62. Vengeance
La semaine qui a suivi cet instant de partage, nous n’avons fait que planifier l’assassinat de Bernard. Les mots à ne pas dire devant lui, l’importance de ne laisser ni empreinte, ni cheveux. Nous avons mêmes choisi de faire venir Benji pour ne pas que la voiture reste et soit vue devant chez Bernard. Nous avons loué une autre voiture. Il est minuit. Benji arrête la voiture dans l’entrée du champ, non loin de la longère excentrée du hameau.
Nous avons toutes trois enfilé des vêtements noirs et des cagoules pour maintenir nos cheveux cachés, et ne pas en semer. Benji est fermé, sérieux, il sait très bien que nous n’avons pas planifié un simple prank pour faire peur à Bernard. Mais il ne dit rien.
— Allez, et vous me bipez.
Nous fermons les portes sans les claquer. Benji repart, et nous laisse dans le noir. Nous longeons la route, sans croiser une seule fois une voiture. Nous nous approchons du portail clos, puis nous faisons la courte échelle pour grimper le mur. Je tends les bras à Giulia pour qu’elle nous rejoigne, puis nous tombons silencieusement sur le gazon. J’observe avec mon œil le squelette de Bernard qui se déplace à l’étage.
Accroupie derrière les magnolias, Giulia me demande :
— Tu vois quelqu’un d’autre ?
— Il est tout seul, il marche dans le couloir du haut.
Je passe en première, pour parvenir à une fenêtre. Mon œil magique fait apparaître très clairement les fils électriques du bâtiment, sans doute parce qu’ils sont fait de matériaux conducteurs. Du doigt je signale aux filles la présence d’un contacteur, sans aucun doute relié à une alarme.
— Mais s’il est là, il n’a pas dû mettre l’alarme, murmure Giulia.
— Ouais, mais…
La porte d’entrée est robuste, visible depuis le portail, les fenêtres sont protégées… je balaie le bâtiment du regard. Mes doigts s’emparent de sa main et elle-même saisit celle de Clémence. Je les emmène jusqu’à une vieille porte donnant sur la buanderie. Le squelette descend les marches.
— Attendez, il bouge ! Putain, il vient ! Cachez-vous !
Nous nous plaquons toutes les trois contre le mur. La lumière s’allume et éclaire les cyprès de la propriété. Il se déshabille jusqu’à être nu et enfourne ses vêtements dans la machine à laver. Discernable à travers le granit, l’homme m’apparaît plus musclé que gras. Ce sera un ours terrible s’il faut le maîtriser pendant qu’il se débat. Il démarre la machine puis quitte la pièce après avoir éteint la lumière, pour gravir les escaliers. Ne distinguant aucun câble dans l’environnement de la porte, je fais signe que tout est OK. Giulia sort ses épingles de cambrioleuse, puis les glisse dans la serrure.
— C’est cool, avec sa machine à laver, il couvre tous nos bruits, dis-je.
— C’est compliqué à crocheter ? questionne Clémence.
— Il y a quatre petit pignons, faut les enfoncer tous, c’est juste ça, nous explique la belle Italienne.
En une minute, elle ouvre la porte, et nous pénétrons dans la bâtisse. À pas de velours, nous longeons le large couloir obscur. Clémence garde une main sur mon épaule, Giulia une sur la sienne, tandis qu’avec ma vision verte, je les dirige dans l’obscurité.
Le squelette du propriétaire est passé à priori sous la douche à en juger les tuyauteries que je distingue et sa gestuelle. Nous montons les escaliers, distinguant le bruit d’eau.
— On a tout juste le temps de créer la diversion du plan 3, murmuré-je.
— Trop bien ! lâche Giulia. Faut trouver sa chambre.
Nous parcourons l’étage à pas de velours. La première porte que j’ouvre est une salle de torture. Giulia me hèle en murmurant :
— J’ai trouvé la chambre ! Clem’, viens !
— Putain ! Venez, j’ai trouvé mieux !
Elles se précipitent à petits pas et découvrent le donjon. L’eau s’arrête de couler.
— Vite, en place ! murmuré-je.
Clémence remonte sa cagoule pour qu’il voit son visage, sans que ses cheveux ne se découvrent. Giulia et moi nous éclipsons vers les escaliers. Clémence allume la lumière de la pièce pour attirer notre psychopathe.
