Journée 1 : L'enfer existe, il s'appelle Springton High' - Partie 2
Nous nous dirigeons vers le fond de la salle, à la recherche d'un coin tranquille pour nous poser. Notre chemin nous guide vers une table isolée, positionnée tout près d'une grande fenêtre à l'ancienne, dont les vitres sont teintées par le temps. En nous asseyant, je remarque comment cette fenêtre encadre parfaitement le paysage extérieur, elle agrémente notre table d'une sorte de tableau vivant.
Le soleil de midi, doux, chaleureux, inonde la pièce de ses rayons dorés. Ils se faufilent à travers les feuilles des arbres qui ondulent doucement avec le vent. Cette lumière apporte une sensation presque magique, comme si le temps ralentissait pour nous offrir un instant d'éternité.
Cet enchantement, troublé par le souvenir de la tension que je viens de vivre, rend le contraste encore plus saisissant. Il y a quelque chose d'étrange, presque surréaliste, à passer d'un moment de stress intense à cette quiétude presque céleste. Le poids de l'angoisse me quitte peu à peu, remplacé par la sérénité de l'instant présent.
Maya, sentant probablement mon trouble, me jette un regard empli de compassion. Une profondeur à son expression déjà riche en émotions. Sans dire un mot, nous partageons ce moment, en nous imprégnant de la tranquillité offerte par ce coin paisible, tout en essayant d'oublier les épreuves de ce matin.
— Je suis désolée, Virginia, a commencé Maya, en jouant avec la fourchette de sa salade. Je n'aurais jamais pensé que Lia et sa bande te prendraient pour cible dès le premier jour.
Je lui ai offert un sourire rassurant.
— Ne t'inquiète pas pour moi. Ce n'est pas la première fois que je fais face à des garces de ce genre. Mais je dois avouer que je ne m'attendais pas à ce qu'elles soient aussi... directs.
Maya a soupiré.
— Lia a toujours été la reine de ce lycée. Elle aime le pouvoir et la domination, elle fera tout pour garder les choses comme elles sont. Je suis juste surprise qu'elle ait vu en toi une menace dès le début.
J'ai haussé les épaules.
— Peut-être que c'est à cause du débat en classe. Ou peut-être qu'elle n'aime tout simplement pas ma tête.
Maya rit.
— Tu sais, je pense que c'est parce que tu lui as tenu tête. La plupart des gens ici ont peur d'elle. Ils préfèrent se soumettre que de se confronter à elle. Mais toi, tu es différente. Et ça la dérange.
J'ai regardé autour de moi, remarquant quelques élèves qui jettent des regards furtifs dans notre direction.
— Tu crois qu'ils parlent de nous ? demandé-je.
Maya suit mon regard.
— Probablement. Mais ne t'en fais pas. Ils vont s'y habituer. Et puis, tu as gagné quelques points aujourd'hui en classe. Certains respectent ça.
— J'espère que tu as raison, murmuré-je.
La sonnerie, stridente, familière, éclate dans l'air, mettant fin aux rires, aux discussions qui animent le réfectoire. C'est le signal qui annonce la fin de la pause déjeuner pour le début de l'après-midi scolaire. Autour de nous, les élèves se lèvent précipitamment, échangent leurs derniers mots ou finissent rapidement leurs desserts.
Maya, avec son sens pratique habituel, a commencé à rassembler nos déchets sur les plateaux. J'ai imité son geste. Ensemble, nous nous sommes frayé un chemin parmi la foule d'élèves qui se dirigent vers les poubelles et la sortie. Les voix s'entremêlent, crée un bourdonnement constant, tandis que les effluves des repas récents flottent encore dans l'air.
Mais juste avant de passer la porte du réfectoire, un pressentiment me pousse à jeter un dernier coup d'œil derrière moi. Lia, avec sa longue chevelure brillante, est assise majestueusement à sa table habituelle. Comme toujours, elle est entourée de son groupe d'amies fidèles, sa cour, qui l'écoutent avec admiration et rient à ses moindres plaisanteries.
