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 Je me décompose. Toute trace de couleur quitte mon visage, et je sens mon cœur plonger.

Face à moi se tient Thelma.

Thelma, belle comme à nos premiers rendez-vous. Thelma, terrifiante comme dans nos derniers jours ensemble.

Je ne comprends pas ce qui m'arrive, si je me suis assoupi le nez dans mon dossier, si je délire éveillé, si je ne suis que le dindon d'une farce de très, très mauvais goût...

Thelma me regarde. Ses yeux bleus, intenses, sont plantés dans les miens, et une étincelle farouche brille dans ses prunelles. Une lueur de folie telle que je n'en ai jamais vue.

Elle est bien là, en chair et en os, face à moi au cœur du salon. C'est si fou, impensable, que je suis à peu près aussi réactif qu'un déficient mental sous sédatifs. Mon cerveau est en mode freeze, paralysé, incapable de fonctionner correctement. Tout ce que je peux faire, c'est observer cette vision qui s'est imposée à mon regard.

Sa maigreur me frappe avant tout. Thelma a toujours été ronde, bien en chair. De quelques centimètres plus grande que moi, elle me dominait par sa carrure. La femme que j'ai face à moi est voûtée, creusée, telle une amphore autrefois majestueuse qu'on aurait sculpté sans mesure. Ses clavicules et ses pommettes saillantes lui donnent désormais un air squelettique. Son teint cireux, ses yeux torves renforcent cette impression irréelle, horrifiante.

Lorsqu'elle s'adresse de nouveau à moi, sa voix douce et contenue contraste avec son apparence disgracieuse et l'éclat dangereux qui illumine son regard.

– Tu n'as pas l'air content de me voir, Guillaume.

Changé en statue de glace (Angèle aurait apprécié la référence à La Reine des Neiges, qu'elle idolâtre), je ne peux que laisser le silence répondre à ma place, la bouche entrouverte dans ma stupeur.

– Ils voulaient me transférer dans un institut, un endroit de fous, poursuit Thelma sur le même ton tranquille. Mais tu ne les aurais pas laissé faire ça, Guillaume, pas vrai ?

Elle ne me lâche pas des yeux, plantée au milieu du salon, bloquant mon issue vers le hall et les autres pièces de l'appartement. La panique me gagne un peu plus chaque seconde, à mesure que je réalise la situation. Au comble de l'affolement, je pense :

« Qu'est-ce qu'elle fait là, bordel ? C'est incompréhensible, elle est en prison, il n'y a aucune raison qu'elle ait été relâchée sans que je ne le sache... »

– Je n'avais pas envie de finir dans un asile, avec des dégénérés, reprend Thelma, alors j'ai décidé de rentrer à la maison. Pendant le trajet, je me suis arrangée pour filer entre les mains de mes ravisseurs et venir jusqu'ici. Je savais que tu ne serais pas là : c’était l’heure de l’école, tout à l'heure. J'ai pris le double des clés qu'on laisse toujours dans le sous-sol, au cas où la porte claque ou qu'on perde le trousseau, puis je me suis cachée dans la penderie d’Angèle. Nous voilà donc en tête à tête. Ça ne te fait pas plaisir, Guillaume ?

Je frissonne de l'échine au sacrum, traversé par l'effroi, auquel vient se mêler un désarroi croissant.

Thelma s'est évadée. Elle est revenue chez nous, et d'après la lueur de folie dans ses yeux vitreux, elle en a après moi.

J'évalue rapidement mes chances de m'en sortir face à elle : ma condition physique, comparée à la sienne actuellement, me place largement favori, mais je ne sous-estime pas l'énergie du désespoir commune aux aliénés frappés d'hystérie. Ces derniers sont souvent portés par une force insoupçonnée lorsqu'ils sont décidés à s'en prendre à quelqu'un…

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