Night Riders
L'aiguille du compteur monte rapidement. Je passe les vitesses méthodiquement , sans regarder le compte-tours , j'ai appris à connaître le moteur aux sons plutôt qu'aux instruments , question d'habitude et de concentration. En parlant de sons et de mécanique , je remarque seulement que le puissant V8 couvre tout autres sons. Je n'entends même pas les deux voitures qui me collent au train , juste le hurlement des cylindres et le bruit de la tôle secouée par les vibrements de cette machinerie infernale.
Je n'arrive pas à déterminer si les latinos sont toujours derrière nous ou non. Peu importe , il faut que je m'arrête , si je ne le fais pas le moteur s'en chargera tout seul. Il faut dire que ma pauvre guimbarde a pris des sales coups ce soir... De la tôle froissée , des impacts de balles , on a failli y rester tous les deux... Le son du moteur devient irrégulier , de la fumée s'échappe du capot et dans l'habitacle par les sorties de la ventilation. Je ralentis , l'aiguille du compteur descend lentement. Je monte sur la chaussée et commence à freiner doucement , le V8 finit par lâcher dans une série de soubresauts peu avant que la voiture s'immobilise complètement. La fumée devient plus épaisse. Je n'ai pas choisi le meilleur endroit pour m'arrêter... Une grande allée de plusieurs centaines de mètres complètement dégagée , totalement vide. Au moins on a de la visibilité , si les latinos débarquent on les verra arriver de loin.
Les deux voitures qui me suivaient s'arrêtent juste derrière moi. J'arrive tant bien que mal à ouvrir la portière et tombe comme une masse sur le bitume froid , face contre terre. L'un des conducteurs accourt et essaye de me relever , les quatre autres personnes avec lui sortent des deux autres véhicules. Je me retrouve debout à moitié avachi sur son épaules , il me ramène au niveau du SUV noir et me colle contre la portière. Il me tape doucement sur le visage puis plonge ses yeux dans les miens. Ça bouche s'ouvre et se ferme mais je n'entends rien d'autre qu'un acouphène strident. Mes yeux finissent par glisser dans le vague. Une fille le pousse et prend le relais , elle me met une lumière désagréable dans les yeux et manipule mon épaule , je me rappelle enfin comment j'en suis arrivé là... La rencontre , l'échange , les coups de feu puis la sensation foudroyante dans mon épaule , la précipitation et enfin la course-poursuite... Je baisse les yeux sur mon épaule et aperçois enfin ma blessure , le trou dans mon épaule , ma chemise imbibée de sang... Ça n'a pas l'air encourageant. En voyant l'étendue des dégâts mon "infirmière" ne peut retenir un rictus qui ne présage rien de bon. Je me rend compte que mes sens sont brouillés faute de sang pour irriguer tous mes organes , je suis sourd et ne sens plus rien . Il me reste la vue , rien d'autre. Elle finit par m'allonger à l'arrière du SUV. J'ai juste le temps de me retourner et d'apercevoir des phares au loin juste avant que la portière ne claque. Les latinos. Tout le monde remonte en voiture , les moteurs s'ébranlent et les pneus crissent. Je me redresse difficilement sur le siège et regarde une dernière fois ma vieille américaine fumante , rétrécissant petit à petit. Les latinos arrivent à son niveau , l'un d'eux jette quelque chose sur la carrosserie. Un cocktail molotov. La bouteille éclate contre le métal , répandant son contenu qui s'enflamme immédiatement et engloutit ma voiture. La peinture fond , les vitres éclatent , la sellerie s'embrase et... Petit cadeau pour les latinos. Sous le sièges est installé un kit d'injection de protoxyde d'azote , hautement explosif. Le feu mange la sellerie et commence à attaquer l'injecteur ainsi que les deux réservoirs. La chaleur les faits explosés en même temps , dégageant d'énormes flammes bleutées qui illuminent la nuit tandis que la voiture se retrouve tirée de terre sous la puissance du souffle. L'onde de choc projette lourdement les deux latinos qui s'étaient arrêté pour finir de détruire la voiture si jamais les flammes s'étaient éteintes , sûrement pour le goût des choses bien faites , d'un message bien passé. L'onde fut tellement puissante que les vitres de leur Impala bleu garée quelques mètres plus loin éclatèrent. Au moins elle aura eu des funérailles Viking , il y a pire pour une voiture , c'est toujours mieux que la casse... C'était la première voiture que j'avais rénovée avec mon frère... Je vais peut-être claquer d'ici quelques heures et tout ce que j'arrive à penser c'est à comment je vais faire pour lui annoncer que j'ai perdu la voiture... Peut-être que ce soir , finalement , on mourra ensemble...
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