Nos regards se sont inévitablement croisés. Les siens sont intenses, presque brûlants, ils me dévisagent de façon menaçante, une lueur défiante étincelle dans ses prunelles. Son expression trahit une assurance, une confiance qui me glace le sang. C'est désormais clair : notre rivalité ne fait que commencer. Maya, qui remarque mon hésitation, me tire doucement par le bras, me ramenant à la réalité.
— Tout va bien ma belle ?
— Oui, tout va très bien, hoche-je la tête, essayant de chasser l'image de Lia de mes pensées.
— Tu m'accompagnes aux toillettes, Virgie ? J'ai soudainement une envie préssante à cause du jus de mangue.
— Ok, allons-y, dis-je tout sourire.
Le carrelage froid du couloir, contraste avec la chaleur de l'extérieur, picote mes pieds à travers mes chaussures. L'atmosphère lourde me pèse depuis que nous avons quitté le réfectoire. Maya, marche à mes côtés, lance des coups d'œil de temps en temps, inquiète de me voir si distante. Elle sent, tout comme moi, que quelque chose ne va pas. Peut-être cette ombre dans le regard de Lia, cette étincelle provocatrice qui me hante depuis tout à l'heure. Ou peut-être est-ce un autre sentiment, plus profond, que je ne parviens pas à identifier. L'inquiétude se mêle à l'anticipation, une tension presque palpable se crée entre Maya et moi.
Alors que nous approchons des toilettes, je me concentre sur le son de nos respirations. Mais tout à coup, avant même que nous n'ayons pu atteindre la porte, celle-ci s'ouvre avec fracas. Lia, suivie de près par Taylor et Rose, ses deux fidèles soldates, apparaît derrière nous. Elles nous poussent dans les toillettes, leurs silhouettes imposantes bloquent entièrement l'entrée. Leur présence change immédiatement la dynamique de la pièce. Lia, avec ce sourire narquois qu'elle maîtrise si bien, accore mes yeux. Taylor et Rose, quant à elles, se tiennent légèrement en retrait, leur attitude hautaine accentue la tension déjà existante.
Maya et moi nous sommes arrêtées net, prises au dépourvu. Un silence glacé enveloppe les toillettes. Je sens une sueur froide perler à mon front, mes paumes deviennent moites. Instinctivement, je serre les poings, en canalisant l'agitation qui bouillonne en moi. C'est électrique ici, comme une étincelle sur le point de déclencher une explosion. Je me suis demandé comment cette situation va se dénouer. Il faut que Maya et moi sortions de ce guet-apens, avant que les choses ne dégénèrent.
— Tiens, tiens, mais c'est la nouvelle star de Springton High', a craché Lia, me dévisageant avec dédain.
J'ai essayé de garder mon calme.
— Je ne suis pas ici pour me battre avec toi, Lia. Nous sommes juste venues ici pour—
— Pour quoi ? Me coupe-t-elle. Prouver que tu es meilleure que nous ?
— Non, ai-je répondu fermement. Je suis ici pour aller en cours et apprendre. Rien de plus.
Lia a ri, un son aigu et méchant dans son timbre de voix.
— C'est drôle, parce que je pensais que tu étais ici pour tenter de nous éclipser. Mais tu devrais savoir que personne est au-dessus de nous à Springton High.
— Bon allez c'est bon je me casse, dis-je en les bousculant.
Je me rapproche de la porte, cherchant désespérément une issue à cette situation infernale qui se complique de seconde en seconde. Mais en un éclair, Maya, d'un mouvement rapide, se place devant moi, dans le but de verrouiller la sortie. Son visage, généralement doux, bienveillant, est désormais tendu, ses traits tirés par une décision manifestement pas de son propre chef.
— Maya, qu'est-ce que... qu'est-ce que tu fais ?
