Les retrouvailles : Suite II.
Heinrich.
J’acceptais avec grande joie ce repos proposé. La chaleur de l'âtre commençait déjà à dissiper la morsure du froid dont mon corps était la proie, et les douleurs qu’elle annihilait réapparaissaient progressivement. Mais croiser à nouveau ce regard, depuis toutes ces années, était le meilleur réconfort que j’avais pu espérer. La tension de ces derniers jours se dissipa dans ses yeux bienveillants, et je lui répondis avec grand sourire :
- Un grand bol de soupe bien chaude ne serait pas de refus très chère. Je n’avais pas souvenir que ces contrées étaient aussi fraîches, j’ai dû y laisser quelques orteils. Heureusement que ta présence y apporte un peu de chaleur.
- Mets-toi à l’aise, me répondit-elle d’un sourire, avant de se diriger en cuisine.
Je pris quelques instants pour regarder autour de moi. La pièce avait légèrement changé, un nouveau tableau par-ci, une étagère qu’on avait déplacée par-là, quelques chandeliers et ornements dont je n’avais pas souvenir. Mais dans l’ensemble elle restait identique au passé. Divisée en deux parties, dans la première trônait une grande table pouvant accueillir une dizaine de personnes, en chêne massif, ornée de gravures centenaires semblables à celles des chaises l’accompagnant. Un grand candélabre d’argent en occupait le centre, majestueusement. Deux hautes fenêtres orientées sud, pratiquement de la hauteur de la pièce, s’ouvraient sur un jardin couvert de ce froid duvet blanc qui me faisait encore frémir, illuminant ainsi la pièce. Quant à l’autre partie, elle contenait l'âtre crépitant, devant lequel se tenaient deux grands fauteuils des plus confortables, dont un qui semblait inutilisé depuis des lustres, bien qu’aucune marque visible ne le laissait vraiment supposer.
Je me dirigeai en claudiquant vers l'âtre, la douleur étant maintenant bien présente dans tous mes membres fourbus. M’asseyant à même le sol devant les flammes, j’enlevai précautionneusement mes mitaines, puis mes longues bottes, découvrant mes extrémités gelées. Mes orteils étaient bleus, et je ne parvenais plus à les bouger, mais je sentais quelques fourmillements qui me prouvaient qu’ils avaient quand même tenu bon. Les yeux perdus dans les flammes, je me remémorai tous les souvenirs dont était empreint ce manoir. Les images du passé tournaient dans ma tête, et le sommeil que je m’étais refusé pendant ces trois derniers jours commença à reprendre ses droits. Mes paupières se firent lourdes, toute la pression de mon corps se relâcha. Je sentis l’odeur de la soupe, l’image du visage de cette chère Comtesse m’apparut dans un songe, je crus entendre sa voix, mais j’étais déjà bien loin, dans un sommeil serein qui ne m’avait pas été autorisé depuis bien longtemps…
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