Chapitre 20

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L’équipage se préparait à appareiller. On hissa l’ancre au bossoir, les gabiers déferlèrent les voiles, étarquèrent les drisses, et le navire prit le large. Il ne fallut pas plus d’une vingtaine de minutes au Phoenix pour quitter le port et entrer en haute mer. Sur le pont supérieur, le capitaine prit le gouvernail et changea de cap en silence, ce que remarquèrent ses compagnons de route.

— Capitaine ? le questionna Syllas.

— Changement de cap, direction Anouk.

Le second et le quartier-maître se dévisagèrent. Ils lancèrent un regard au timonier, qui ne broncha pas à l’énoncer de la cité maudite.

— Une raison à ce changement soudain de destination ? essaya Asan en s’approchant du bastingage, jetant un regard sur le pont inférieur.

Ses yeux s’attardèrent sur une silhouette assise contre le bastingage bâbord, le visage lever vers le ciel, observant les gabiers effectuer leurs travails.

— C’est à cause de lui ? demanda-t-il en désignant Earl d’un coup de tête.

— Nous avons tous besoin de réponse. Lui comme moi.

— Quelle réponse cherches-tu ? questionna à son tour Syllas.

— Plus des explications que des réponses… Sur le garçon, et sur Mannles.

L’énonciation du pirate Mannles eut le don de raidir les deux hauts gradés. Le timonier resta calme et s’approcha du capitaine.

— Je vais prendre la barre pour manœuvrer entre les ilots. Je pense qu’Earl a lui aussi des questions à te poser, vu la tête qu’il tire.

Leurs regards se portèrent sur l’enfant en question, toujours assis contre le bastingage, le visage tourner vers eux. Il n’essaya pas de fuir les yeux posés sur lui, et Arawn fut surpris de le voir les soutenir sans crainte.

— Il a des questions auxquels je n’ai pas envie de répondre… soupira le phénix.

— Mais tu y seras forcé un jour ou l’autre, sourit Helm en posant une main amicale sur l’épaule de son compagnon. Sois tu y réponds, soit il le découvrira par lui-même. Et je pense que tes explications seront plus complètes et justifiées qu’une découverte effrayante sur certains points.

Arawn expira bruyamment, ce qui eut le don de faire rire ses amis de route.

— Pourquoi faut-il que tu aies toujours raison ? demanda-t-il au barreur.

— Parce que je suis la voix de la sagesse sur ce navire. Et que vous seriez dans de sérieux pétrins sans ça, ricana le concerner en prenant la barre. Allez, va le voir.

Le capitaine grimaça, mais il n’avait pas le choix. Le garçon était curieux et le resterait. Il avait des questions et Arawn en possédait les réponses. Il se surpris à appréhender une quelconque discussion avec le garçon, sur n’importe quel sujet.

Il y a des secrets dont il est souhaitable de garder le silence. Et d’autres qui possèdent une vérité si poignante, quel changerait un homme. C’est ces mystères qui inquiètent le capitaine, des mystères que le mousse semble vouloir connaitre.

Au pied des marches, son regard balaya le pont mais ni vit pas l’enfant. Peut-être était-il descendu dans les cales en compagnie du canonnier, ou dans la cahute avec les subrécargues. Il y avait tellement d’endroit ou se cacher sur ce navire qu’il en rit presque.

Des souvenirs remontaient à la surface de sa mémoire. Des jours heureux ou lui et ses compagnons fuyait la colère de leur capitaine en se cachant dans les lieux insolites du man’o’war qu’ils servaient. Des pensées amères restaient présentes eux aussi, le faisant grimacer.

Il abandonna l’absence du garçon et retourna dans ses quartiers. À peine eut-il le temps de franchir la porte de sa cabine et de faire deux pas, une voix l’interpella.

— Qui est Mannles ?

— Je n’ai même pas le temps de me poser un instant… soupira-t-il.

Earl était assis sur l’une des chaises du capitaine, livre grand ouvert sur le bureau, le regard viré sur son vis-à-vis.

— Qui est-ce ?

Le pirate ne répondit pas, préférant s’asseoir sur le bord de son lit.

— Alors ?

— Un pirate dont l’histoire ne te concerne pas.

— Mais elle vous concerne. Donc elle me concerne aussi.

Perspicace. Le capitaine ne pouvait pas le nier, ce gamin était sans nul doute le plus curieux et téméraire qu’il avait pu rentrer sur les flots. Un ricanement lui échappa, ce que remarqua le garçon.

— C’était un pirate honorable par le passé.

— Plus maintenant ?

— Maintenant… maintenant il s’agit du démon le plus affreux de Manhal.

Earl frissonna à ces mots. La voix du phénix était gutturale, emplie de haine et de dégout.

— Je l’ai connu comme un homme de parole, prêt à défendre ses camarades et son honneur. Puis, au fil des années, je l’ai vue changer, devenir un homme exécrable.

— Vous étiez proche ?

— Nous l’avons été en effet. Aussi proche que des frères.

— Et qu’est-ce qui l’a changé ?

La question resta en suspens un instant. Arawn hésitait. S’il révélait la vérité, comment est-ce que son protégé réagirait ? Serait-il effrayé ? Ou aurait-il le besoin d’assouvir sa curiosité ?

— Il a découvert Anouk et les secrets qui y étaient gardés, soupira-t-il en se levant. Après ça, il s’est mis à chasser des trophées macabres.

— Que s’est-il passé pour que vos chemins se séparent ?

