Chapitre 34
Le brouhaha extérieur le sortit de son état second, le ramenant violemment à la réalité. Les combats faisaient rage sur le pont, et il devait s’y mêler. Il monta les marches et poussa l’écoutille. Le paysage qui s’offrait à lui n’était plus le même qu’au début de l’attaque : le bois avait craqué sous l’assaut des canons, le pont était en proie aux flammes et un épais brouillard de fumée enveloppait l’atmosphère. Lorsqu’il sortit entièrement du sous-pont, son regard se posa avec effroi sur les corps sans vie éparpiller sur le pont, des flaques rougeâtres s’étendait et coulait vers la mer.
Il examina le navire et les membres de l’équipage se battre avec acharnement. Mais il ne trouva pas le capitaine. Se redressant en quête du phénix, il fut surpris et esquiva le coup d’un ennemi qui l’avait vue sortir. Leurs lames s’effleuraient et tous deux évitaient les coups de l’autre. Le jeune homme perdit patience et, lors d’une énième esquive, passa dans le dos de son ennemi et planta son sabre dans son dos.
Earl détourna le regard à la chute de son adversaire et chercha Arawn sur le navire. Mais son attention fut attirée par un combat plus féroce qui avait lieu sur le Neptune. En s’approchant de ce qu’il restait du bastingage bâbord, il aperçut les deux capitaines se livrer bataille dans une rage monstrueuse.
— Il est là ! retentit une voix dans son dos.
Un objet frôla sa joue et vint se loger dans le bois du mât de misaine face à lui. Il se retourna vers un pirate à la carrure plus importante, ses yeux safran lui donnaient un regard de prédateur. Earl eut le réflexe de fuir vers la dunette arrière, très vite suivi de son nouvel adversaire. Le jeune homme s’appuya sur le bastingage de la poupe, légèrement apeuré face au pirate qui semblait avoir un certain plaisir à voir la panique étirer les traits du garçon. Il était acculé. Aucune échappatoire ne se présentait à lui, à l’exception de sauter par-dessus bord.
— Allons, ne rends pas les choses plus compliquées qu’elles ne le sont déjà. Si tu te rends immédiatement, les combats cesseront, et ton équipage repartira librement.
Foutaise. Il balaya le pont du Phoenix du regard et se rendit à l’évidence. Ils n’étaient pas de taille à affronter l’équipage de ce démon, même Syllas et Asan semblaient peiner à repousser leurs assaillants. Un pas de plus de son adversaire et il dégaina le pistolet qu’il avait volé au cadavre qui reposait prêt des canons.
— Je vois que tu as vite fait ton choix. Soit, je ne suis pas partisan des formalités non plus. Alors, réglons ça comme de vrais pirates.
Il tira le sabre de son étui et fit face au garçon. Earl eut l’envie de reculer davantage lorsqu’un second mercenaire se présenta aux côtés de son camarade, mais son dos heurta le bastingage. Il était pris au piège.
Une étincelle d’espoir scintilla dans son regard lorsqu’un bout attira son attention, accrocher au mât d’artimon. Tout s’accéléra dans sa tête, et il bougea sans trop réfléchir. Il rangea l’arme à sa ceinture, grimpa sur la rambarde endommagée, saisit le cordage et sauta par-dessus bord. Il parvint à se diriger légèrement et se réceptionna sur le gaillard d’avant du Neptune.
— Jack ! Attrape-le ! hurla son adversaire rester sur le brick.
Une pression se fit ressentir sur son épaule, le tournant violemment jusqu’à le faire tomber au sol. Une aura menaçant s’échappait du pirate qui l’avait attrapé, ce surnommé Jack. Ses yeux sombres camouflaient ses iris, rendant son regard encore plus menaçant.
Earl se recula en battant des jambes puis se releva pour s’éloigner le plus possible de cet ennemi, mais deux bras entourèrent son corps, le maintenant contre un énième mercenaire.
— Arrête de bouger gamin, ou tu subiras la colère de notre quartier-maître.
Ses mains furent passées dans son dos avec nonchalance, ses poignets maintenus par la poigne du mercenaire et sa ceinture désarmée. Malgré sa capture, il se débattit le plus possible, donnant du fil à retordre à ses adversaires.
— T’arrête de bouger oui !?
Un coup fut assaini à l’arrière de ses genoux, le couchant brusquement à terre. Un cri retentit dans l’air, figeant le garçon qui releva la tête pour observer l’effroyable spectacle qui se déroulait sur le pont principal du Neptune.
L’arme de Mannles se trouvait plantée dans l’épaule du phénix, ce dernier était immobilisé à genoux face à son rival. Earl se rendit compte de leur défaite : le reste des membres de l’équipage étaient prisonnier de leurs assaillants. Arawn ne fit plus un bruit, son bras paralysé par la lame bloquée dans son articulation, la tête basse, comme s’il abandonnait.
