III
26 août 1270, environs de Carthage, Ifriqiya
Au lendemain de nos retrouvailles, le roi m'avait emmené dans la région à proximité de la ville de Carthage.
Les frères et les fils du roi nous accompagnaient et notre troupe soulevait des nuages de poussières alors qu'elle avançait au galop en direction d'un chantier en pleine effervescence.
Croisés, templiers et hospitaliers, tous en armes, formaient un redoutable maillage de protection tout autour du site. Leur peau hâlée par le soleil de plomb et par la meurtrissure du sable affichait leur détermination à toute épreuve. Depuis deux petites fentes sombres, perçait le regard dur de ceux qui mettaient leur vie en danger pour une mission au-delà de leurs considérations terrestres, une mission d'ordre divin.
Le prince Jean Tristan m'apprit que tous ces hommes s'étaient proposés spontanément pour assurer la protection du site situé en dehors des murs de la ville et de fait, exposé au danger d'un assaut sarrasin. Il y eut tellement de demandes que le roi dû refréner les velléités de chacun. Heureusement la perspective d'un siège de la ville de Tunis dans les jours prochains avait calmé la déception des plus fanatiques et les préparatifs à la bataille occupaient dès lors la totalité de leur temps.
Je ressentais une grande satisfaction à converser ainsi avec le prince alors que celui-ci avait été tout près de nous quitter au début du mois d'août, rongé par la maladie. L'envoyé de Dieu avait épargné sa vie et le prince affichait, presque un mois après, une vitalité et une énergie qui faisaient plaisir à voir. Des boucles blondes encadraient joliment le visage imberbe de ce jeune homme de vingt ans.
Au cœur du chantier, des hommes charriaient pierres et mortier et petit à petit contribuaient à élever les murs d'une modeste chapelle. J'étais de prime abord intrigué à propos du motif de la construction subite d'un tel lieu de culte en dehors de la cité. Lorsque nous mîmes pied à terre, des religieux vinrent nous présenter avec entrain l'avancement des travaux. Le sable montait autour de nous sous la forme de petites volutes tourbillonnantes et nous avancions d'un pas lourd en direction de la chapelle. Une grande bouche sombre en constituait l'ouverture, dénuée de porte. Le roi y disparut, suivit de sa famille, pénétrant au cœur du mystère un par un.
Ma main entra au contact de la pierre poreuse, comme pour laisser l'étrange aura qui entourait le bâtiment pénétrer mon âme. Le rideau d'obscurité me fouetta le visage alors que je m'attelais à le transpercer pour glisser de l'autre côté.
Soudain, au delà du voile, le cri étouffé de Charles d'Anjou me parvint.
Ce ne fut qu'en émergeant à mon tour que je la vis.
Une sphère parfaite.
L'objet, haut comme un homme et demi, était fait d'un alliage de métal d'une pureté jamais vue. La porte d'accès à l'intérieur de la chose était verrouillée. Le roi nous expliqua que seul l'ange du Seigneur pouvait l'ouvrir et pénétrer à l'intérieur. Il s'agissait là du moyen de transport utilisé pour voyager des cieux à la terre. J'étais abasourdi. Quelle découverte ! La Bible ne mentionnait aucunement un tel véhicule. Le Christ et la Sainte Vierge avaient-ils emprunté ce genre de sphères lors de leurs ascensions ? Le vertige me prit alors que la vérité divine paraissait vouloir dilater chaque pore de mon esprit pour venir s'y graver à vie.
Tout autour de la sphère, de l'encens et des cierges brûlaient, donnant à l'atmosphère des lieux un aspect hors du temps. La fumée faisait des vagues devant mes yeux, disparaissant l'espace d'un instant pour mieux révéler chaque membre de la famille royale, tombés à genoux et murmurant spontanément des prières. Je chus à mon tour, emporté par la vérité céleste qui venait de se révéler à nous. Alors que la rondeur excessive de la sphère métallique épousait la totalité de mes pupilles, un seul mot me vint à l'esprit.
Miracle.
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