Chapitre 19

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Le gynéco - le remplaçant du mien qui était en congés - nous a fait entrer dans la salle d’échographies et nous a priées de nous asseoir un moment avant l’examen.

Il a vérifié les derniers examens réalisés et m’a posé quelques questions de routine.

Je l’ai vu attraper un disque en carton qu’il a fait tourner en étant très concentré.

- Alors, vous en êtes à 14 semaines d’aménorrhées + 3 jours…

Je n’ai pas su si c’était une question ou une affirmation. Et comme je n’étais pas sûre de la réponse, j’ai donc répondu avec hésitation et en plissant les yeux :

- Oui...

Je continuais de faire des calculs mentaux, en levant les yeux au ciel. Je ne comprenais rien à ces histoires de semaines d’aménorrhées par rapport aux semaines de grossesse. Il fallait rajouter 2 semaines au nombre de semaines de grossesse pour avoir le nombre de semaines d’aménorrhée et donc en retirer 2 au nombre de semaines d’aménorrhée pour avoir le nombre de semaines de grossesse ? Non, c’était le contraire, plutôt ? Bon ! Je vérifierai tout ça plus tard ! C’est sûr qu’avec ce disque, ça devait être plus facile.

J’ai vu Justine qui réprimait un fou rire du coin de l’œil. Ah, non, ça va pas recommencer ! Dans le bureau du toubib, la honte, quoi... Je lui mis un petit coup de coude. Je la voyais hocher doucement de la tête, en clignant longuement des yeux, comme pour me demander pardon et se concentrer sur la consultation. Elle soufflait doucement pour tenter d’évincer ce vilain écart de conduite. Mais je sentais qu’elle allait se moquer de moi, dans la voiture :

- Tu connais pas ton âge de grossesse ?

Et je lui répondrais gentiment en joignant mon pouce au reste de mes doigts, comme un clapet:

- Bon, ça va, toi… tu sais même pas de quoi tu parles !

- C’est pas faux, avouera-t-elle.

On allait bien se marrer, sur le trajet du retour !

- Allongez-vous, a dit le gynéco en tendant la main vers la table d’examen derrière moi, me tirant de mes rêveries.

Ce que j’ai fait. Il a remonté mon t-shirt un peu plus que ce que j’avais déjà fait. Puis, a ouvert et secoué un tube de gel.

- C’est froid...m’a-t’il dit juste avant d’appuyer sur le tube afin d’en extraire un peu de gel pour l’appliquer sur mon abdomen.

Je sursautais légèrement en sentant ce truc froid et gluant toucher mon ventre. Il m’a prévenue, au moins. Il a approché la sonde qu’il a placée sur mon ventre et s’est assis en même temps sur un tabouret à roulettes en scrutant l’écran à côté de ma tête. Il déplaçait la sonde sur mon ventre et le gel froid s’étalait sur des parties de mon abdomen encore sèche. Je sentais la chair de poule qui tirait ma peau et la faisait frissonner.

Le gynécologue a fait des calculs, a appuyé sur plusieurs touches du moniteur, et n’a pas dit un mot pendant plusieurs minutes, à part quelques sons incompréhensibles qu’il marmonnait pour lui-même, certainement. Mes yeux étaient fixés sur l’écran. Par moments, Justine et moi échangions des regards, et des sourires. On reconnaissait des mains minuscules, un petit nez...

Il a baladé la sonde sur la totalité de mon ventre.

- …

Il s’est raclé la gorge…

- Madame, - il a retiré ses lunettes en tournant son regard vers moi - je regrette d’avoir à vous dire ça, mais je ne perçois qu’un seul fœtus… Il va très bien par contre, ne vous inquiétez pas.

- D’accord, ben c’est pas grave. On verra mieux l’autre une autre fois.

- …

- En plus, je sais déjà qu’il s’agit d’une petite fille et d’un petit garçon, non ?

- Tu le sais depuis quand ?

- C’est ce que j’espère, c’est tout. Je le sens...

- Madame, il n’y a plus qu’un seul fœtus, m’a-t’il gentiment coupé la parole.

- ...

J’ai senti la main de Justine prendre la mienne.

J’ai tourné mon regard vers nos mains, l’une dans l’autre, la bouche entrouverte. Je la regardais à présent d’un air ébahi, puis j’ai à nouveau tourné la tête vers ce médecin que je ne connaissais pas mais qui pourtant venait de m’annoncer quelque chose d’assez grave.

- ...

J’étais comme paralysée, tout-à-coup. Je fixais l’écran de l’appareil à échographie, espérant y trouver une explication supplémentaire à ce qu’il était en train d’essayer de me dire. Je voulais y trouver une infirmation, tentant de percevoir quelque chose, malgré qu’il ait retiré la sonde de mon abdomen. Ce qui, au final, n’aurait rien changé car j’étais bien incapable de comprendre quoique ce soit à ces images en noir et blanc.

