Chapitre 3 - Marcel

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Chapitre 3 - Marcel


Lundi 3 mars 2014


La soirée ne s’était pas déroulée exactement comme prévue... Après avoir observé non sans concupiscence les formes généreuses de la superbe métisse une bonne partie de la nuit, il était resté assis à sa table à boire du rhum, pris d’une sorte de léthargie, accompagnant les tambouillés* jusqu’au lever du soleil. Il se disait qu’il aurait sûrement d’autres occasions.

Pourtant, il n’était pas dans ses habitudes de réfréner ses pulsions. Sauf que depuis quelque temps, Marcel éprouvait une grande lassitude au quotidien, accompagnée depuis peu de douleurs au dos et aux jambes. Il s’en était ouvert à Lucie qui lui avait aussitôt conseillé de consulter. Mais il n’avait pas suivi ses recommandations. À quoi bon... Il devait s’agir d’un début de grippe tout au plus. Ils avaient ensuite quitté la Métropole pour la Martinique, un changement qui avait apporté avec lui son lot de nouvelles préoccupations.



Lucie ! Il l’avait complètement oubliée ! Il ne se sentait pas suffisamment d’attaque pour affronter l’orage qui se profilait à l’horizon. Quelle nouvelle excuse allait-il inventer pour expliquer son absence ? Il était fatigué de lui mentir et lui en voulait presque de l’y obliger. Il était conscient qu’elle n’avait pas encore eu le temps de se faire des amis et qu’elle comptait sur lui pour s’intégrer. Mais était-ce sa faute si elle ne supportait pas ses copains, qu’elle trouvait puérils et inintéressants ? Il les connaissait depuis le primaire. Il n’allait pas se priver de leur compagnie sous prétexte qu’elle ne comprenait pas un traitre mot de leurs conversations ! Pourtant, ils avaient essayé de faire des efforts, mais il reconnaissait qu’invariablement, au fil de la discussion, le créole reprenait le dessus. Après tout, c’était à elle d’y mettre du sien ! Et c'est dans cet état d'esprit qu'il rentra chez lui.


À pas feutrés, il ouvrit la porte d’entrée, le cœur battant, les sens en éveil, s’attendant à la voir surgir comme un diable de sa boîte. Mais rien, silence total. Il s’enhardit, alluma la cuisine et attendit encore quelques instants. Toujours aucun bruit. Lucie devait déjà dormir. Soulagé, Marcel ouvrit le frigo, histoire de grignoter quelque chose ; il devait bien rester un peu de fricassée de lambis*. Jamais le jeune homme ne se régalait autant qu’en dégustant les recettes de sa mère Mariette, tellement heureuse d’avoir récupéré son fils adoré. Elle l’avait trouvé amaigri à sa descente d’avion, mais n’en avait soufflé mot, persuadée que sa belle-fille affamait son enfant chéri. C’était pour cette raison qu’elle n’avait de cesse de lui apporter des provisions et de lui mijoter ses petits plats préférés, au risque de contrarier Lucie qui finissait par la trouver envahissante tout en se posant de réelles questions sur ses propres capacités culinaires.


Cependant, il était persuadé qu’elle préférait encore cela aux interminables repas en famille, qu’elle appréhendait véritablement. Aux Antilles, bien manger avait toujours été synonyme de bonne santé et la tradition exigeait que vous vous resserviez de chaque plat. Mais malgré tous ses efforts, Lucie ne parvenait pas à la respecter. Au grand dam de Mariette, elle n’excellait pas dans l’art de bisser*. Pourtant elle aussi devait faire attention à sa ligne en raison de son diabète. Elle avait bien essayé de lui expliquer qu’elle n’était pas une grosse mangeuse, que le plat était excellent... En vain. Elle lui avait même fait remarquer qu’à chaque fois qu’elle refusait poliment une louche supplémentaire, sa mère ne pouvait s’empêcher de la regarder d’un petit air supérieur et méprisant tout en émettant une sorte d’onomatopée bizarre avec sa bouche, ressemblant à un bruit de succion qui avait le don de l’agacer : un « tchip* » de contrariété. Il n’y avait jamais prêté attention.



*Joueurs de tambours traditionnels

*Grand et beau coquillage à la chair succulente, dont les amérindiens étaient déjà très friands. Plat créole par excellence.

*Le fait de se resservir une deuxième fois.

*Élément de communication non verbale, courant aux Antilles ainsi qu’en Afrique.







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