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 Un douloureux mélange d'émotions tourbillonne dans mon cœur. La confusion, la peine, la peur, la colère se mêlent ; c'est le chaos à l'intérieur.

– Thelma, dis-je d'une voix tremblante, si tu veux revoir Angèle, tu ferais mieux de rentrer d'où tu viens sans faire d'histoire.

– Mais c'est ici, chez moi. Cet appartement est autant le tien que le mien, je te rappelle. Et je ne compte pas retourner avec les autres timbrés, qu'est-ce que tu crois ? Que je suis venue ici pour faire les poussières et repartir ? Je sais ce qui s’est passé, Guillaume.

L'éclat qui brille dans ses yeux devient un brasier brûlant de haine. D'un geste sec, elle élève le couteau qu'elle tient dans sa main à hauteur de sa poitrine. Aussitôt, mon pouls s'emballe de plus belle, et je sens la tension dans chacun de mes muscles bandés. Des fourmis me parcourent les mains, tout me paraît soudain s'accélérer.

– Bientôt, toi non plus, tu ne verras plus Angèle, dit Thelma d’un ton goguenard. J’espère que tu lui as bien dit au revoir ce matin, aux portes de l’école.

– Je ne la laisserais jamais, je proteste.

– Si c’est ce que tu te fais croire, réplique Thelma en reniflant de mépris, faisant luire la lame aiguisée dans sa main.

Je reconnais le couteau de cuisine que j'utilise pour couper les viandes les plus filandreuses. Le souvenir d'un soir où Thelma et moi avions tranché des côtes de bœuf avec, un verre de rouge à la main, nous balançant l'un contre l'autre sur un slow, me traverse fugacement l'esprit.

– Tu vas payer, Guillaume, continue-t-elle. C’est tout ce que je veux : une vengeance. Mais j'hésite encore pour le lieu où je disperserai les morceaux de ton corps. Tu me conseilles quoi, plutôt le fleuve, ou le bosquet où tu vas courir le matin ?

« Là on y est, dans les tréfonds de la folie pure, meurtrière..., je songe, tétanisé. Je ne veux pas mourir bordel, je ne veux pas mourir à cause d'elle, là, maintenant. »

C'est alors que des sirènes se mettent à résonner dans la rue en contrebas. Mon cœur fait un bond dans mes côtes. La police, enfin !

Je suis tiré d'affaire, ils vont intervenir pour mettre Thelma hors d'état de nuire, la ramener en cellule et l'y enfermer pour de bon... Toute cette affreuse histoire ne sera plus qu'un fâcheux incident auquel je repenserais souvent plus tard, en me disant que je l'ai échappé belle, ce jour-là.

Une lueur de panique passe dans les yeux de Thelma. J'entrevois sa fureur en même temps que sa douleur, remplacées en un clin d'œil par une farouche détermination.

– Je crois que je n'aurai pas le temps pour le détour au bosquet, dit-elle.

Elle avance d'un pas résolu dans ma direction. Je tressaute et recule avec précipitation, frémissant d'angoisse.

– Tant pis, continue-t-elle, l'air de moins s'adresser à moi qu'à elle-même, dans tous les cas je ne vais pas me laisser ramener chez les fous comme ça. Et surtout, pas avant d'avoir accompli ce que j'attends depuis que j’ai compris. Je ne peux plus revoir Angèle par ta faute, alors toi non plus, tu ne le pourras plus. Je ne te laisserai pas continuer à avoir ce privilège.

Sans prêter attention aux sirènes mugissantes, au pied de l'immeuble, elle avance à nouveau de plusieurs pas vers moi.

– Thelma, non ! Tu ne peux pas faire ça, je t'en prie ressaisis-toi !

Ma voix vacille et s'étrangle dans ma gorge à la fin de ma phrase, tandis que je m'écarte de la lame qu'elle pointe en avant. Dans de grands gestes malhabiles et affolés, je tente de la frapper, de la pousser, en évitant la trajectoire de son bras.

– C'est fini, Guillaume. Ne joue pas à ça, tu ne m'auras pas.

Thelma fait mine d'abaisser le couteau, je profite de cet instant pour tenter de la désarmer d'un vif coup de coude. Son poing ne lâche pas prise. Dans un cri rageur, elle me coince avec brutalité contre le canapé, brandit en l'air la lame éclatante, et la plante droit dans mon ventre, avant que je ne puisse parer le coup.

Une douleur terrible me transperce en même temps que l'inox affûté. Je pousse un hurlement et plaque mes mains autour de la plaie, de laquelle Thelma retire l'arme luisante de sang rubis.

J'ai à peine le temps d'esquisser un geste en arrière, dans une vaine tentative de fuite, que la lame plonge à nouveau dans mes chairs, me coupant le souffle. Un hoquet de souffrance à l'état pur m'échappe.

Je dois m'enfuir. Le plus vite possible. Thelma ne flanchera pas. Elle ne reviendra pas non plus à elle. Elle me tuera. Me charcutera sans pitié. Et tout ça à quelques secondes de l'arrivée de la police.

– Au fait, ta demande en mariage, siffle-t-elle au-dessus de ma tête, je l'ai toujours trouvée ringarde.

Sans que je sache comment, alors que j'agonise et tente de ramper hors de son atteinte, mon cerveau trouve les ressources pour projeter des images de l'épisode sous mes yeux.

Dans un flash, je me revois à genoux face à Thelma, nos visages baignés de la lumière orangée du soleil couchant, sur une plage de la Costa Brava. Nos rires et nos larmes se mélangent aux cris des mouettes, nos lèvres se trouvent dans le vent tandis que je passe l’anneau à son doigt.

J’ai envie de fermer les yeux pour me noyer dans ce souvenir, m’accrocher à lui et oublier la réalité.

« Angèle... »

La voix dans ma tête, qui semble retentir de très loin, me rappelle ma promesse : protéger ma fille. Rester pour elle.

Je retrouve mes esprits. Thelma est au-dessus de moi. Rien dans ses traits ne me ramène à cette plage d’Espagne, tant d’années plus tôt.

La lame sanguinolente qu’elle brandit est prête à fondre droit sur mon cœur. Je perçois des coups et des bribes de voix qui crient dans le couloir, derrière la porte d’entrée.

Je me rends compte que j’ai rampé jusqu’au fond du salon. Dans un mouvement désespéré, je saisis par la hanse le gros vase japonais qui trône près des rideaux, dans lequel plus aucune plante ne s’épanouit depuis des années. Thelma se rue sur moi. J’abats le pot de porcelaine contre sa tempe de toutes mes forces.

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