Pendant un temps indéfini, je restais sans voix, comme si je me trouvais dans un rêve, hors de mon corps et que je m’observais, d’un peu plus loin. Je n’aurais su dire si j’étais triste, en colère ou apeurée, et je ne le sais toujours pas quand je repense à ce moment hors du commun. Les sentiments étaient comme coincés, enfermés quelque part, et ne voulaient en sortir, me laissant là, désemparée et en proie à un vide profond.

Après plusieurs dizaines de secondes - il s’est peut-être passé un quart d’heure, qui sait ?-, je daignais m’arracher à cette apathie et forçait les mots à sortir de ma bouche :

- Je l’ai perdu?

- Oui, Madame. Je suis désolé.

- Mais, comment ça se fait que je n’ai rien senti? Je m’en suis même pas rendu compte...

Je savais que c’était moi qui parlait, mais je ne reconnaissais pas ma voix. C’était comme si quelqu’un d’autre me possédait afin de me forcer à continuer à vivre. Il ou elle avait pris le contrôle de mon corps.

- Vous avez peut-être eu des saignements dernièrement.. ? Des maux de ventre ?

- Des maux de ventre, j’en ai toujours plus ou moins… et des saignements, oui, mais on m’a dit que ça pouvait être… euh... on appelle ça les règles anniversaire, non ?

- …

- Ça correspondait, au niveau de mon cycle… Et les saignements étaient faibles.

Il a hoché la tête en clignant fermement des yeux et en pinçant les lèvres en signe de soutien. Il a longuement soupiré.

- Oui, ce phénomène existe, en effet. Dans le cas présent, vous avez fait une fausse couche précoce. Certainement au moment où vous avez eu des saignements.

- Quoi ? Mais pourquoi on me l’a pas dit avant ?

- De quand date votre dernière échographie ?

Il a repris mon dossier.

- Y’a un mois, je dirai, grosso modo.

- Ah oui. Les deux fœtus étaient encore vivants et en parfaite santé, a priori. Cela a du arriver après.

- J’ai eu des saignements quelques jours après. Pourquoi on m’a pas fait une échographie pour vérifier ?

- Parce que nous devions penser que ce n’était pas utile. Une échographie reste un examen relativement invasif pour le bébé. Nous n’en faisons que lorsque cela est nécessaire. Cela n’aurait rien changé, de toute façon.

J’étais plus en colère que triste, à présent.

- Je l’aurais su quand c’est arrivé. Pour vous, ça change rien, mais pour moi, c’est important.

- Je comprends.

J’ai soupiré très fort.

- J’aurais du perdre beaucoup plus de sang, en faisant une fausse couche, non ?

- Eh bien, je ne sais pas ce que vous appelez « beaucoup ». Il n’y a pas de norme, à vrai dire.

- Et qu’est-ce qui va se passer maintenant ?

- Rien, vous semblez en parfaite santé, le fœtus présent lui aussi. Vous n’avez plus de saignements, pas de maux de ventre. La grossesse va se poursuivre normalement.

- ...

Il m’a tendu une feuille d’essuie-tout :

- Vous pouvez vous rhabiller.

Il s’est levé et s’est rendu derrière son bureau.

- C’est assez fréquent vous savez, a-t’il poursuivi un peu plus fort.

- De perdre l’un des deux bébés quand on attend des jumeaux?

- Oui.

- C’est horrible !

- Je comprends… Considérez que le fœtus qui n’a pas survécu n’était pas en assez bonne santé pour survivre… Je ne dis pas ça pour vous rassurer. Vous n’auriez certainement rien pu y faire.

- ...

- Vous pouvez prendre rendez-vous avec un psychologue, ici à l’hôpital, ou plus près de chez vous si vous préférez...

- Non, merci, ça ira.

Il a hoché la tête en signe d’approbation, m’a tendu mon dossier et donné mon prochain rendez-vous. On s’est serré la main et Justine et moi avons pris congé.

On ne s’est ni regardées ni parlé avant d’être entrées dans la voiture, elle et moi.

                    ***

- Ça va aller ? Tu veux que j’appelle Séb ?

- Oui, ça va aller… je me sens bizarre, mais ça va passer. Je vais l’appeler quand on sera rentrées, si ça te dérange pas… Il faut que je reprenne mes esprits afin de savoir comment lui annoncer ça.

- Non, bien-sûr.

On n’a échangé aucun mot pendant le trajet de retour. En rentrant, j’appelais Sébastien.

Il était atterré. Et inquiet pour moi, ce qui me faisait du bien, car c’était pas souvent. Justine est restée avec moi à la maison jusqu’à ce qu’il rentre. Il était ailleurs, parlait très peu. Justine lui a simplement fait la bise en frottant son dos en signe d’amitié, puis s’est éclipsée en m’envoyant un bisou de la main. Je lui ai fait un petit sourire en retour, pour la rassurer. J’allais bien, et mon bébé aussi.

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