Pauvre petite rainette

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ATTENTION, C'EST HORRIBLE !

Il faisait chaud ce jour-là, très chaud. L'air était humide, il avait plus, et à l'orage avait cédé la canicule, comme tous les ans. J'aimais bien me balader le long des chemins encore boueux, et y imprimer l'empreinte de mes pieds nus avant que celle-ci ne se fige pour le restant des mois à venir. Le contact de ma peau et de la douce glaise sous mes pieds est un souvenir fort agréable, qui me fait frissonner. Rares sont les sensations qui me procurent un tel plaisir.

Alors que je continuais ma marche, je sentis une présence. Il semblait que quelqu'un me suivait depuis que je m'étais mise à passer ma main dans les plants de maïs. J'étais alors âgée de seulement quinze ans. Je n'avais rien de la vieille femme que je suis aujourd'hui, j'étais fragile et peureuse. Et ceci était tout légitime, en effet, un tueur rodait dans la région. C'est pourquoi mon cœur se mit à battre soudainement à la sensation du danger.

Sans crier gare, je mis soudainement à courir. Je ne pris pas le chemin de terre, mais fonçai, tête baissée, dans le champ de maïs rien ne m'arrêtai, je trébuchai, plusieurs fois, mais je trouvai toujours la force de me relever, et continuai, courrai, toujours et encore. Puis je failli tomber dans un fossé, j'étais arrivé à la Grand-route. Le soleil me dardait toujours de ses rayons, mais je me sentais en sécurité, enfin. Je ris.

Je ris de bon cœur de ma mésaventure, comment avais-je pu croire que c'était le tueur qui me suivait ? Ce ne devait être qu'un pauvre fermier, me dis-je. Pauvre, pauvre fermier, en me suivant il m'avait mise dans une de ces frousses. Je continuai ma route jusqu'au village, sautillant, pieds nus, dans la boue. Mes petits pieds s'enfonçaient dans la terre humide avec de petits couinements, on aurait le même son que cette grenouille que j'avais piégé dans ma main, l'autre jour.

Elle avait été si mignonne que j'avais décidé de l'attraper. Après des heures et des heures d'essais infructueux, je l'avais saisi enfin. Qu'elle avait été mignonne cette rainette, qu'elle avait été adorable dans ma grande main. Je l'avais tenu dans ma pomme, puis, alors qu'elle avait tenté de s'enfuir, je l'avais refermé, subitement. Pauvre rainette, pauvre bête apeurée, prise au piège, dans ma main. Mais elle m'avait fait peur la petite bête, j'avais réagi un peu vite, j'avais...

— Juliette ! Hey, Juliette, attend moi !

Un gamin venait de débouler du pré. C'était le gardien de vache, George. Bien que gentil, il m'agaçait, il était idiot. Il était un peu plus âgé que moi, il avait seize ans. Je me sentais souvent mal à l'aise face à lui, car bien que je le considérasse comme un gamin, avec ses un mètre quatre-vingt-dix de haut, je ne faisais pas la fière. Peut-être était-ce lui qui me suivait dans ce champ, pensais-je.

— Juliette, pourquoi tu accélères ! Attends haha. Je suis fatigué moi, si tu veux courir, vas-y, mais je ne te rattraperais pas.

Courir, je ne m'étais pas encore mise à courir, je marchais juste insensiblement plus vite. Mes petits sauts se faisaient un peu plus raides à chaque enjambée, et ça, il l'avait remarqué ? Je ne me sentais pas en sécurité. Une gêne montait de plus en plus en moi. Nous étions encore loin des petits toits de chaume du village, bien loin de tout et de tous, et ce soleil, ce soleil m'agaçait lui aussi.

J'avais chaud, j'avais soif, cela faisait des heures et des heures que je gambadais sur les chemins terreux. Des heures et des heures, que je n'avais pas bu une once d'eau. Mon petit pantalon de tissu était de-ci de-là, tacheté de carmin. Notre terre à nous était rouge, elle était belle, mais s'attachait à tout, tout particulièrement aux petits pantalons.

— Juliette, dit, tu veux pas ralentir !

Il avait rattrapé son retard, il trottinait maintenant dans ma direction. J'avais peur, des frissons m'envahissaient peu à peu, et si... Et si c'était lui ? Il était grand, terrifiant avec ses dents déchaussées, un peu bêta sur les bords. Savait-il seulement la différence entre le bien et le mal ? N'était-il pas le parfait criminel fou, le parfait psychopathe prêt à vous égorger pour un oui ou pour un non, pour avoir porté un tissu d'une telle couleur ou bien d'une autre ?!

