robe et d'un tablier dans lesquels elle était tout à son avantage. La lueur chaleureuse de ses grands yeux bruns illuminait tout son visage, dont le ruban qui nouait ses cheveux en queue haute laissait admirer les traits baignés de bienveillance.

Snow tendit à la jeune femme la liste que Queen avait dressée. Alors qu'Ashley et elle emboîtaient le pas à Belle dans les rayons du petit magasin, elle aperçut le colosse qui, retiré dans la pénombre, tranchait à tour de bras les pièces de viande saignantes. Il suait tant que ses poils épais lui collaient à la peau et les cheveux bruns, tombant avec raideur de son crâne cabossé, se plaquaient à ses tempes. Devant pareille bestialité, Snow s'interrogeait sur les qualités insoupçonnées que Belle avait un jour pu trouver à cet homme. Quand bien même les apparences peuvent s'avérer trompeuses, ces deux-là lui paraissaient mal assortis.

— Quel bonheur que Queen soit de retour ! s'exclama Belle en attrapant un pot de miel sur une étagère. Ses sucreries nous ont manqué, les Noëls précédents.

— Quelles sucreries ? demanda Snow.

— La veille de Noël, Queen avait l'habitude de confectionner une grande maison de pain d'épice. Chaque enfant du village qui sonnait à sa porte ce soir-là pouvait en rapporter un morceau. Ta belle-mère a vraiment un cœur d'or !

Belle fit le tour du comptoir et déposa les commissions à côté de la caisse. Elle rentra les prix dans la grosse machine.

— Vingt-trois dollars et soixante-huit cents.

Snow glissa ses billets sur le comptoir. Sa monnaie en poche, elle empoigna le sac gentiment tendu par l'aimable caissière et salua poliment cette dernière. Un regard furtif jeté à la volée vers l'arrière de la boutique, et l'adolescente croisa par malheur les yeux meurtriers du boucher qui la fixait, dents serrées, couteau levé. Comme les deux adolescentes se pressaient de quitter la boutique, Belle lança de sa voix mélodieuse :

— Passe le bonjour à Queen de ma part !

Snow acquiesça d'un hochement de tête tandis qu'Ashley et elle reprenaient le chemin de la maison.

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