1.9 - Prédiction

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Le frottement furieux de la brosse à dents accompagnait sa pensée errante. Snow ne pouvait l'orienter, la contraindre dans la direction qui la rassurait. Elle refusait obstinément de croire que Queen eût pu commettre ce dont Alice l'accusait. Derrière cette malédiction, il devait bien se tapir un fond de vérité. Et comment expliquer que les rêves de sa petite voisine lui eussent jusqu'alors prédit sans se tromper chaque fatal désastre ?

Ses lèvres écumaient la mousse caustique du dentifrice, son esprit torturé par une méfiance bipolaire, quand Queen la rejoignit dans la salle de bain. La femme passa ses bras autour des épaules de l'adolescente, qui se pencha un peu pour cracher les bulles mentholées qui picotaient sa langue. Relevant la tête, elle rencontra leur reflet dans la glace. Queen était presque comme une mère. Elle, faire du mal à de pauvres enfants ? Ce n'était qu'un ramassis de rumeurs grotesques !

— Mon beau miroir, chantonna sa belle-mère, dis-nous qui est la plus belle !

Quelques secondes s'écoulèrent sans qu'aucune ne bougeât.

— Pas très loquace, le miroir ! railla Snow.

Queen passa un doigt dans les cheveux de la jeune fille ; un ongle pointu démêla les mèches agrégées par le froid.

— Il n'a pas besoin de le dire. On voit bien que c'est toi, la plus jolie de nous deux !

Fière de son compliment, la femme sourit et plaqua un baiser sur la joue pâle de Snow.

— Bonne nuit, Boule-de-neige, lança-t-elle en quittant la pièce. Ne va pas te coucher trop tard.

— Bonne nuit...

Suivant cette recommandation, la jeune fille se mit au lit sans tarder, mais il lui fut impossible de fermer l'œil. Elle regardait les aiguilles galoper sur le cadran du réveil. Au fur et à mesure que les minutes s'écoulaient, sa curiosité croissait. Que pouvait bien contenir le coffret posé sur la bibliothèque du salon ? Après s'être laissé dérober deux heures par le doute, Snow repoussa finalement ses couvertures et se leva. Elle ne jetterait rien qu'un coup d'œil. Ça ne coûtait rien et, puisque Queen n'avait assurément rien à cacher, elle pourrait retourner se coucher l'esprit tranquille.

À pas de loup, elle s'introduisit dans la chambre de sa belle-mère. Celle-ci dormait à poings fermés. La jeune fille ouvrit doucement le tiroir de la table de chevet. Exactement comme l'avait dit Alice, elle y trouva une clef dont la taille semblait correspondre à celle de la serrure qui scellait le coffret. Le précieux métal dentelé en main, Snow descendit au salon. Elle tira les rideaux de la baie vitrée afin d'éclairer un peu la pièce à la lueur de la lune. Puis elle se saisit de la boîte, enfonça la clef dans la serrure et tourna. Elle souleva le couvercle. Ses yeux s'écarquillèrent, tandis que le dégoût s'étalait sur sa face. L'effroi lui montait à la gorge et elle porta une main à sa bouche pour contenir le cri bientôt expulsé. Un gémissement si incisif qu'il lui saigna la langue. Ravalant sa salive ferreuse, elle remit le coffre en place, puis la clef, effaçant toute trace de son voyeurisme.


Cette nuit-là, le sommeil lui fit faux-bond. Chaque fois qu'elle se décidait à clore les paupières, la même image lui sautait de nouveau aux rétines. Ce cœur complètement desséché, rendu gris par le temps, serré au fond de la boîte.

Si Alice ne mentait pas, on l'avait arraché à la poitrine d'un enfant innocent. Pourquoi Queen possédait-elle cet organe flétri, digne d'un cabinet de curiosités ? Pourquoi le gardait-elle sous clef, sinon pour dissimuler l'unique preuve de son crime ? Alice avait raison. En tous les cas, Queen n'était pas la belle-mère douce et généreuse dont elle se donnait l'air. Bientôt, l'angoisse prenait le dessus. Snow cherchait par quel moyen elle se tirerait d'affaire : comment quitter la ville et fuir cette femme au passé sombre ?