— Désolé, Virginia. C'était toi ou moi, a-t-elle déclaré, sa voix étonnamment ferme.
— Quoi ?!
Ces mots ont fait l'effet d'un coup de poignard. Le sentiment de trahison est pire que n'importe quelle peur. En un instant, mon univers s'éffondre. Elle qui m'a soutenue depuis ce matin et me trahit, là, maintenant. La chaleur de sa présence à mes côtés se transforme en un froid mordant. Elle me regarde d'une manière que je n'avais jamais vue, ses yeux emplis de mépris, de tristesse.
— Laisse-moi sortir, Maya, ai-je murmuré, espérant qu'elle se rende compte de ce qu'elle faisait.
Mais elle reste ferme, les bras croisés, bloquant ma seule sortie.
— Ne rend pas les choses plus difficiles, Virgie.
La réalité se brouille devant mes yeux, tout semble irréel, comme si j'étais enveloppée dans un voile brumeux. "Je crois rêver", me dis-je intérieurement, cherchant désespérément un ancrage à la réalité. Les contours de la pièce, les sons, tout semble distordu, éthéré. Un sentiment d'étrangeté m'envahit, m'arrache à la rationalité de l'instant.
Cependant, une réalisation glaciale me traverse l'esprit : ce n'est pas un rêve. C'est un cauchemar, de ceux qui vous paralyse, qui vous tiennent en otage entre le monde de l'éveil et celui du réel. Chaque détail, chaque ombre se transforme en une menace. Mon cœur bat la chamade, un rythme effréné qui martèle mes tempes. J'espère en sortir rapidement, mais cet espoir semble de plus en plus distant, contrainte de faire face à cette terrifiante réalité : je suis prisonnière de ce cauchemar. Pour en échapper, je ne dois pas céder à mes émotions, pour enfin trouver le courage d'en sortir.
— Pourquoi tu fais ça Maya ? dis-je, en contrôlant le timbre ma voix, presque tremblotant.
Elle soupire, ses yeux baissés pour éviter mon regard.
— C'est juste... c'est ce qu'il faut faire, Virginia. Tu n'aurais jamais dû les défier.
La fatigue s'infiltre dans mes muscles, chaque fibre de mes jambes hurlent sous l'effort. Mais je continue de me tenir aussi droite que possible.
— Alors tout ça n'est qu'un jeu pour toi ? Tu te rapproches de moi pour ensuite me livrer à elles ?
Maya a secoué la tête.
— Ce n'était pas le plan au début. Mais tu n'as pas idée de ce qu'elles peuvent faire, Virginia. Je ne veux pas être leur prochaine victime.
Les Pretty Faces m'encerclent, me font sentir encore plus petite, vulnérable. Leur haine, leur besoin de domination me foudroie. Lia se penche vers moi, son haleine chaude frôle mon visage.
— Tu as vraiment cru que tu pouvais nous tenir tête et t'en sortir indemne ?
La terreur me paralyse, mais je ne veux pas leur montrer ma peur.
— Peu importe ce que vous me ferez, vous ne briserez jamais mon esprit, bande de garce.
Lia ricane.
— Oh, la nouvelle se rebelle ! Ne t'inquiète pas, on va bien s'amuser avec toi.
Soudain, Taylor et Rose m'attrapent par les bras, me plaque violemment contre le mur froid des toillettes. J'essaie tant bien que mal de me dégager de leur étreinte. Mais rien à faire, je suis à leur merci. Et c'est là que je vois Lia sortir quelque chose de brillant qu'elle empoigne autour de ses doigts pédicurées. J'ai tout de suite compris qu'elle s'est armée d'un poing américain.
— Tu vas apprendre à me connaître, petite conne.
Sans attendre, elle me donne un violent coup de poing dans le ventre. La douleur qui se propage rapidement dans mon abdomen me fait tomber sur mes genoux. Le monde tourne soudainement autour de moi. Je peux entendre Lia rire, Taylor et Rose l'acclament en chœur. La trahison de Maya, est toujours fraîche dans mon esprit, mais elle est rapidement remplacée par une sensation de douleur intense. Je peux entendre Lia rire, Taylor et Rose se moquer en m'insultant de tous les noms.
