Il ne ressentait plus la sensation de froid que lui avait apporté l’eau du lac. Son dos reposait sur une plage, il pouvait sentir les grains de sable gratter sa peau, et entendait le clapotis des vagues proche de lui. Une paume était posée sur son torse, se soulevant au rythme de sa respiration. Ce n’était pas le capitaine ni un membre de l’équipage. Raja sans doute, inquiet de savoir s’il se réveillera, ou s’il s’était noyé.

Earl puisa dans ses forces pour ouvrir les yeux et fit face au Cangra, pencha au-dessus de son visage. La tête du garçon reposait sur les genoux de son nouvel ami, ce dernier l’avait sorti du plan d’eau et l’avait conduit plus en aval.

— Comment te sens-tu ?

— Complètement normal. Quoique ma gorge me fasse légèrement mal.

— Tu as dû boire la tasse.

Le jeune homme se redressa doucement et observa les alentours. Ils étaient revenus à la lisière du village, proche de l’épave du Black Swan. Son drapeau en lambeau continuait de flotter légèrement au gré du vent qui s’engouffrait dans la baie.

— Ça à marcher ?

— Je n’en sais rien, c’est à toi de me le dire.

Il examina ses mains, puis ses bras, ses jambes, mais ne vit rien. La dernière fois qu’il avait faite appelle à ses pouvoirs pour traverser la barrière de Anouk, sa peau s’était illuminée de vaisseau bleuté qui serpentait sous son épiderme. Mais en cet instant, il ne se sentit pas si différent qu’avant.

— Je pense que j’aurais ma réponse quand le moment sera propice.

— C’est souvent ce qui arrive. Je pense néanmoins que tu vas pouvoir arrêter de t’entrainer comme un fou avec des pensées négatives.

— Elles n’étaient pas négatives.

— Imaginer la mort de ses proches l’est.

Earl ne rajouta rien. Après tout, Raja n’avait pas tort. Lui qui pensait que s’invoquer la fin l’aiderait à avancer, il comprenait mieux qu’il devait se concentrer sur le présent. Des pas se rapprochèrent d’eux, attirant leurs attentions.

Le phénix se dessinait à l’horizon tandis que les premiers rayons du jour apparaissaient à l’entrée de la baie. La chevelure enflammée de ce dernier était attachée en queue haute. Le garçon ne l’avait jamais vu aussi détendu, abandonnant ses armes et son manteau pour arborer une simple chemise ample.

Arrivé à leur hauteur, le pirate jeta un coup d’œil au Cangra assis à côté de son protégé et sourit.

— Je vois que tu t’es fait un nouvel ami.

— Un ami qui m’a sauvé la vie cette nuit.

— Vraiment ? Et qu’as-tu fait pour te mettre en danger ?

Alors qu’il ouvrit la bouche pour répondre à son sauveur, il s’arrêta un instant. Étrangement, le capitaine ne semblait pas affolé ou inquiet de savoir qu’il avait été dans une situation dangereuse la veille.

— Vous savez déjà ce qu’il s’est passé, n’est-ce pas ?

Le concerné haussa les sourcils, légèrement surpris. Il ne pensait pas son protégé capable de lire en lui aussi ouvertement. À la place d’être offensé, il en fut ravi.

— Wig vous a vue, et m’en a parlé après. Je ne crois pas trop en tout ce qui est magique, mais vous êtes la preuve vivante que tout peut arriver. Alors qui sait, peut-être qu’avec ça, tes pouvoirs vont se manifester et que tu seras capable de les contrôler.

— Espérons-le.

Les deux garçons se relevèrent pour faire face au plus vieux.

— Vous aviez quelque chose à me dire pour être venu à notre rencontre, capitaine ?

— En effet.

— Je vais vous laisser dans ce cas.

L’hybride salua le pirate et son nouvel ami, puis se dirigea vers le village où l’attendait un groupe de Cangras.

— De quoi vouliez-vous me parler ?

— Marchons ensemble, veux-tu ?

Inhabituel. Ils n’avaient jamais pris le temps de discuter calmement en semble en dehors du navire ou de situation compliquée. Mais il suivit le mouvement et les deux marins se baladèrent le long de la côte. Ils arrivèrent bien vite à la pointe de la baie et la franchirent pour se retrouver à l’extérieur de l’anse. Ainsi, ils pouvaient observer le large les appeler au-delà des lagons.

La sensation du sable mouillé collant à ses pieds réjouissait Earl, elle qui n’avait pas l’habitude de se promener librement à l’extérieur. Sa mère adorait les balades en bord de mer, et l’emmenait lorsqu’il était petit. Il adorait courir dans l’eau et traverser les vagues qui s’échouaient sur la plage, au risque de finir tremper.

— Tu te plais ici ?

La question du capitaine le sortit de ses souvenirs, le faisant tourner son attention vers l’homme qui se tenait fièrement à ses côtés.

— L’île est magnifique, les villageois sont agréables et la vie ne doit pas être déplaisante. Pourquoi cette question ?

— Aimerais-tu rester ?

L’enfant s’arrêta net. Arawn fit quelques pas avant de se stopper à son tour et se retourna vers lui.

— Pourquoi ?

— Te rappelles-tu de notre discussion dans ma cabine ? Je t’avais donné le choix entre débarquer à Anouk ou à Basal. En tant que Cardinal, des affaires importantes m’attendent plus à l’Ouest, je ne peux donc pas rester plus longtemps ici.

C’est vrai, l’équipage du phénix de Manhal était avant tout des vinmeri dirigés par un cardinal. Un rang important qui l’obligeait à répondre à ses devoirs.

— En restant ici, tu trouveras plus de temps pour apprendre à maîtriser tes pouvoirs, et aussi à en savoir plus sur tes origines. Si tu reprends la mer, nous pourrons te déposer à Basal comme prévu à l’origine, pour que tu puisses refaire ta vie en toute discrétion. C’est à toi de décider.

— Choisir entre Anouk et Basal ? Je n’ai pas d’autres choix ?

— Quel autre choix te conviendrait ?

Rester avec vous…

— Aucun.

— Tu as le temps de réfléchir à ma proposition.

— C’est déjà tout réfléchi. Je choisis Basal.

Le pirate sourit, satisfait de sa réponse.

— Alors nous mettrons les voiles dans la journée. Ça te laisse le temps de l’annoncer à Wig et ton nouvel ami…

— Raja.

Les deux hommes se séparèrent sur cette entente : l’un se dirigea vers l’autre côté de l’île pour rejoindre son navire, l’autre gravis les marches du manoir pour saluer son mentor.