Chapitre 22

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Le jeune Mannred s’était réfugié sous le beaupré après son altercation avec le capitaine. Il était assis sur le grand filet qui le retenait au-dessus de l’eau, à observer le petit nid qu’il avait déposé sur la vergue pour permettre à la mère de nourrir ses petits. À plat ventre, il pouvait apercevoir les contours de l’île se dessiner à l’horizon, de plus en plus net.

— Je vais enfin avoir des réponses… murmura-t-il en soupirant.

Est-ce que je veux les entendre ? Ce fut une question intérieure auquel il ne pouvait répondre. Il n’avait pas peur de ce qu’il allait y trouver, mais de ce qu’il y découvrirait. L’expression d’Arawn lorsqu’il avait prononcé le nom de sa mère n’avait pas échappé à Earl. Le capitaine l’avait connu, il en était sûr.

Il avait peu de souvenirs d’elle. Il se remémorait quelques moments doux passés en sa compagnie, la couleur bleutée de ses cheveux, son sourire radieux et sa douce voix qui le bercer de tendre mélodie. Mais un souvenir resterait à jamais encrer dans sa tête : le jour de son départ.


Il devait avoir une dizaine d’années. C’était un matin d’été, le soleil était levé depuis quelques heures déjà. Il avait reçu l’ordre de rester dans sa chambre, sans qu’on lui donne quelconque raison. Mais les voix de ses parents s’étaient élevées dans le corridor, attirant son attention. Il avait alors désobéi et ouvert sa porte.

Sa mère se tenait là, debout au milieu du couloir, escortée par deux soldats et son père leur faisait face. La jeune femme était vêtue de vêtement qu’Earl avait très bien reconnu ; c’était sa tenue de cérémonie lorsqu’elle partait en mer avec son mari. Personne ne l’avait prévenu de leur départ de Corak.

Mère ! s’était-il écrié en s’élançant dans le couloir.

Son père le foudroyait du regard tandis qu’il fondit dans les jupons de sa mère, humant son doux parfum. La femme caressait tendrement ses cheveux, démêlant les nœuds qui s’y étaient faits.

Ou allez-vous mère ?

Je dois partir mon garçon, je reviendrais bientôt.

Elle s’accroupit face à son enfant et lui sourit. Mais son visage n’était pas comme d’habitude, il paraissait fatigué et triste, comme si elle retenait ses larmes.

J’aimerais que tu sois sage pendant mon absence Earl, que tu écoutes ce que l’on te dit.

D’accord, mère. Mais vous reviendrez dans combien de temps ?

Je ne sais pas.

Sibel lança un regard à son mari qui s’impatientait.

Viens là mon enfant.

Elle enlaça son fils avec force. Le garçon remarqua le tremblement dans ses bras et la respiration courte qu’elle avait. Il le savait, sa mère allait pleurer. Alors, pour la consoler, il la serra fort contre lui et prononça quelques mots d’une voix enfantine.

Je t’aime maman. Ne pleure pas.

Ce fut la phrase de trop pour la jeune femme. Une larme coula sur sa joue, s’échouant sur l’épaule de l’enfant.

Quoiqu’il puisse arriver Earl, ne fais confiance à personne ici. Ne fais confiance à personne, à l’exception du phénix, chuchota-t-elle à son oreille pour qu’il soit le seul à l’entendre.

Le phénix ?

Regarde l’horizon, il viendra te chercher, je te le promets.

Elle se recula et sourit à son fils.

Tu es radieux mon garçon, aussi radieux que l’océan.

L’homme finit par tapoter sur l’épaule de sa femme pour l’inciter à se relever. Sibel embrassa son fils sur le front et partit en compagnie des soldats. Earl resta là, au milieu du couloir avec son père, qui ne tarda pas à disparaitre à son tour.


Le nouveau mousse fut tiré de ses réflexions par l’apparition de son ami, qui descendit dans la poulaine. Le filet tangua un peu, mais les deux garçons finirent par être côte à côte.

— Tout va bien ?

Earl soupira. Et finis par comprendre les paroles de sa mère, et le mot envoyé par ce rapace.

— Ma mère connaissait le capitaine. Et il sait que je suis son fils. Ce que j’aimerais savoir maintenant, c’est comment il a connu ma mère, et qu’ont-ils fait ensemble.

— J’ai raté des discussions moé.

L’accent qu’avait pris Meribi fit rire le plus jeune. Mais Earl était content, il avait enfin compris quelques éléments qui semblaient lui échapper.

— Qu’est-ce que tu es venu faire ici ? demanda le canonnier.

— Je remets en place un nid de faucon. Je l’ai délogé du mât de misaine pour le mettre à l’abri ici.

— Tu sais, ils se seraient débrouillés par eux-mêmes hein, ce sont des oiseaux futés.

— Je sais, mais je voulais les aider.

Meribi posa une main sur l’épaule de son compagnon. Ils se penchèrent à plat ventre pour observer la mère se poser sur la mâture et nourrir ses petits. L’oiseau leur lança un regard et repartit chasser.

— Je pense qu’elle nous fait assez confiance pour nous confier ses oisillons.

