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 Ces deux années de terreur (parce que mon épouse avait réussi à faire de moi une créature chétive, misérable et craintive du moindre geste), avaient heureusement trouvé une fin, au cours du printemps dernier.

Comme tous les weekends, notre petite famille des plus ordinaires en apparence, partait faire un tour au marché du coin. Je me rappelle que nous avions entre autres besoin de courgettes et de poivrons pour une ratatouille, car des amis devaient venir déjeuner le lendemain (ce qui n'a pas eu lieu, mais je l'ignorais à cet instant-là).

Nous nous étions ainsi arrêtés à l'étal du maraîcher, j'avais dégainé un vieux sac de courses en toile, et Thelma me pointait déjà impatiemment les poivrons les plus dodus du doigt. Les raisons précises de la colère noire qui l'avait emportée quelques instants plus tard, m'échappent aujourd'hui encore, mais j'avais cru comprendre qu'il était question de l’achat d’un cadeau plutôt onéreux que j’avais offert à Angèle sans la concerter.

Quand elle l’avait appris, Thelma était alors entrée dans une rage démesurée. Ses yeux s'étaient exorbités à la manière grotesque des personnages de dessin animé ; ses sourcils s'étaient arqués dans une courbe furieuse qui n'annonçait que des ennuis ; et les mots qui sortaient de sa bouche tordue par la colère n'étaient qu'injures.

Pensant apaiser la tension, pour éviter une crise de sa part en public, je m'étais empressé de lui assurer qu’Angèle en était très heureuse et m’étais tourné vers notre fille pour qu’elle en témoigne par elle-même, mais j'avais oublié un détail : dans ses débordements de jalousie injustifiée, Thelma m’interdisait de faire intervenir notre fille.

Aussitôt son nom prononcé, je m'étais rendu compte de mon erreur. Mais bien entendu, il était trop tard. La fureur de Thelma, déjà brûlante, avait explosé dans un concert de hurlements hystériques, qui, s'ils n'avaient pas été dirigés contre moi dans le but de me blâmer et me rabaisser, me paraîtraient désormais comiques. L'absurdité de la situation n'avait rien d'absurde à mes yeux à ce moment-là : j'avais tellement l'habitude du tempérament éruptif de Thelma, qui sortait de ses gonds pour tout et rien depuis plus de deux ans, que les motifs de sa rage ne me paraissaient pas aussi futiles à l'époque. Et sa réaction d'une violence impensable ne m'avait pas non plus décontenancé outre mesure, pour les mêmes raisons.

Au milieu des accusations braillées en plein marché et des insultes plus humiliantes encore que la situation, Thelma avait alors commencé à me frapper. D'abord pour me provoquer, elle s'était mise à me pousser. Songeant qu'il valait mieux ne pas réagir, j'étais resté de marbre, visage fermé, pétrifié devant les regards choqués des passants. Puis, face à ma passivité, elle était passée aux coups, faisant pleuvoir sur mon torse et mon visage ses poings rageurs.

Je ne m'étais défendu que lorsque Angèle avait éclaté en sanglot, me tirant de ma torpeur. Mais comme d'habitude, je n'avais fait que repousser les gestes de Thelma, et je ne lui avais fait aucun mal en retour. Même battu par ma propre épouse, frapper une femme me semblait toujours trop abject pour justifier de lui rendre la pareille.

Autour de la scène, des badauds s'étaient arrêtés pour nous observer, consternés, puis quelques passants avaient fini par s'interposer et écarter Thelma de moi. Des exclamations outrées avaient résonné à mes oreilles et avaient semblé se répercuter sous mon crâne. Un couple scandalisé avait composé le numéro de la police. Ça avait été le déclic qui m'avait permis de réaliser à quel point je m'étais enfoncé dans une relation plus que toxique, et qu'il était crucial d'en sortir au plus vite.

J'avais l'impression de me réveiller d'un très long sommeil et de prendre conscience que j'avais emprunté un chemin dangereux des années plus tôt, sans rien faire pour changer de voie avec le temps, et que j'étais hors de la réalité, loin du monde, depuis lors.

Thelma fut jugée et écopa d'une peine de prison suite à la plainte que j'avais déposée après l'incident.

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