— Il a commis un crime, souffla-t-il en appuyant ses paumes sur le bois de son bureau, faisant face à son protégé. Un acte de cruauté qui a mis notre capitaine dans une rage noire.

— Qu’a-t-il fait ? osa demander Earl d’une voix incertaine.

— Il a tué une sirène, l’égorgeant sur le pont du navire, répondit-il d’un timbre sombre. Après ça, il a continué à pêcher les espèces rares de ces eaux. Ses butins préférés sont les êtres vivants et rarissimes. Comme toi.

La gorge d’Earl se noua un coup sec tandis que ses yeux furent happés par les prunelles orangées du capitaine. Ce dernier fit le tour de la table et mit un genou à terre face au garçon.

— Ne t’en fais pas, je ne le laisserais pas t’avoir. Même si l’avis de recherche sur ta tête est pu lui parvenir. Je ne le laisserais pas poser un doigt sur toi.

En prononçant ses mots, sa main vint se poser délicatement sur la joue froide de l’enfant. Les paupières du gamin se fermèrent à ce contact rassurant. Il ne pouvait s’empêcher de ressentir un calme intérieur en la présence de cet homme.

Un baiser fut déposé sur son front. Il se relaxa de plus belle et bascula sa tête en avant. Le haut de son crâne heurta le torse du capitaine qui ne bougea pas. Un moment tranquille, c’est ce qu’il leur fallait.

La crainte et l’appréhension de trouver Anouk ne les épargnaient pas, au contraire. L’un craignait de révéler ses secrets, l’autre avait peur de ce qu’il pouvait découvrir là-bas.

— Beaucoup de pression pèse sur vos épaules par ma faute… j’en suis navré, murmura-t-il.

Le capitaine ricana, faisant bouger la tête du mousse.

— C’est le rôle d’un capitaine et d’un cardinal, ne t’en fais pas. Puis… Si je ne t’avais pas rencontré, j’aurais eu des ennuis ailleurs.

— Je suis donc un ennui…

— Ce n’est pas ce que j’ai dit.

Arawn prit les joues du garçon en coupe et le força à l’écouter.

— C’est un cadeau de Neptune que nous t’ayons trouvé à bord de l’Isenor. Si la tempête ne nous avait pas menés à suivre ce navire, tu ne serais plus de ce monde aujourd’hui, à n’en douter.

— Je le sais. Et je vous en remercie. Sans vous, je n’aurais jamais été capable de faire tout ce que je sais faire maintenant.

— Comme te battre à l’épée, manier un pistolet ou faire la différence entre pirate et homme d’honneur, sourit le capitaine, faisant allusion à l’altercation qu’Earl et Iter avaient eue sur le terme pirate et vinmeri les concernant.

Le concerner se recula et sourit à son tour à son interlocuteur. Mais ses yeux furent attirés par une page de l’un de ses livres, ouverts sur le bureau.

— Et votre obsession est de trouver la perle noire…

— Tu possèdes une capacité à passer d’un sujet à un autre assez impressionnante et parfois maladroite.

Arawn se recula en riant de bon cœur et vint s’asseoir sur une chaise à côté de son protégé.

— C’est bien mon obsession.

— Pour quelle raison, un homme d’honneur comme vous chercherait à récupérer le pouvoir de l’océan ?

— Afin de protéger mes frères de côtes et toute personne naviguant sur les eaux de Manhal.

— Comment ça ?

L’homme chercha ses mots pour expliquer plus simplement les faits à son protégé.

— Tu sais déjà ce qu’est le traité d’Amphéo, et ses conséquences. De nos jours, naviguer en mer est devenu dangereux, entre les navires du gouvernement, les tempêtes et les forbans qui ne respectent pas le code d’honneur. Celui qui possèderait la perle pourra contrôler les océans, anéantir nos ennemis et nous permettre de vivre libres.

— Malgré les conséquences que cela engendrerait ?

— Quelles conséquences ?

Earl prit en main son livre et l’ouvrit à la page exacte parlant de ce trésor perdu dans l’Ancien Monde.

— La perle noire est un trésor sacré, perdu par Ino elle-même lors d’un combat entre des hommes. Après avoir perdu sa perle, elle maudit ces ennemis et son trésor. On raconte que de nombreux hommes ont tenté de trouver cette sphère. Beaucoup ont trépassé, d’autres ont réussi. Mais ceux étant parvenus à mettre la main sur la perle perdirent la raison et périrent au fond de l’eau avant même de prononcer leur premier souhait.

— Ce ne sont que des légendes.

— Vous êtes le premier à m’avoir dit de croire aux légendes de notre monde.

Arawn ouvrit la bouche pour riposter, mais aucune phrase ne lui vint. Le garçon avait raison. De nombreuses fables de leur monde s’étaient révélées vraies ; il en était le premier témoin face à un Mannred.

— Soit… Mais ça ne changera pas mon obsession. Je trouverais la perle, pour le bien de notre monde.

Le nouveau mousse ne répondit rien. Il referma son ouvrage et quitta son fauteuil.

— Ou vas-tu ?

— J’ai fini de discuter avec vous. Je retourne dans la cahute.

— Est-ce devenu ton endroit favori sur ce navire ?

— Peut-être bien.

La porte se referma derrière lui, laissant le capitaine du Phoenix songer à leur discussion. Ce gamin était fort intéressant ; trop curieux par moment ; et pouvait parfois se montrer téméraire, bien plus qu’il n’y parait.

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