— Tu penses qu’ils pourront voler dans longtemps ?

— Non… Je dirais dans quelques jours, pas plus. Ils sont grands, ils ont juste à étendre leurs ailes et sauter au-dessus des vagues.

— En parlant de prendre son envol, tu aimes bien grimper dans la mâture sans faire attention, hein ? le taquina Meribi en le bousculant un peu.

Le concerné fit la grimace, un frisson parcourut son corps en se rappelant de la sensation de vide sous ses pieds.

— Je préfèrerais ne pas retenter le coup, grinça-t-il entre ses dents.

— T’as tort, ont à une superbe vue d’en haut, intervint une voix au-dessus de leurs têtes.

Iter était assis sur le beaupré fraichement réparé et observait l’horizon.

— T’es là depuis longtemps ?

— Je suis arrivé à votre histoire de nid d’oiseaux, leur sourit le gabier. Et je viens vous avertir que nous approchons d’Anouk, et qu’il est préférable pour vous de remonter sur le pont.



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Les membres de l’équipage se tenaient prêts à affronter les courants qui protégeaient l’île. Les gabiers avaient rejoint la mâture en compagnie du musicien et de son acolyte. Le timonier avait laissé sa place au capitaine pour prendre la barre. Après tout, il était le seul à savoir comment passer.

— Earl, rejoins-moi.

Le concerné se trouvait sur le pont inférieur. Il le rejoignit et se fit immédiatement poster entre le capitaine et le gouvernail. Ses mains furent posées sur le bois de la barre, et son dos heurta le torse du phénix.

— Earl, j’ai besoin que tu te concentres.

— Quoi ?

— Concentre-toi sur la mer et les courants.

— Je… Je ne peux pas, je ne comprends pas ce que vous voulez faire.

Il lâcha la barre et le navire se mit à tanguer. Ils heurtèrent les premières vagues des courants. Le garçon fut retenu par le bras du pirate.

— Fais-moi confiance.

Fais-lui confiance.

Earl frissonna. Il avait entendu quelque chose. Ce n’était pas la voix du capitaine ni celle de qui que ce soit à bord. Il regarda à l’horizon, cherchant la provenance de ce sont, mais ne vit rien.

— Earl, l’appela le capitaine. Pour entrer à Anouk, nous avons besoin de l’aide d’un Mannred. Tu n’as de plus à faire que te concentrer sur l’eau.

— Comment ?

— Ferme les yeux.

Les paumes du plus vieux vinrent se poser sur les paupières du garçon pour les lui fermer.

— Et concentre-toi sur le bruit de l’océan.

Dans le noir absolu, le garçon ne pouvait se fier qu’à ses autres sens. Il sentait la chaleur du soleil sur sa peau, la respiration d’Arawn s’échouer sur sa nuque, leurs vêtements frottés contre leurs peaux. Puis il se concentra sur le bruit des vagues qui s’entrechoquait contre la coque du navire. Le courant essayait de les emporter au large, loin de l’île.

Il sentit une chaleur se propager dans son corps, de son cœur jusqu’à ses doigts. C’était rassurant, il ne se sentait pas menacer par cette énergie. Ses yeux se mirent à tourner malgré ses paupières closes, et il se sentit partir en arrière. Le capitaine le rattrapa et le maintint contre lui.

— Earl, ouvre les yeux.

Il fit ce qu’on lui demanda. Il observa les quelques membres de l’équipage présent sur le pont supérieur, et ne comprit pas leur expression surprise. Une vague de fatigue le submergea, asséchant sa gorge et rendant sa langue trop lourde pour parler.

Alors il observa ses bras. Un instant, il ne bougea pas. Puis il se rendit compte de ce qui n’allait pas. La couleur de ses veines ressortait étrangement de celle de sa peau. D’un bleu de cobalt qui se rapprochait de celui de la mer, elle parcourait ses bras jusqu’à son visage, et prenait leurs teintures de son cœur.

L’ouverture dans sa chemise permit aux hommes de le faire remarquer à leur capitaine. Et tous comprirent la signification des paroles de leur supérieur.

— Seul le cœur de l’océan nous permet de franchir les portes de ce sanctuaire.

Le navire se frayait un chemin à travers les rapides, comme si un passage s’était formé pour les laisser passer. Ce ne fut que lorsque la poupe du navire franchit les dernières vagues que le garçon s’effondra dans les bras de son protecteur.

— Earl ! s’exclama de surprise ce dernier.

Il le maintint contre lui pour prévenir sa chute et l’allongea au sol.

— Faites venir Chell. Immédiatement !

Asan partie dans les quartiers du médecin pour le ramener, tandis que les hommes se préparaient à accoster l’île.

— Tiens bon mon garçon, tout va bien se passer.

— Vous… murmura l’enfant avec le peu de force qu’il lui restait.

— Ce n’est rien. Ce n’est pas de ta faute, tu n’es pas encore aussi fort qu’elle.

— Elle… Sibel… Ma mère…

— Je t’expliquerais tout une fois à terre. Repose-toi.

Earl ne put lutter contre la fatigue qui submergea son corps, et se laissa plonger dans le noir de ses songes.

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