Conflits 1
La semaine passa dans une temporalité à double vitesse, à la fois rapide et lente. Johanne avait l'impression de connaître Kouakou depuis longtemps et s'était déjà fait reprendre en cours à papoter avec lui. D'un autre côté, elle n'avait pas encore mis les pieds dans certaines salles de classe pourtant peu nombreuses ni dans le gymnase.
Un soir qu'elle revenait des douches communes, Johanne croisa Bouchra qui lui transmit que Nadou la faisait appeler.
Ce demandant ce que lui voulait la gouvernante, Johanne obtempéra et toqua à la porte de son bureau, sa serviette sur l'épaule et son nécessaire de toilette à la main.
– Entrez !
Johanne poussa sur le battant. Un élève plus âgé notait quelque chose sur un petit calepin, tandis que Nadou collait un timbre sur une enveloppe.
– Approche, lui dit-elle. Du courrier est arrivé pour toi.
L'aîné sortit en remerciant la gouvernante et Johanne alla vers une armoire à casiers numérotés. La gouvernante prit un petit colis et le lui tendit.
– Quand tu m'apporteras ta réponse, ne la scelle pas. Pour des mesures de sécurités, je dois jeter un œil sur tous vos écris pour vérifier que vous ne divulguez rien de secret. Navrée pour cette intrusion.
– Que se passerait-il si jamais quelqu'un de l'extérieur apprenait que l'académie est dans un monde parallèle ? interrogea Johanne sans arrières pensées.
Nadou pesa ses mots.
– L'état préférerait que M-95 demeure cachée au grand public. Pour l'instant. Note sur le calepin que tu as reçu un colis et son expéditeur.
En arrivant dans le couloir Johanne secoua légèrement le paquet pour essayer de deviner ce que ses grands-parents lui envoyaient. C'était léger et ne faisait que très peu de bruit. Elle se sentait mitigée. Surtout, elle ne voulait pas l'ouvrir dans le dortoir.
L'académie disposait de plusieurs balcons. Johanne enveloppa son colis dans sa serviette et se réfugia sur l'un d'entre eux pour l'ouvrir. C'était un lot de mouchoirs en tissu soigneusement repassés et avec l'étiquette « Johanne Morand » collée sur chaque exemplaires.
– Il suffirait qu'un Andréide tombe dessus pour que je sois fichue, grommela-t-elle.
Un mot l'accompagnait.
« Bonjour ma chérie,
Comment se passe ton installation ? T'es-tu fait des petites amies ? J'espère que tu es sage. Ecris-nous, tout de même.
Je t'envoie des mouchoirs supplémentaires. Comme tu as tendance à les déchirer ou les perdre, je me suis dit que tu en aurais besoin.
Bisous,
Grand-mère »
Des larmes perlèrent aux yeux de Johanne en sentant le parfum de la lessive qu'utilisait sa grand-mère. Celle du pensionnat était neutre et effaçait l'odeur de la maison. Elle n'était pas si abandonnée, finalement. Malgré cela, elle ne se sentait tout de même pas prête à pardonner si vite. Cela manquait de petits cadeaux plus chaleureux ou de nouvelles de l'entourage. La tendresse et le ressentiment se disputaient son humeur et la préadolescente rangea les mouchoirs et la lettre dans son nécessaire à toilette.
Le lendemain était un grand jour, celui du premier cour de sport. Ce fut dans une hâte extrême que Johanne trépignait devant la porte du gymnase.
Sylvestre – elle n'osait l'appeler Grominet devant lui – se présenta avec une paire de longs bâtons.
– Prêt pour votre initiation aux arts martiaux ? questionna-t-il en ouvrant la porte.
Le gymnase était de bois et de métal, aucune surface plastifiée. Diverses affiches ornaient les murs, elles représentaient des postures de combats, certaines à mains nues, d'autres armées d'outil de toutes sortes. Comme les autres, Johanne laissa son Amci dans la boîte à disposition sur l'instruction du professeur.
– Aujourd'hui nous avons le gymnase pour nous seuls, les prochaines fois nous le partagerons avec les autres classes. Certains cours seront organisés par des élèves de cinquième année. Pour cette séance, nous débuterons avec les postures de gardes, les chutes et le bâton. Nous commencerons toujours par un échauffement. À partir du second trimestre chacun d'entre vous aura la responsabilité n'animer cette partie alors retenez bien les exercices que je vous ferai faire. C'est parti !