Il quitte la salle de bains, trois minutes plus tard, complètement à poil. La lumière l’attire, je fais signe à Giulia de passer à l’action. La voix de l’homme :
— Clémence ? Mais comment es-tu entrée.
— Je…
— Ne t’inquiète pas, je vais te faire parler !
Giulia enroule brutalement son bras autour de sa gorge et envoie ses jambes autour de lui pour l’entraîner vers le sol. Il tombe lourdement sur elle, mais elle ne lâche pas, aussi déterminée qu’un anaconda. Elle l’étouffe jusqu’à ce que ses yeux se révulsent et qu’il tombe inanimé.
Je les rejoins, puis nous traînons le corps jusqu’à la croix de Saint-André. À deux nous le soulevons tant bien que mal. Je grogne.
— Putain ! Il est lourd !
— Clémence, attache-le, gémit Giulia.
Elle fixe les poignets, puis une fois qu’il pend par les bras, nous nous occupons des chevilles.
— Parfait, mise en scène numéro un, suggère Giulia. Ça vous va ?
Je balaie du regard pour être certaine qu’aucune caméra n’est dissimulée. Je prends une chaise et m’assois face au criminel. Je croise une jambe par-dessus l’autre, relève ma cagoule, puis joue avec ma pièce. Giulia le gifle, ses yeux s’écarquillent brutalement. Le tintement de mon ongle sur ma pièce attire son regard et il se rend compte seulement à l’instant qu’il est entravé.
— Bonjour Bernard, articulé-je.
— T’es qui, toi ?
— La vengeance.
Clémence se place à côté de moi, un peu effrayée par l’agressivité de l’homme malgré qui soit attaché. Alors que moi, je jubile. Ce suspens, c’est comme être dans un bon film dont on ne devine pas la fin. Je suis curieuse de l’entendre parler, impatiente de le voir paniquer.
— Je peux craquer une allumette, Vengeance ? questionne Giulia.
Il remarque seulement Giulia, la seule à avoir gardé la cagoule. Je fais sauter la pièce et fais semblant de choisir en fonction d’elle.
— Tu peux. Bernard, je te présente Bourreau.
— Et Clem’ ? C’est avec ça qu’il t’a violé ? questionne Giulia.
Même si Clémence est incapable de répondre, Giulia prend ça pour un oui, fait craquer une allumette et met le feu aux poils parsemés sur les couilles de l’homme. La chaleur de la flamme le fait serrer les dents, mais il ne hurle pas. Fidèle au scénario d’intimidation que nous avons concocté, j’articule :
— On dira que c’est le hasard qui t’a fait rencontrer Clémence. Donc, c’est le hasard qui choisira si oui ou non, tu restes en vie.
Il est hors de question que nous le laissions vivant, mais c’est bien qu’il croit avoir une chance.
— Je vous baise toutes, je vous baiserai toutes les trois, avec mon pote, on vous fera crier.
— Quel pote ? questionne Giulia. Celui qui s’est jeté du haut de la falaise ?
Il tourne la tête brutalement.
— Ah ! Tu te demandais pourquoi t’avais pas de nouvelle, lâche Giulia avec satisfaction. La pièce n’a pas voulu l’épargner.
Son cœur bat plus fort. Jusqu’ici, il nous prenait pour des filles qui n’oseraient pas aller au bout des choses. Il prend seulement conscience de la position dans laquelle il est. Je le lui fais remarquer :
— Ton cœur bat plus vite. Ce n’est que maintenant que tu as peur ? Tu nous avais prises pour des dominatrices ? Tu croyais qu’on venait pour jouer ?
— Vous êtes tarées !
— Elle, oui, dis-je en désignant Giulia. Bourreau, propose une torture à la pièce.
Giulia ouvre les placards et sort un gode énorme fixé au bout d’une poignée. Même pas je l’imagine rentrer entre mes cuisses. Giulia claironne :
— Je propose de lui mettre ça dans le cul !
Je lance la pièce, fais semblant de la regarder et claque les deux pieds de joie au sol :
— Oui !
— Avec ou sans lubrifiant ?
— Clémence, il a utilisé du lubrifiant avec toi ?
Tétanisée, Clémence secoue imperceptiblement la tête, et je fais la réponse moi-même :
— Soyons équitables.
Giulia se place derrière la croix et fait pression sur le postérieur de l’homme. Il hurle :
— Arrête ! Je ferai tout ce que vous voulez !