— Juliette, J'aaaarrive. Viens là, pourquoi tu t'enfuis haha.

La terreur m'envahit soudain. Je savais, je sentais que j'étais en danger, que si je le laissais s'approcher, tout était perdu. Mais de mes petites jambes, je ne faisais pas le poids, il allait me rattraper, c'était certains. Je ris alors, nerveusement. Qu'elle ne fut pas mon erreur, j'avais sans doute attisé la folie meurtrière de celui qui me pourchassait, une lanière de cuir à la main. C'était avec ça, avec cette chose qu'il avait m'étrangler, avant de...

Je courus, véritablement, m'échappant aussi vite que je le pouvais, vers les petits toits de chaume, trifouillant dans ma poche de ma main affolé. Je cherchais, cherchais, mais je ne le trouvais pas, c'est alors que je sentis son manche de tilleul se dessiner sous mes doigts, je l'avais trouvé. Je saisis mon petit canif jeune canari, j'étais prête. J'avais confiance, je savais m'en servir, c'était avec le même petit canif que je m'étais amusé avec la rainette.

Mais je trébuchai soudain sur la terre, et tombai, sans défense. Je me relevai à moitié, aussi vite que le pouvais, mais l'homme était déjà juste derrière moi, cachant le soleil de son impitoyable silhouette, sa lanière de cuir à la main, un regard fou sur le visage. Je sortis alors ma frêle lame et lui lassera la jambe gauche, d'un grand mouvement. Dans un cri de rage et de douleur, l'homme se roula au sol.

— Salaud ! Salaud ! Tu vas voir !

Je lui plantai mon couteau dans l'abdomen, une fois, deux fois, trois fois.

— Arrête ! Par pitié, arrête !

— Salaud, salaud ! Salaud !

Je le plantai, encore et encore, le faisant gémir, le faisant souffrir, autant qu'il le méritait. Une fois calmé, je fus plus méthodique, je le tranchai, en coupant sa peau, juste sa petite peau de rainette toute frêle, je le saignai comme un cochon.

— Arrête... Pitié...

— Pitié ?! Tu vas voir ! Salaud ! Salaud !

Un sourire satisfait apaisait peu à peu sur mon visage, tout au long de ma méticuleuse besogne. Le sang coagulait vite sous la chaleur du soleil, cela m'arrangeait, j'allais pouvoir m'amuser un peu plus longtemps. Je m'assis sur ma victime, comprimant sa cage thoracique, loin imprimant une terrible douleur à chaque respiration, je voulais atteindre son cœur, je voulais le dévorer, je voulais le voir souffrir, mais je me retins, c'était mal.

Pas tout de suite, non, pas tout de suite.

Des mouches se coulaient sur son visage pâle et couvert de boue. Ses lèvres étaient sèches, son regard, sans vie. Je ris. Je ris gaiement de ma folie, j'étais heureuse d'avoir trouvé une autre petite rainette, à découper, à trancher, et puis... Ce champ décuplait ma créativité.

Et si... j'étais originale...

— Reste là, compris.

Je me levai.

— Ne bouge pas.

Il ne me répondit pas, se contenta de pousser un gargouillis incompréhensible.

— Bien, bien, reste là. J'arrive dans quelques secondes, on va s'amuser toi et moi.

***

Le lendemain matin, dans la gazette du petit journal local, était inscrit en gros titre : "Le meurtrier des Jacassières retrouvé !". L'assassin avait été appréhendé dans un village non loin d'ici j'étais enfin en sécurité. Je savourai longuement la bonne nouvelle, un sourire aux lèvres, pensant aux événements d'hier.

— Pauvre petit, pauvre petite rainette.

— Que dis-tu Juliette ?

— Non, rien.

— Sais-tu que l'on a retrouvé le fils des Tréponds mort, hier, sur la Grand-route ?

— Vraiment. Étrange... Il doit y avoir une bonne raison à cela.

— Si tu le dis, quoiqu'il en soit, ce n'est vraiment pas banal, on a retrouvé des épis de maïs dans son ventre, tu imagines ? Si on en croit le médecin, il était encore vivant lorsque qu'on lui a fait subir ça. Pauvre gamin... Qui serait assez fou pour commettre une telle ignominie.

— C'est vrai ça... Qui serait assez fou, pour... Pauvre petite rainette...

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