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 Je rentre du chemin de l'école primaire d’Angèle, que je viens de déposer aux portes de l'établissement. Les oiseaux pépient dans les branches des platanes bordant la route. Le soleil timide en ce début du mois de novembre, brille entre deux nuages.

Fidèle à mon rituel matinal, au retour de l'école, je relève le courrier de la boîte aux lettres de notre appartement. Quelques factures, beaucoup de pub, comme d'habitude. Je parcours les trois volées de marches qui me séparent du premier étage, longe le couloir désert jusqu'à la porte de mon appartement, qui s'ouvre à la suite d'un tour de clé.

Ce matin semble identique à tous les matins, mais quelque chose, je ne saurais dire quoi, lorsque je pénètre dans le hall baigné de pénombre, me dit qu'il ne l'est pas. Ma routine bien calée rencontre l'inattendu : le frisson de l'intuition. Et cette intuition me souffle que je ne suis pas seul chez moi.

« C'est ridicule, me dis-je, pourquoi y aurait-il quelqu'un à l'intérieur ? J'ai fermé la porte à clé en partant, je viens d'ailleurs de l'ouvrir ! »

Une sensation de malaise me poursuit toutefois tandis que je traverse le salon, sans pouvoir m'empêcher de jeter des regards nerveux autour de moi. Bien entendu, la pièce est telle que je l'ai laissée à peine une heure plus tôt : Angèle a encore étalé ses poupées Barbie sur le tapis qui borde le canapé avant de partir pour l'école ; la télé en veille projette une image de paysage enneigé ; la table basse est encombrée d'un dossier de travail dont j'ai hâte de me débarrasser.

Tout paraît normal, et pourtant, je ne peux pas le nier, je sens comme une présence. Je n'aime pas cette impression désagréable – et assurément trompeuse, car il est absurde de penser que c'est le cas –, qui m’assaille, d'être observé à mon insu. C'est comme celle d'avoir oublié quelque chose quand on part en voyage, on ne peut pas mettre le doigt dessus mais il y a ce pressentiment mauvais que tout n'est pas clair.

Alors, pour dissiper le doute irrationnel qui m'envahit, je fais volte-face d'un mouvement brusque, rapide, qui ne laisse pas de temps au suspense.

Mais rien. La cuisine silencieuse me regarde de ses yeux vides : le four et la machine à laver, dans chaque coin.

« Je ne vais pas me mettre à fouiller mon propre appartement, alors que je dois régulièrement persuader Angèle qu'il n'y a aucun monstre sous son lit et le lui prouver, je songe. Une fois de plus, c'est ridicule. J'ai bien mieux à faire, comme tenter de boucler ce fichu dossier qui traine depuis des semaines... »

Sans plus attendre, pestant devant la pile qui m'attend sagement sur la table basse, je m'attelle à la tâche.

Les heures s'étirent, interminables, et à onze heures, je m'efforce de résister à l’envie de faire couler un cinquième café. Ce dossier plombant m'assomme à chaque fois, mais je crois bien qu'en poursuivant mes efforts un peu plus longtemps, je parviendrai à lui faire la peau avant le déjeuner.

La curieuse sensation qu'un intrus s'est introduit chez moi m'était sortie de l'esprit, jusqu'à ce qu'un bruit provenant de la chambre d’Angèle ne me fasse tout à coup lever la tête de ma besogne, soudain aux aguets. Sans savoir pourquoi, je songe : « C'est comme ça qu'on annonce les ennuis d'un personnage, dans un polar. Ça commence par des petits signes, puis la tragédie frappe... »

Irrité d'être interrompu sur la fin de ce dossier de malheur que je ne souhaite que brûler à l'essence, je me lève, et fais le tour des chambres avec impatience. Bien sûr, il n'y a toujours personne. Comment pourrait-il en être autrement ?

Mais cette sensation de ne pas être seul entre ces murs bien familiers est toujours là, palpable.

« Ça y est, je deviens parano. Est-ce que les traumatismes de mon passé avec Thelma m'ont atteint au point de devenir taré comme elle ? »

Soupirant, désabusé, je regagne le canapé. Je retourne à mon dossier sans plus trainer, me promettant que la prochaine fois qu'une « intuition » me frappe, je l'enverrai se faire voir au pays où finissent les suppos.

Peu après midi et demie, je pose mon stylo. Ça y est, j'ai enfin achevé ce fichu travail que mon N+1, un type plutôt cool pour un supérieur dans cette boîte de snobs, m'a refilé en pensant me flatter. Tu parles, la plaie... Ou alors, il me méprise et a trouvé le bon moyen de s'en débarrasser, auquel cas il cache bien son jeu. Mais au moins, c'est derrière moi, pour de bon.

Il y a quelqu'un.

C'est une certitude, cette fois. Des pas viennent tout juste de résonner dans le couloir, derrière le salon. Des pas nets, résolus. Pas les craquements caractéristiques du parquet qui travaille. Ça ne peut pas être un autre tour de mon imagination, et je refuse de croire que j'ai sombré dans la paranoïa comme ça...

Une bouffée de terreur me cloue sur place. Tous mes muscles sont crispés, mais je ne sais pas si face à un cambrioleur, ils me dicteraient de fuir ou d'affronter le danger. Dans l'immédiat, je suis juste figé sur le canapé.

À nouveau, je perçois les bruits de pas, plus proches. Pas de doute, il y a bien quelqu'un ici, et bon sang, je ne l'ai même pas vu en faisant le tour des pièces... Un frisson glacé me traverse tandis qu'une goutte de sueur perle de mon front.

Un rapide coup d'œil autour de moi m'indique que je n'ai qu'un choix limité d'armes dans mon champ : au mieux, des poupée Barbie, au pire, une télécommande ou mon dossier de plusieurs centaines de pages.

Un craquement du lino, encore plus proche, résonne dans le couloir, à quelques mètres de moi. Le cœur battant la chamade, je m'exclame, tentant de prendre un ton persuasif :

– Si quelqu'un est là, je te préviens, enfoiré, je sais très bien me défendre. Et tu vas prendre cher !

Le bluff a parfois marché, dans certains scénarios de fiction plus ou moins bien ficelés. On ne sait jamais, et de toute façon, la diplomatie est mon seul moyen de défense dans l'immédiat. Je n'ai jamais participé à une bagarre, et les arts martiaux m'ont toujours plutôt effrayé. Si je dois user de mon corps pour faire face au danger, ce sera sans doute pour courir, en fin de compte. C'est alors qu'une voix que je reconnaîtrais entre mille, perce l'insupportable silence.

– Bonjour, Guillaume.

Une décharge d'angoisse pure me foudroie. L'impression d'avoir un oursin coincé au fond de la gorge, je peine à déglutir. Ma respiration s'accélère, je peux entendre mes tempes battre le tempo de mon cœur affolé.

« Comment... ? »

Aucune pensée cohérente ne parvient à se faire une place au milieu de la cohue mentale qui m'assaille. De nouveaux pas retentissent dans le couloir. Je le sais, ils se rapprochent inexorablement.

J'ai beau être convaincu de ne pas me tromper (jamais je ne pourrais confondre cette voix), mon cerveau ne parvient pas à traiter cette information. Parce qu'elle est insensée, parce que c'est impossible...

Et soudain, la silhouette qui habite mes rêves autant que mes cauchemars émerge au beau milieu du salon, coupant court à mes doutes.

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