Clémence sursaute et, les larmes lui tombent des yeux. Elle s’exclame :
— C’est ce que je criais à chaque fois ! Vous avez continué ! Encule-le, Giulia !
— Pitié, arrêtez !
— Encule-le !!!
L’homme serre les dents puis hurle. Son corps cherche à se détacher de la croix, mais alors que ses muscles sont tendus, Giulia trouve la résistance nécessaire pour enfoncer de tout son poids le sexe factice. Malgré mes tympans brutalisés, je savoure ce juste retour des choses. Giulia va et vient et il échappe un râle essoufflé. Sa tortionnaire se moque de lui :
— Allons, on sait que t’aime ça ! Vous êtes tous pareil les mecs. Ça vous stimule la prostate !
— Et maintenant Bourreau ?
— Je propose qu’on fasse fondre le gode au chalumeau et que ça lui colle au rectum.
Je fais sauter la pièce puis répond :
— Non !
— Qu’est-ce que vous voulez ? sanglote l’homme.
— La vidéo de Clémence.
— Sur mon ordinateur portable, dans ma chambre.
— Clémence va le chercher.
— Oui, Madame.
L’homme a un rictus en entendant la réponse :
— C’est toi sa responsable, la maîtresse et son amante Italienne.
— Quelle perspicacité, se moque Giulia.
— Quand je sortirai d’ici, je jure que je vous mettrai la misère. Je vais vous rappeler ce que c’est que d’être des femmes, les goudous !
— On verra si la pièce te laissera cette chance, grince Giulia en faisant tourner le gode.
Il serre les dents de douleur et je vois le sang qui ruisselle de son anus le long de ses cuisses. Je questionne :
— Dis-moi mon amour, tu ne fumes pas ?
— Non, mais pour l’occasion, j’ai pris quelques cigarettes.
— Quelle bonne idée. Je me sens nerveuse, faut que je m’en grille une.
Clémence revient avec l’ordinateur au moment, où Giulia utilise une allumette. La cigarette s’allume, puis je réalise :
— Je suis bête, je ne fume pas.
J’écrase le bout rougeoyant sur le pénis pendouillant et il hurle comme un dément. Giulia lâche un rire cristallin sincère :
— Ouah, c’est sensible comme un clito, ce truc ! — Elle défouraille son couteau. — Tu devrais jeter ça avant de brûler quelqu’un d’autre.
— Tu as raison. Ouvre la bouche, et avale sinon elle te coupe une couille.
L’homme en larmes s’exécute. J’attends qu’il ait bien mâché puis dégluti avant de me rasseoir avec le PC et de tapoter avec mes doigts gantés.
— Le mot de passe.
— Putes du 35.
— Ça ne marche pas.
— Au pluriel et tout attaché.
Son PC se déverrouille. Je commence par accéder à son compte sur le forum SM pour effacer toutes les conversations qu’il a eu avec Clémence. Elle me guide, m’explique comment faire, puis ensuite nous fouillons ses répertoires. En voyant nos grimaces, Giulia vient découvrir avec nous l’horreur. Clémence n’est pas la seule qu’il fasse chanter, elles sont cinq, rangées dans la catégorie week-end magique. J’efface sans ouvrir le dossier intitulé Clémence. Sans que je n’aie à les ouvrir, les miniatures des photos me laissent entrapercevoir les visages en souffrances des quatre autres femmes qui ont été ses victimes. Giulia, de l’index, me demande d’ouvrir le fichier appelé fleurs rouges. Ma belle Italienne connaît mieux les pervers que moi, et nous découvrons une série de photos d’adolescentes violentées. Les deux compères psychopathes ont pris en photo leur intimité avant, et après leurs premières pénétrations, fantasmant sur le sang, prenant des selfies, eux souriant, à côté d’un visage en larme. Alors que mes mains commencent à trembler, Giulia murmure :
— Ne touche plus à rien. Ça va intéresser la police.
Il marmonne en bavant. Giulia s’approche de lui :
— Tu veux que je t’égorge, comme un goret ? Et bien non. Je vais te mettre le feu, et tu n’as qu’à choisir laquelle tu veux pour t’allumer. On retrouvera que ton corps brûlé, sans couille et cette preuve.
Les yeux injectés de rage, elle quitte la pièce en lâchant d’une voix froide :
— Clémence, si t’as des dernières volontés, c’est maintenant.