— Voilà ce qui arrive à ceux qui se mettent en travers de MON chemin, me dit Lia, se tenant au-dessus de moi.
La scène se déroule au ralenti, comme si le temps est suspendu à cet instant précis. Le visage de Lia est figé dans une expression de dédain, chaque trait de son visage crie sa supériorité. Ses yeux, deux fentes sombres et perçantes, sont rivés sur moi, me sonde, me juge. Il semble qu'elle attende un signe de faiblesse, une preuve que j'ai été vaincue. L'air autour de moi est lourd, les bouffées d'oxygènes que j'aspire me brûle les poumons. J'essaye de contrôler cette panique qui me saisit. Mon esprit m'ordonne de me relever, de ne pas laisser Lia avoir le dernier mot.
Poussant contre le sol, je sens la résistance de mes jambes, encore engourdies et frémissantes. Mais avec chaque centimètre que je gagne, une détermination naissante me porte. Je refuse de m'effondrer, de montrer que je suis brisée. Lorsque je parviens enfin à me tenir debout, le regard de Lia change. La surprise est évidente sur son visage, comme si elle ne s'attendait pas à ce que je me relève. Mais ce qui m'étonne le plus, c'est cette étincelle dans ses yeux, cette lueur fugace qui trahit un sentiment inattendu : le respect. Peut-être qu'au fond d'elle, elle reconnaît la force qu'il a fallu pour me redresser face à elle. Ou peut-être réalise-t-elle que je ne suis pas l'adversaire qu'elle a imaginé. Quoi qu'il en soit, cet échange silencieux entre nous deux est lourd de significations.
— Encore debout ? demande-t-elle, avec son sourire narquois.
— Je ne vous laisserai pas ce sentiment de superiorité, lui dis-je d'une voix ferme. Vous pouvez me frapper, me rabaisser, mais vous ne me briserez pas.
Les yeux de Lia s'écarquillent un instant, puis elle éclate de rire.
— Nous verrons bien, dit-elle, me tournant le dos pour s'en aller. Ce n'est que le début de tes peines, Virginia Jonas.
Soudain, le clos infernal des toilettes est brusquement interrompues par le grincement strident de la porte qui s'ouvre à la volée. L'instant d'après, une silhouette familière se dessine dans l'encadrement de la porte, apporte avec elle une aura d'autorité incontestée : c'est Mme Henderson, ma prof principale. Peut-être ma seule vraie amie dans cet enfer.
— Que se passe-t-il ici ?! Dispersez-vous immédiatement !
Tout le monde se figent. Même Maya est surprise par son apparition. Les Pretty Faces, après avoir échangé des regards furtifs, se sont éloignées de moi.
— Mme Henderson m'a regardée avec une expression de colère et l'inquiétude.
— Virginia, viens avec moi.
Trop choquée pour répondre, je la suis sans rien dire, laissant derrière moi des regards accusateurs et des chuchotements moqueurs. Lorsque nous sommes sorties des toilettes, Mme Henderson m'a entraînée vers son bureau, situé à l'extrémité d'un couloir peu fréquenté. Elle m'a offert une chaise, puis m'a demandé de m'asseoir, tandis qu'elle prend place derrière son bureau.
— Tu veux de l'eau, ma belle ?
— Je veux bien Madame, merci beaucoup.
— Virginia, je sais que tu es nouvelle ici, et je peux imaginer à quel point cela doit être difficile pour toi de te retrouver soudainement au milieu de tout cela, me dit-elle en me donnant un gobelet rempli d'eau. Mais je veux que tu saches que je suis là pour toi.
Je hoche la tête, en prenant le gobelet dans mes mains.
