L'artificiel

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Il y a eu un coup plus fort que les premiers, le bruit mat de mon poing contre sa tempe, la valse éphémère de son corps déséquilibrée, puis le claquement sec de son crâne contre le coin de la baignoire, et puis plus rien. Un pantin désarticulé sur le carrelage blanc.

Je l'ai saisi aux épaules ; je l'ai retourné. Vincent ne respirait plus. Le sang maculait son visage, notre visage. C'était fini.

Je n'avais pas peur : cela devait finir. C'était lui ou moi. Et j'avais l'adresse de Maurice, l'ami, l'intermédiaire.

Je me suis lavé les mains à l'eau chaude et je les ai essuyées dans la serviette rose. Puis j'ai changé de chemise, j'ai enfilé ses mocassins, et après avoir fermé à clef la porte du studio, je suis sorti dans la nuit tiède. L'odeur du lilas, la rue vide et sombre, la liberté m'a enivré.

Maurice a un peu tardé à ouvrir, quand j'ai sonné. Il avait des cheveux gris et hirsutes, un pyjama rayé dont la veste laissait entrevoir la pilosité de son torse épais. Je l'ai un peu bousculé pour entrer dans le pavillon :

- Ca va pas, mec ? T'as vu l'heure ?

De fait, la pendule de la cuisine marquait 1 h 23.

- T'as un problème ?

- Ouais ; il est mort.

- Mort !

- Mort. Tu te souviens de ce que t'avais promis ? T'as pas oublié que c'est toi qui... Enfin, tu devais m'aider si j'avais à m'en débarrasser parce que c'est ta faute si....

Il n'a rien dit. Il a juste mis en marche la cafetière et sorti deux tasses. On a bu en silence.

Il savait à quel point je pouvais lui nuire. C'était lui qui avait enfreint la loi française, lui qui avait fait le nécessaire outre-Atlantique, lui qui avait osé cette proposition ridicule...

- Ce qui ne devait pas exister doit disparaître.

- C'est à cause de Léna ?

- Ca ne te regarde pas.

- OK... OK, ne t'énerve pas... Je te rappelle que c'est toi qui m'en as parlé, la semaine dernière.

Léna, douce Léna aux yeux d'ébène dont ma bouche avait effleuré la joue hier soir, juste avant son retour de chez sa maîtresse et l'ultime dispute. Léna qui m'avait rappelé "notre dîner chez les Durand" samedi prochain et, devant mon regard surpris, m'avait dit en souriant :

- Tu es vraiment space, Vincent, ces temps-ci... Mais ne change rien, je t'aime.

Maurice s'est levé :

- Je suppose qu'il est au studio où tu le logeais ? On y va ? Je prends le quatre-quatre, je m'en charge. J'ai un chantier demain : la pelleteuse, une dalle en béton... Bon, je te fais pas un dessin. Tu me files les clefs ; je l'embarque, j'me débrouille. Juste... Si t'en veux un autre...

- Non.

- Admettons. Je voulais juste dire... Si t'en veux un autre... Même avec un mieux programmé, la famille, faut pas. Tu le savais ça, pourtant, que c'était juste pour le boulot...

J'ai levé une main impatiente :

- J'en veux pas d'autre, j'te dis. Jamais. Fais c'que t'as à faire, point. Moi je rentre à pied.

***

C'est samedi soir : mon bras enserre la taille de Léna et nous gravissons ensemble le perron des Durand. Elle porte une robe de soirée jaune paille qui met en valeur ses yeux noirs, et dans ses yeux noirs, je lis tout l'amour qu'elle a pour moi, son Vincent.

Je suis toujours "un peu space" comme elle dit. C'est qu'il faut que j'apprenne : danser, conduire... je ne sais pas bien encore : il faut que j'apprenne à être lui, Vincent.

Moi, je suis né de quelques cellules dans une éprouvette. Je ne suis qu'un clone d'assistance, comme on dit aux USA : mais cela, ils ne le sauront jamais.

Il était prévu que j'obéisse, que je reste dans ma prison dorée et que je fasse le travail de mon maître... mais un jour j'ai vu Léna.

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