Je regarde à travers le sol pour la voir s’éloigner. Ses pas battent l’escalier, puis elle remonte de la buanderie avec un petit jerricane d’essence. Réalisant qu’il va réellement mourir, il se met à hurler de toutes ses forces. Cela n’arrête pas la vendetta italienne qui lui asperge les épaules. Lorsque les cinq litres sont vides, elle lance le bidon en plastique à l’autre bout de la pièce et lui plante le couteau dans les couilles.
— Quand tu verras mon oncle en enfer, passe-lui le bonjour de Giulia.
Le sang gicle puis se déverse sur la main de ma chérie devenue furie.
— Cagoules, ordonne-t-elle. Et on emporte le PC.
Elle ramasse la boîte d’allumettes et Clémence l’arrête :
— Non, Giulia !
L’Italienne lui envoie un regard de colère et aboie :
— Ce n’est pas que toi ! Il y au d’autres filles !
— Laisse-moi le faire.
Clémence prend l’allumette, la craque. La peur dans les yeux de Bernard est à son paroxysme, mais Clémence n’a plus que du mépris et de la colère. Elle la craque. Le corps entier s’enflamme ainsi que le plancher imbibé. Clémence le regarde alors qu’il hurle comme un porc qu’on truciderait. Je suis persuadé que ses cris peuvent être entendus de très loin de la maison. Je la prends par le bras, puis nous dévalons les escaliers. Dans la buanderie, les hurlements du psychopathe s’entendent encore. Mais à l’extérieur, non. Je retiens mes deux acolytes.
— Attendez, une voiture passe.
Nous attendons, puis Giulia abandonne le PC ouvert sur le sol de l’allée principale. Nous sautons le mur, courons le long de la route puis nous engouffrons dans le champ. Benji répond rapidement au SMS. Nous montons dans voiture de location, puis disparaissons dans la nuit, alors que les flammes commencent à illuminer le jardin par les fenêtres.
— Vous avez mis le feu ? s’étonne Benji.
Clémence et moi nous tortillons à l’arrière pour ôter nos vêtements noirs et avoir l’air de filles normales tandis que Giulia à côté de lui se recoiffe avec une pince dorée en se regardant dans le pare-soleil.
— On était tellement chaude, ça ne pouvait que prendre feu.
— Il était vivant quand vous avez allumé ?
— Vivant et attaché, répond Giulia.
— Et les couilles tranchées, précise Clémence.
— C’est ce que je fais aux violeurs, souligne Giulia.
Benji jette un œil, comprend l’aveu dissimulé. Il secoue la tête.
— J’aurais dû le deviner.
— J’avais treize ans, Benjamin ! J’avais treize ans, putain ! Il m’a violée la bouche et il m’a sodomisée !
Elle tape avec fureur sur le tableau de bord, incapable de lutter contre ses propres souvenirs. Moi-même, elle me terrorise. Benji lui dit calmement :
— Arrête, tu vas déclencher l’airbag.
Giulia rejette sa tête en arrière. Les larmes griffent ses joues. Le silence s’impose dans l’habitacle. En tuant Bernard, c’est comme si elle avait pu retuer son oncle. elle esquisse un sourire mélancolique, essuie ses larmes, et ajoute en provocation à son cousin :
— J’aurais dû cramer sa barraque aussi. Au lieu d’être obligée de supporter ces putains de fêtes Noël en sa mémoire dans son… Tu te rends compte ? Toutes ces fêtes où vous riez et vous buvez, ben c’est là où il m’a détruite ! A poil ! A quatre pattes ! La bouche pleine de sperme !
— C’est bon… C’est bon… Arrête. Si tu veux me faire vomir, tu vas y arriver. Je ne savais pas, et personne ne pouvait le deviner. Je suis désolé Giulia. Et t’as bien fait de le buter, OK ?
Elle détache sa ceinture, puis passe entre les sièges. Elle se blottit contre moi et laisse ses yeux couler quelques minutes encore.
La douceur se ses cheveux me cajole et le silence me renvoie dans mes propres pensées intérieures. Même si ce n’est pas Aymerick que nous venons d’émasculer et de brûler, je ressens une grande satisfaction. Rien de sadique, juste un soulagement pour Clémence. Pourvu qu’en dépeçant le disque dur, les enquêteurs ne retrouvent pas les dossiers que nous avons effacés.
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