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Ça avait commencé par des sautes d'humeur. De fréquentes crises de colère, de larmes, de jalousie. Thelma pouvait exploser en un instant, tout ravager sur le passage de ses caprices, puis redevenir l'aimante épouse qui partageait mon lit chaque soir depuis huit ans. D'ange innocent, elle pouvait se changer en démon destructeur sans raison apparente, et de nouveau se faire douce comme un agneau ; tout ça parfois en l'espace de moins d'une heure.
Au départ, lorsque ça lui arrivait, je prenais sur moi, comme le bon conjoint conciliant, patient et tolérant que je voulais être pour la merveilleuse femme que j'aimais au-delà de tout.
Puis les choses sont rapidement devenues hors de contrôle, ça a dérapé très vite. Le jour où je lui ai demandé à ce qu'on parle, elle s'est emportée, a refusé de dialoguer, s'est rebiffée à la manière d'un animal sauvage. Je me rappelle avec une attristante précision de notre première « vraie » dispute. Je ne parle pas d'une simple scène de ménage commune à tous les couples ou presque, ni d'une engueulade qu'on aurait résolue au lit le soir-même.
Ce soir-là a été la première fois que j'ai réellement envisagé de quitter Thelma. Ou du moins, que j'ai pour la première fois remis en question l'engagement soi-disant éternel qui me liait à elle d'après le maire, le prêtre et quelques papiers.
Auparavant, cette perspective ne m'avait jamais effleuré l'esprit, et je me croyais prêt à tout endurer aux côtés de cette femme, que j'avais en effet mariée pour le meilleur et pour le pire, de tout mon cœur et dans un bonheur fou au moment où je l'ai fait.
Si j'avais un instant pu me douter de ce qui m'attendait, je crois que je me serais pendu sur-le-champ, privé de mon rêve d'une vie de famille heureuse aux côtés de celle pour qui j'étais capable du pire. Et je le regrette, après-coup, de ne pas l’avoir fait tout de suite. Parce que c'est moche, que les choses aient dégénéré de cette façon, que j'aie laissé la situation s'envenimer à ce point, détruire chaque étincelle du bonheur que nous aurions dû partager jusqu'à ce que les rides nous creusent tous les deux.
C'est ce soir-là, le soir de notre première vraie dispute, que j'aurais dû sentir le vent tourner. Un vent mauvais, qui charriait des relents de cadavres en putréfaction. Mais mes sens étaient annihilés par l'amour, bien entendu... Et je n'ai pas voulu réaliser qu'il y avait danger.
Même quand la première gifle a volé sur ma joue, ce soir-là, j'ai pensé qu'elle avait juste besoin d'air. Alors je lui en ai donné.
Ce n'est pas tant vis-à-vis de la violence physique que morale que m'infligeait Thelma, que j'étais aussi atterré par notre querelle. Certes, elle avait levé la main sur moi, mais je n'avais remis en doute mon alliance à elle que parce qu'elle avait évoqué sa volonté de retourner voir son ex, un pilote de rallye blindé qui vivait sur une côte de riches – d'émeraude ou d'Azur, c'était la même pour moi.
Les jours avaient passé, nous étions en froid et aucun jeu d'aucune sorte n'aurait pu nous réconcilier à ce moment-là, après notre dispute. Au milieu de crises de nerfs exaspérantes, Thelma continuait de menacer de faire ses valises pour se barrer revoir son rallye-man, et moi je me terrais chaque jour plus profondément dans un silence blessé, pensant lui laisser la paix pour qu'elle se calme.
Puis, au bout de ce qui m'avait paru durer trois mois mais qui n'était en réalité qu'une semaine, notre fille, Angèle, était rentrée des vacances qu'elle passait chez ses grands-parents. Son retour dans la maison, où la tension semblait vibrer tant elle était palpable, avait été l'électrochoc qui m'avait, comme je le croyais à ce moment-là, remis d'aplomb.
Lorsque j'étais allé la récupérer chez mes parents, un dimanche matin, j'avais soudain retrouvé mes esprits dans la voiture : Angèle ne devait pas voir ce qui s'était passé, m'étais-je dit. Pour son bien, il fallait que j'agisse comme si rien ne s'était produit en son absence, et que mon lien avec sa mère soit celui qu'elle avait toujours connu.
C'est ainsi qu'après avoir sauté à l'arrière de ma Honda familiale, trépignant d'impatience de me raconter chaque détail de son séjour, Angèle m'avait sans le savoir, convaincu que je devais poursuivre mes efforts pour maintenir ce couple qui commençait à se déliter sous mes yeux, pour sauver notre famille.
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