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Je suis tiré d'affaire, ils vont intervenir pour mettre Thelma hors d'état de nuire, la ramener en cellule et l'y enfermer pour de bon...
Une lueur de panique passe dans les yeux de Thelma. J'entrevois sa fureur, remplacée en un clin d'œil par une farouche détermination. Elle avance d'un pas dans ma direction. Je tressaute et recule avec précipitation.
– Je ne vais pas me laisser ramener chez les fous avant d'avoir accompli ce que j'attends depuis que j’ai compris, marmonne-t-elle, s'adressant à elle-même plus qu'à moi. Je ne peux plus revoir Angèle par ta faute, alors toi non plus, tu ne le pourras plus. Je ne te laisserai pas continuer à avoir ce privilège.
Sans prêter attention aux sirènes mugissantes, au pied de l'immeuble, elle avance à nouveau vers moi.
– Thelma, non ! Tu ne peux pas faire ça, je t'en prie ressaisis-toi !
Ma voix vacille et s'étrangle dans ma gorge, tandis que je m'écarte de la lame qu'elle pointe en avant. Dans de grands gestes malhabiles et affolés, je tente de la frapper, de la pousser, en évitant la trajectoire de son bras.
Thelma fait mine d'abaisser le couteau, je profite de cet instant pour tenter de la désarmer d'un vif coup de coude. Son poing ne lâche pas prise. Dans un cri rageur, elle me coince avec brutalité contre le canapé, brandit en l'air la lame éclatante, et la plante droit dans mon ventre, avant que je ne puisse parer le coup.
Une douleur terrible me transperce en même temps que l'inox affûté. Je pousse un hurlement et plaque mes mains autour de la plaie, de laquelle Thelma retire l'arme luisante de sang rubis.
J'ai à peine le temps d'esquisser un geste en arrière, dans une vaine tentative de fuite, que la lame plonge à nouveau dans mes chairs, me coupant le souffle.
– Au fait, ta demande en mariage, siffle-t-elle au-dessus de ma tête, je l'ai toujours trouvée ringarde.
Sans que je sache comment, alors que j'agonise et tente de ramper hors de son atteinte, mon cerveau trouve les ressources pour projeter des images de l'épisode du passé sous mes yeux.
Dans un flash, je me revois à genoux face à Thelma, nos visages baignés de la lumière orangée du soleil couchant, sur une plage de la Costa Brava. Nos rires et nos larmes se mélangent aux cris des mouettes, nos lèvres se trouvent dans le vent tandis que je passe l’anneau à son doigt.
J’ai envie de fermer les yeux pour me noyer dans ce souvenir, m’accrocher à lui et oublier la réalité.
« Angèle... »
La voix dans ma tête, qui semble retentir de très loin, me rappelle ma promesse : protéger ma fille. Rester pour elle.
Je retrouve mes esprits. Thelma est au-dessus de moi. Rien dans ses traits ne me ramène à cette plage d’Espagne, tant d’années plus tôt.
La lame sanguinolente qu’elle brandit est prête à fondre droit sur mon cœur. Je perçois des coups et des bribes de voix qui crient dans le couloir, derrière la porte d’entrée.
Je me rends compte que j’ai rampé jusqu’au fond du salon. Dans un mouvement désespéré, je saisis par la hanse le gros vase japonais qui trône près des rideaux, dans lequel plus aucune plante ne s’épanouit depuis des années. Thelma se rue sur moi. J’abats le pot de porcelaine contre sa tempe de toutes mes forces…
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