— Merci, Mme Henderson. Je... je ne sais pas ce qui est arrivé. Je pensais que Maya était mon amie. Et elle m'a trahie.
Elle soupire profondément.
— Les jeunes ont parfois des moyens étranges de montrer leur loyauté et leur amitié. Maya a peut-être cédé à la pression du groupe, mais ce n'est pas une excuse pour ce qu'elle t'a fait.
Je sens mes yeux s'embuer de larmes.
— Je ne comprends pas pourquoi elles me détestent autant. J'ai juste voulu être moi-même, et c'est comme si je m'étais peinte une cible dans le dos.
Mme Henderson sourit doucement.
— Le fait est que tu es différente, Virginia. Tu as du caractère, des convictions. C'est quelque chose que les autres peuvent trouver menaçant, en particulier s'ils sont habitués à ce que tout le monde les suivent sans rien dire.
Je lui jette un regard incrédule.
— Mais pourquoi Maya ? Pourquoi m'a-t-elle trahie ?
Elle hausse les épaules.
— Peut-être qu'elle a peur. Peut-être qu'elle pense qu'en te trahissant, elle sera à l'abri des représailles. C'est difficile à dire. Mais une chose est sûre : tu mérites mieux qu'une amie comme ça.
J'essuies mes larmes avec le dos de ma main.
— Que dois-je faire maintenant, Mme Henderson ?
Elle m'a regardée avec intensité.
— Tu continues à être toi-même, Virginia. Ne laisse pas ces filles te définir ou te dicter qui tu devrais être. Et sache que tu as toujours un allié en moi.
— Merci, Mme Henderson. Vraiment.
Elle sourit.
— Maintenant va, retourne en cours. Et souviens-toi : tu es plus forte que tu ne le penses.
Je sors du bureau de Mme Henderson, cherchant un lavabo pour me rafraîchir, quand elle m'a rappelée.
— Un instant, Virginia, a-t-elle dit. Il y a quelqu'un que j'aimerais te présenter.
Je me retourne pour voir une femme plus âgée que Mme Henderson, avec des lunettes élégantes et des cheveux châtains bien coiffés en chignon. Elle a un sourire accueillant, et semble tout aussi compatissante que Mme Henderson.
— Virginia, voici Mme Sizemore, notre conseillère d'orientation.
Mme Sizemore me tend la main.
— Enchantée de faire votre connaissance, Virginia.
Je lui ai serré la main, un peu hésitante.
— De même, madame. Mais pourquoi souhaitiez-vous me rencontrer ?
Mme Henderson répond à sa place.
— Mme Sizemore est ici pour aider les étudiants comme toi à s'adapter, surtout quand ils rencontrent des difficultés, quels qu'elles soient. J'ai pensé que ce serait une bonne idée que vous fassiez connaissance.
Mme Sizemore hoche la tête.
— Mme Henderson m'a parlé de ta situation, et je voulais te faire savoir que tu n'es pas seule. Si jamais tu as besoin de parler ou de conseils pour gérer ta situation scolaire, mon bureau est toujours ouvert.
Je la regarde, évaluant ses intentions. J'ai été trahie une fois aujourd'hui. Je ne suis pas sûre de pouvoir faire confiance à quelqu'un d'autre si facilement. Mais quelque chose dans ses yeux me dit qu'elle est sincère.
— Merci, Mme Sizemore, ai-je dit finalement. Je garderai ça à l'esprit.
Elle me donne une carte avec son numéro de bureau et son adresse e-mail.
— N'hésite pas, d'accord ?
Je l'ai remerciée puis je suis partie.
***
Monter les escaliers comme une forcenée ne m'aura servi à rien car je suis quand même arrivée en retard pour le cours de littérature, ce qui n'est pas surprenant, étant donné les événements de la journée. Je sens encore la honte me brûler le visage alors que je repense à l'incident des toilettes. Mes joues sont probablement encore rouges. En entrant dans la salle, je vois tous mes camarades assis sur leurs chaises en train de suivre assidûment le cours. Le prof, un homme dans la quarataine, les traits sévères, s'arrête de parler et me regarde fixement, avant de dire :
— Vous êtes en retard, jeune fille. Virginia Jonas, je présume ?