Cette vue répugna le garçon qui sentit son corps bouillirent de colère et laissa un hurlement de rage résonner dans l’air. Tandis que son regard changea en un bleu électrique, une vague submergea ses bourreaux, les envoyant valser contre le bastingage. Profitant de cette opportunité, il se releva dans la précipitation, attrapa la poignée de son sabre et s’élança vers le capitaine du Neptune. Mannles n’eut qu’une fraction de seconde pour reprendre son sabre du corps de son ennemi avant de faire face au Mannred.
Une fine pellicule d’eau s’immisça sur la lame du jeune homme, lui offrant un revêtement limpide. Lorsque les deux sabres se rencontrèrent, une onde de choc repoussa les adversaires, stupéfiant le reste des hommes présents sur les navires. Le pirate se retenu au bastingage dans son dos, un sourire satisfait sur le visage. Il contempla avec joie le résultat de sa provocation.
Les yeux de l’enfant s’étaient teintés d’un bleu électrisant, des lignes bleutées serpentaient son épiderme en suivant ses veines. Mais le plus surprenant fut les pellicules d’eau stagnant autour du garçon, comme une bulle protectrice qui entoure l’enfant et son capitaine.
— Oh-oh, ricana son vis-à-vis en s’approchant d’un pas. Ont dirait bien que nous avons réveillé la bête.
Le visage de cet homme répugna Earl au plus haut point. Ses yeux d’un vert impérial lui donnaient un regard de serpent que le garçon aurait piétiné sans hésitation, et le sourire hautain qui se dessinait jusqu’à la commissure de ses lèvres le rendait encore plus détestable.
— Alors gamin, que comptes-tu faire désormais ? Te battre ? Sache que tu es le seul encore debout, prêt à risquer ta vie pour une épave et un équipage de… déchets de la société.
Ce fut la phrase de trop. La rage aveugla le concerné qui se jeta sur son ennemi, brandissant son sabre dans l’espoir de le toucher. Malgré une esquive trop tardive, une entaille fut faite au visage du pirate. Reculant de quelques pas, Mannles apporta une main à sa joue pour constater la coupure.
— Mais c’est qu’il est rapide l’animal. Tu devrais cependant surveiller tes arrières, sale chien.
Une main empoigna le dessus de sa tête avec force et le canon d’un pistolet fut placé sous son menton. Le « clic » du chien l’immobilisa instantanément. Le capitaine du Neptune sembla satisfait de voir sa proie immobiliser face à lui, retenu sans ménagement par l’un de ses hommes.
— Doucement, Jalac. C’est l’objet de notre livraison.
Mannles détourna son regard pour le poser sur le corps paralysé par la douleur du phénix. Toujours à genoux, l’épaule en sang, ses mains avaient relâché l’emprise qu’elles avaient sur son sabre et son pistolet. La tête basculer en avant, ses hommes ne pouvaient pas discerner son expression. Ce ne fut que lorsque son rival vint attraper sa chevelure écarlate pour lui redresser la tête qu’ils furent effrayés.
— Quel dommage que la rage qui s’enflamme dans ton regard ne puisse pas prendre le contrôle de ton corps pour me tuer.
Bien qu’immobile, Earl put discerner les flammes en question, dissimulées profondément dans les iris du capitaine qui foudroyait son ennemi. Ce dernier ne fut aucunement intimidé, il préféra se recula pour assainir un coup de pied dans le visage de son adversaire, le couchant au sol.
Un hurlement de rage traversa la gorge du prisonnier qui tenta de s’élancer vers son rival, mais la main qui tenait ses cheveux l’en empêcha. Il reçut un coup sur la nuque, brouillant sa vue et le faisant tomber au sol. L’eau stagnante autour de lui retomba sur le pont du navire et le dénommé Jalac n’eut plus qu’à immobiliser les mains de son prisonnier.
— Je suis étonné que tu aies risqué ta vie pour lui, Arawn.
L’un de ses hommes s’approcha de lui, corde en main.
— Que faisons-nous à présent ?
— Nous avons ce pour quoi nous sommes venus. Mettez les prisonniers à bord du Phoenix. Nous reprenons notre route.
Il lança un regard attentif envers l’enfant maudit, puis sourit.
— Tu le regretteras Mannles.
La voix rauque du phénix résonna dans l’air tel un avertissement, son regard haineux tourné vers son ennemi. Mais le concerné ne fut aucunement intimidé par la menace de son rival et s’approcha de son nouveau prisonnier. Il sortit de son étui son pistolet et pointa le canon sur la tempe du Mannred. Un sourire satisfait orna son visage lorsqu’il perçut dans le regard de son ennemi la frayeur de perdre un être cher. Arawn sentit la peur et la colère l’envahir, mouvant ses membres sans qu’il ne le ressente.
— Je pense que le premier à regretter ses actions, ce sera toi, Arawn.
À cette phrase, il enclencha le chien de son arme. Pris d’une peur panique, le capitaine écarlate s’élança vers eux, sous le regard surpris de son protégé et satisfait de son ennemi.
Un coup de feu retentit. Un corps tomba. Un cri s’échappa.
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