Chapitre 28
- Il est où ce foutu noyer, déjà? J’ai pas que ça à faire, moi ! râlais-je dans ma barbe en cherchant l’arbre des yeux, roulant au pas avec mon 4*4, les feux de croisement allumés.
Jean-Pierre, mon voisin exploitant de vaches laitières m’a dit avoir oublié sa visseuse juste derrière. Et m’a demandé si je ne pouvais pas la lui récupérer. Il abuse, mais bon, parce que c’est lui, j’allais le faire. Il commençait à faire nuit, et il n’y verrait rien, de toute façon. C’était un vieux croûton, maintenant.
- Tu devrais pas dire ça...
- Oh toi, c’est pas le moment, ai-je marmonné à l’attention de ma conscience.
On peut pas parler, avec elle.
Au moment où j’apercevais l’arbre en question, la visseuse posée par terre contre son tronc, j’ai également entrevu une silhouette, assise derrière un autre arbre, un peu plus loin. Je suis sortie de mon véhicule sans même prendre le temps de fermer la portière. J’étais un peu affolée : c’était ma nouvelle voisine. Je me demandais ce qu’elle faisait là à une heure pareille, dans son état. Elle ne m’avait pas entendue, ce qui était étonnant. Qu’est-ce qu’elle faisait ? Elle parlait et faisait des gestes avec ses mains… Je ne voyais pourtant personne d’autre. Personne n’avait l’air de lui répondre. Mes joues ont commencé à chauffer. J’aurais voulu ne jamais voir ça. Je toussais pour annoncer ma présence, et ai volontairement marché sur des branches et des feuilles mortes pour faire du bruit et ne pas lui faire peur. Elle s’est levée très vivement en émettant un hoquet de surprise et a essuyé ses joues d’un revers rapide. Elle paraissait gênée.
- Pardon, je ne voulais pas vous faire peur. Vous n’aviez pas l’air bien… Comme la nuit tombe, je peux peut-être vous raccompagner ?
- Non, c’est bon !
Elle s’est tournée et a presque pris la fuite.
- Ne courez pas !
- J’en ai assez que tout le monde me dise ce que je dois faire ! m’a-t’elle répondu d’un ton abrupt en se retournant vivement.
Elle a soupiré, avec l’air résigné, ça m’a fendu le cœur.
- Pardon, je ne voulais pas être agressive...
- C’est de ma faute, je l’ai bien cherché, ça me regarde pas.
- ...
- Venez, je vais vous ramener.
Elle s’est avancée vers mon véhicule et a eu l’air d’hésiter lorsqu’elle s’est retrouvée devant la portière de la voiture. Elle l’a finalement ouverte, et s’est assise. Je commençais à me rendre vers la voiture puis ai tourné les talons d’un coup sec :
- Ah oui, la visseuse, c’est vrai, ai-je marmonné, encore émoustillée par ce qui venait de se passer.
J’ai rapidement ramassé l’outil, puis me suis rendue vers ma voisine, qui leva d’un coup les yeux pour fixer un point imaginaire.
On est restées quelques minutes à regarder droit devant nous. Elle, paraissait encore assez agacée. Mais je sentais sa gêne, quelque part, bien cachée sous une couche de consternation et de tristesse.
- Moi, quand je suis très énervée, je prends un club de golf et je tape sur mon lit et sur mes coussins.
- Et ça vous soulage ?
- Plutôt, oui.
- Ça ne laisse pas la colère déborder, au contraire ?
- Non, pas chez moi, en tout cas. Il vaut mieux ça que taper sur quelqu’un ! On a tous besoin de se décharger physiquement.
- J’essaierai… a-t’elle répondu
Après plusieurs minutes, elle a ouvert la portière pour sortir de mon véhicule.
- Je peux vous ramener, vous savez !
- Non, merci, je préfère marcher. Ça, ça m’aide beaucoup à évacuer la colère. En plus, je n’ai pas de club de golf...
J’ai rigolé et elle, a soufflé du nez en esquissant à peine un sourire. Les commissures de ses lèvres ont formé un point virgule sur sa joue droite.
- Bon, à bientôt, a-t’elle bafouillé en fronçant les sourcils.
J’ai seulement réussi à esquisser un sourire.
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