— Oui Monsieur Walker. Excusez-moi pour le retard. J'étais... avec la conseillère d'orientation.
— Oui, bon... allez vous asseoir maintenant. me répond Mr Walker, visiblement agacé mais compréhensif.
En levant les yeux, j'ai vu Lia, souriant comme si rien ne s'était passé, comme si elle ne m'a pas humiliée avec sa bande dans les toilettes. Je sens la colère bouillir en moi, mais je décide de l'ignorer et de m'asseoir à ma place. Elle prend plaisir à mon malheur, ce qui me rend encore plus furieuse. Cependant, montrer ma colère ne ferait que lui donner plus de pouvoir sur moi.
Je n'ai pas envie de lui donner la satisfaction de me voir perturbée. J'ai donc sorti mes affaires et j'ai commencé à prendre des notes, focalisant toute mon attention sur le professeur. Je me suis forcée à me concentrer sur chaque mot qu'il disait, de bloquer le bruit de fond de mes camarades qui chuchotent et rient. Je dois rester forte et ne pas la laisser gagner.
Mais alors que je m'efforce à rester concentrée sur le cours, je commence à ressentir une douleur sourde et pulsatile dans mon abdomen, là où Lia m'a frappée avec son poing américain. Au début, la douleur était supportable, mais elle commence à s'intensifier à chacune de mes respirations. Je mets discrètement ma main sur mon ventre, pour soulager un peu la douleur, mais cela ne fait que mettre en évidence l'ampleur de l'impact.
Je ne dois pas montrer de faiblesse, surtout pas en présence de Lia, alors j'ai essayé de cacher la douleur du mieux que je peux. J'ai pu voir dans le coin de mon œil que Lia me regarde. Lorsqu'elle croise mon regard, elle me fait un clin d'œil, comme pour me dire :
"Ceci est notre petit secret."
Je ressens un mélange de colère, de honte et d'impuissance. J'ai envie de crier, de la confronter, de lui mettre mon poing dans son putain de jolie visage, de lui faire savoir que je ne suis pas une victime qu'elle peut maltraiter à sa guise. Mais ce n'est ni le moment ni l'endroit pour cela. Alors, je me suis contente de serrer les dents, de supporter la douleur et de continuer à prendre des notes. Je vais régler cette histoire après les cours. Pour l'instant, j'endure, je survis.
***
Le cours de littérature de ce jour porte sur "L'Étranger" d'Albert Camus, un roman que j'ai déjà lu mais que je n'ai jamais vraiment analysé en profondeur. M. Walker, notre professeur, est passionné par l'existentialisme, a une manière unique d'aborder les textes qui rend son cours intéressant.
— Alors, la notion de l'absurde est centrale dans l'œuvre de Camus, a commencé M. Walker. Qui peut me dire ce que signifie 'l'absurde' dans ce contexte ?
Plusieurs mains se sont levées, mais il a désigné Sarah, une fille assise à l'avant de la classe.
— C'est l'idée que la vie n'a pas de sens et que toute tentative de lui en trouver un est inutile, a-t-elle répondu.
— Exactement, très bien, a répondu M. Walker. Et comment voyez-vous cette idée représentée dans 'L'Étranger' ?
Nous avons ensuite discuté de l'indifférence du personnage principal, Meursault, face à sa propre vie et aux événements qui l'entourent, et de la manière dont cela reflète la philosophie de l'absurde. J'ai essayé de participer autant que possible à la discussion, en partageant mes propres interprétations du texte et écoutant attentivement les points de vue de mes camarades de classe. Tout au long du cours, j'ai essayé d'ignorer la douleur dans mon ventre, de ne pas prêter attention aux regards moqueurs de Lia. Je me suis concentrée sur les mots de M. Walker et sur le texte de Camus, afin de trouver du sens dans un monde qui, à ce moment-là, semble tout aussi absurde que celui décrit dans le roman.