Le soupir du condamné de Kouakou résonna dans le gymnase tandis qu'ils entamaient leur premier tour de course. La petite foulée du garçon se résumait à une marche sautillante. Très vite Johanne le laissa en plan pour prendre son propre rythme. Devant, Ludovic et Maurine paraissaient faire une démonstration de vitesse. Il furent aussitôt rappelés à l'ordre par Sylvestre :
– Ça, c'est parfait pour avoir des ruptures de ligaments !
Après un tour de piste :
Une pause, s'il-vous-plaît !
Johanne se tourna vers lui et vit qu'il était à côté de Kouakou. Le professeur leur fit signe de s'approcher.
– Vous êtes plusieurs à courir en tombant sur vos pieds, vous allez vous causer des traumatismes aux genoux. Regardez-moi bien…
Il passa cinq bonnes minutes à leur montrer deux façons de faire et expliquant ensuite de manière détaillée la bonne. Ensuite, il leur fit recommencer et passa auprès de chacun pour corriger individuellement. Johanne dut se redresser au lieu de se pencher en avant et faire attention à sa manière de poser le pied. Elle appris ensuite que Kouakou devait accentuer ses mouvements et se montrer plus rebondi.
– Il m'a dit de m'entrainer à faire des petits sauts sans que la ointe de mes pieds quitte le sol.
L'échauffement se poursuivit avec des rotations d'articulations et des étirements. Kouakou et Rebecca ahanaient déjà. Pour travailler les postures de garde, Sylvestre les plaça deux à deux en essayant de respecter les corpulences de chacun. Johanne se retrouva avec Léopoldine. L'une et l'autre devaient se repousser et résister à la pression. Il s'avéra que la blonde se débrouillait très bien, le seul reproche qu'elle reçut fut que sa garde était plus adaptée à l'escrime moderne et qu'elle devait en changer pour le corps-à-corps et le bâton. Johanne, elle, avec une bonne assise, mais trop d'enthousiasme et se déstabilisait toute seule en voulant pousser.
Des tatamis servirent à les recevoir pour les chutes, ils étaient fermes et causèrent quelques bleus aux intrépides.
– Au moins… ma graisse… forme… un bon coussin, haleta Kouakou à la fin de la séance.
Johanne se frotta le bras, Maurine lui avait asséné un coups de bâton douloureux. Sylvestre avait dû reprendre la brute plusieurs fois.
– Et tu as une bonne stabilité, j'ai vu, l'encouragea Johanne. Damien ne t'a pas fait reculer !
– Il n'essayait pas tant que ça, relativisa son ami.
Johanne, qui avait adoré le cours, se chargea de lui rappeler les exercices quotidiens à faire chaque soir. Kouakou lui avait donné un nom-signe de deux poings qui tournent comme un pédalier, en référence à son agitation. Lui s'était auto-nommé avec deux mains qui s'ouvrent à partir de ses joues, pour rappeler sa rondeur.
– Je comprends mieux pourquoi mon régime est si permissif, lâcha-t-il en s'effondrant après leur deuxième séance d'initiation au bâton.
Malheureusement pour lui, Maurine passait par-là et saisit l'occasion de frapper.
– Alors, boule de gras, déjà fatigué ? À ce demander pourquoi on t'a intégré à l'académie. Les Andréides n'auront pas besoin de courir pour t'attraper. Remarque, tu ferais un bonne appât !
Kouakou lui renvoya un regard outré. Johanne jeta un coup d'œil sur le gymnase pour repérer Sylvestre. Il répondait aux questions de deuxièmes années.
Maurine ricana, satisfaite d'elle et tourna les talons parfaitement en forme après l'exercice intensif.
Johanne marmonna une insulte entre ses dents.
– L'histoire de ma vie, ahana Kouakou.
– Ce n'est pas une excuse.
– Bah. Aide-moi à me relever plutôt.
Johanne tenta de le tirer en lui prenait les mains et son ami retomba après quelques centimètres de gagnés.
– Fais un effort !
– Je n'ai plus de jambes…
Après un second essai infructueux, le prof apparut à côté d'eux avec un air rigolard.
– Vous me donnez une idée d'exercice !
Kouakou tira une tronche de vingt centimètres de long. Sylvestre prit un bâton d'exercice et le leur fit tenir à l'horizontale, comme une barre.
– Là, ça te donnera plus de prise. Maintenant, appuyez sur vos pieds tous les deux. Toi, Johanne, tu dois reculer et faire se lever Kouakou. Et toi, Kouakou, tu dois résister. Allez !
(suite du chapitre dans la partie 2)
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