Le lendemain matin, comme la veille, Ashley sonna à la porte. Snow courut la rejoindre à l'extérieur sans un au-revoir pour sa belle-mère. Accompagnées d'Alice, elles gagnèrent le lycée. Il devenait difficile de se frayer un chemin dans la couche de neige qui couvrait les trottoirs. Cette incessante tombée de flocons faisait-elle, elle aussi, partie de la malédiction ?

Comme le jour précédent, Snow sentit peser sur elle les pupilles perçantes de Red Wood. Aussi subtils fussent ses regards en coin, l'adolescente savait qu'on ne la lâchait pas des yeux. Elle développait les sens vifs d'un gibier talonné. La traque s'éternisait. Si elle gardait ses distances, la fille au manteau rouge épiait toutefois chacun de ses gestes.

Le soir venu, avant de quitter le lycée, Snow déposa quelques affaires dans son casier. La succube rousse, qui manifestement disposait du compartiment voisin, se trouvait là.

— Snow, lâcha-t-elle, c'est un prénom de saison !

L'intéressée fit mine de ne n'avoir rien entendu. Elle referma le battant métallique et tourna les talons, ignorant complètement l'effrayante tueuse qui s'adressait à elle. De toute manière, dans son dos, Red continuerait sa surveillance acharnée. Ce regard-là lui fendait les chairs, il pouvait voir à l'intérieur tous ses muscles tremblants. Snow n'en laissait rien voir, mais elle mourait de peur, à petit feu, à l'étouffée.


Alors qu'elle quittait Ashley dans l'impasse, une boule se gonfla dans les entrailles de l'adolescente. La seule idée de croiser Queen en rentrant lui nouait l'estomac. Se tenir dans le salon, dans la même pièce où un cœur inerte, exsangue, trônait dans son carcan sculpté. Révulsée, Snow traîna les bottes jusqu'à l'aire de jeu, entaillant la neige dans son sillage. Les cheveux blonds d'Alice volaient au vent, comme elle se tenait assise, les jambes dans le vide, sur le tube du toboggan. Snow grimpa l'y rejoindre et prit place auprès d'elle, sous le toit ruisselant de poudre fondue.

— Tu avais raison, reconnut-elle. J'ai vu ce que contenait la boîte.

— Ce n'est pas tout, déclara Alice.

La nouvelle venue l'interrogea du regard.

— J'ai fait un rêve cette nuit, raconta la petite. Le chat est venu me chercher et il m'a tout montré. J'ai vu ton destin, Snow. Et je suis certaine que c'est la catastrophe dont je te parlais hier.

— Qu'est-ce que tu as vu, Alice ? Qu'est-ce qu'il va m'arriver ?

La jeune prophète tira une grosse sucette de sa poche et commença à en défaire minutieusement l'emballage.

— Ton père est mort, pas vrai ? C'est arrivé peu de temps après qu'il ait épousé Queen. Tu ne trouves pas que c'est une sacrée coïncidence ?

— Ça n'a rien à voir, il avait une leucémie...

— Peut-être qu'elle était au courant, alors. Elle n'aimait pas ton père ; elle ne t'aime pas non plus. Elle s'est servie de vous. Elle a vécu à vos frais pendant des années, loin des rumeurs qui pesaient sur elle ici. Et elle est revenue à Hartland avec toi. Tu n'étais qu'un passeport, une façon pour elle d'acquérir un statut de mère exemplaire et de dissiper sa mauvaise réputation. Mais elle n'a plus besoin de toi, maintenant. Alors elle va t'éliminer.

Un violent frisson tordit le dos de Snow.

— Ce... ce n'est pas possible, bredouilla-t-elle. Elle ne ferait pas ça... Et puis c'est stupide, ce que tu dis ! Si elle me tuait, tous ses efforts n'auraient servi à rien !

— Détrompe-toi. Tu pourrais mourir par accident. Alors tout le monde éprouverait une sincère compassion pour Queen, qui aurait perdu sa belle-fille adorée. Imaginons, par exemple, que tu meures empoisonnée.

— Empoisonnée ? répéta Snow, sceptique.

— Tout à fait. Ta respiration pourrait s'arrêter net, après que tu aies croqué dans une simple pomme. N'avale rien qui vienne d'elle, c'est compris ?

Snow promit de ne rien manger de ce que lui servirait Queen. Après quoi Alice bondit de son perchoir et courut en direction de sa maison avec, comme toujours, pour unique salut un rapide signe de main.

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