Lia a levé la main après la réponse de Sarah. M. Walker, content qu'elle souhaite participer, lui a donné la parole.
— Je suis d'accord avec Sarah, a commencé Lia, mais je pense qu'il est important de noter que Meursault, le protagoniste, ne se contente pas de trouver la vie dénuée de sens, il rejette activement les constructions sociales et morales qui donnent un sens à la vie pour d'autres. Par exemple, il ne montre pas d'émotion lors de l'enterrement de sa mère, ce qui est considéré comme inacceptable par la société. Il refuse de mentir sur ses sentiments, même si cela le rendrait plus acceptable aux yeux des autres.
M. Walker a hoché la tête, visiblement impressionné par la réponse de Lia.
— C'est un très bon point, Lia. Camus lui-même a dit que Meursault est le seul Christ que nous méritons. Qu'est-ce que cela signifie selon vous ?
Lia a réfléchi un moment avant de répondre.
— Je pense... que cela signifie que Meursault, malgré son rejet des normes sociales, est en quelque sorte un martyr de la vérité. Il refuse de se conformer à ce que la société attend de lui, même si cela lui coûte cher à la fin.
M. Walker a souri.
— Très bien analysé, Lia. Merci pour votre contribution.
J'ai été impressionnée par la réponse de Lia, malgré moi. Elle a clairement réfléchi en profondeur au texte et a une compréhension nuancée de l'œuvre de Camus. C'est frustrant de voir qu'elle peut être à la fois si intelligente et si méchante. Je me suis efforcée de ne pas la regarder et de me concentrer sur le cours, mais c'est difficile de ne pas ressentir un mélange d'admiration et de ressentiment à son égard.
***
M. Walker a continué à poser des questions sur le livre et les différents éléments de l'existentialisme qui y sont représentés. Je me suis retrouvée à dériver dans mes pensées, toujours un peu choquée de l'assaut que j'avais subi dans les toilettes. Mon estomac continue de me faire mal, mais je me suis forcée à me concentrer sur le cours. Quand M. Walker a demandé des réflexions sur la relation entre Meursault et Marie, j'ai décidé de partager mes pensées. J'ai levé la main et il m'a donné la parole.
— Je pense que la relation entre Meursault et Marie représente la lutte de Meursault pour trouver un sens dans un monde qu'il voit comme absurde, ai-je commencé. Marie cherche un sens et une structure dans sa vie, elle veut se marier et avoir une vie 'normale', tandis que Meursault ne semble pas vraiment se soucier de quoi que ce soit. Cela souligne le contraste entre la quête de sens de la plupart des gens et l'acceptation par Meursault de l'absurdité de la vie.
M. Walker m'a regardé attentivement.
— C'est une excellente observation, Virginia. Pensez-vous que Meursault se soucie de Marie ?
Je me suis sentie un peu nerveuse sous le regard de M. Walker, mais j'ai répondu du mieux que j'ai pu.
— Je pense qu'il se soucie d'elle à sa manière, mais pas de la manière dont elle voudrait qu'il se soucie d'elle. Pour lui, elle fait partie de l'expérience humaine qu'il trouve finalement dénuée de sens, bien qu'il trouve du plaisir à passer du temps avec elle.
M. Walker a souri.
— Très bonne analyse, merci Virginia.
Je n'ai pas pu m'empêcher de jeter un coup d'œil à Lia, comme signe de victoire. Elle a l'air un peu tendue, peut-être même nerveuse. J'ai senti une petite bouffée de satisfaction à cette pensée. Peut-être qu'elle a sous-estimé ma capacité à comprendre le livre. Peut-être qu'elle a sous-estimé beaucoup de choses à mon sujet.
"Je serai une adversaire à la hauteur, Lia Harrison."
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