Chapitre 38

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Assis au fond de la cellule, il méditait. Le peu de discussion qu’il avait eu avec son père lui avait apporté des réponses. Bien qu’elle ne soit pas dite, il pouvait aisément deviner la raison pour laquelle son géniteur n’avait pas vendu Sibel lors de leur rencontre. Il devait espérer qu’elle engendrerait plusieurs enfants Mannred, pour ensuite vendre ce lot aux autorités et en recevoir une plus grosse somme d’argent.

Cette pensée anima la rancœur qu’il avait réussi à calmer dans son corps. Alors qu’il pensait que l’or n’attirait que la convoitise des mercenaires des océans, il avait tort. Les nobles semblaient être ceux qui possédaient le plus de noirceur dans leurs cœurs, pourris par la corruption et l’avidité de devenir riche.

— Tu vas bien ?

La voix de San le sorti de ses pensées. Son ami était assis à ses côtés, un air intrigué et songeur scotché sur le visage.

— Oui, pourquoi ça n’irait pas ?

— Je ne sais pas trop… Tu n’as pas décroché un mot depuis qu’il est parti.

Ils regardèrent les escaliers au bout du couloir. Earl n’avait rien eu à redire après son départ. Mais son camarade semblait vouloir des explications et en connaitre plus sur son histoire.

— Ma mère fut la compagne de cet homme. Il l’a vendue aux autorités lorsque j’avais une dizaine d’années, quand il a compris qu’elle ne lui donnerait plus d’enfant maudit.

— Pourquoi ne t’a-t-il pas vendu en même temps qu’elle ?

— Un Mannred vaut plus cher lorsqu’on a atteint la maturité et que nos pouvoirs se sont réveillés. Lorsque j’ai quitté Corak, il y a de cela quelques mois déjà, j’étais voué à la pendaison, mais je ne possédais aucun contrôle sur mes pouvoirs.

— Et le phénix t’a sauvé, c’est ça ?

— Presque… Au départ, je fus prisonnier. Jusqu’à ce que le capitaine se rende compte de ma nature et décide de m’aider à devenir libre. Nous y étions presque avant l’attaque du Neptune…

Sa main se porta sur sa poitrine et serra le tissu qui recouvrait sa peau. La haine assombrissait son cœur et il maudit ce lâche.

— Je vois… Et bien peut-être que tu y arriveras.

Son ami s’était levé pour s’étirer et lui fit face.

— Je suis persuadé que tu trouveras un moyen de sortir d’ici et d’éviter la corde.

— Et je t’emmènerais avec moi.

Ils se sourirent avant d’être surpris par une conversation au-dessus de leur tête. Deux soldats s’étaient arrêtés non loin de la seule ouverture qu’ils possédaient vers le monde extérieur.

— Tu as entendu la rumeur ?

— Oui, c’est le Neptune qui nous a rapporté ces enfants.

— Non je ne parle pas de ça. Ce serait la chute du Phoenix.

— Quoi ?! Le Phoenix de Manhal ? Tu en es sûre ?

Earl s’était redressé et était collé au mur pour ne pas se faire voir.

— Oui. Il parait qu’aucun d’entre eux n’ait survécu à l’attaque.

— Ce serait étonnant de leurs parts.

— Comment ça ?

— Tu ne connais pas les légendes qui courent sur eux et leurs réputations d’immortel ?

— Qu’est-ce que tu me sors comme connerie là.

— Ce ne sont pas des conneries justement. Ils ont déjà subi de nombreuses attaques de la marine, pulvérisant parfois leur navire ou exécutant les membres de leur équipage. Mais ils revenaient à chaque fois sur les flots, comme des fantômes qui ne pouvaient mourir.

— Un phénix qui renait de ses cendres, murmura le jeune homme, une lueur d’espoir dans les yeux.

— C’est des foutaises. Personne ne peut échapper à la mort comme ça. Ou alors ils ne sont pas humains, rétorqua un soldat.

— Je n’ai aucune idée de ce qu’ils sont, mais je ne crois pas en leurs morts. Et préparé l’exécution de ces Mannred ne me dit rien qui aille, souffla le second.

— Tu t’inquiète trop pour peu de chose. Ces deux monstres seront tués demain et personne ne viendra les secourir, tu peux me croire. Et puis, même en imaginant que ça arrive, nous sommes préparés à accueillir ces pirates de malheur dans notre ville.

Les deux hommes furent arrêtés dans leur conversation par un officier, ce dernier les interpella et les remis au travail au pas de course. Les deux garçons enfermés dans leur geôle se regardèrent un long moment, partager entre l’espoir et la méfiance.

— Tu penses vraiment qu’ils auraient survécu ? demanda San après plusieurs minutes.

— Je n’en sais rien…

Le ciel s’assombrit et les premières gouttes de pluie tombèrent sur la place centrale du fort. Les soldats couraient de part et d’autre pour s’abriter de l’orage qui se levait, certains se réfugiaient sous les abris, d’autres entraient dans les bâtiments, et les plus courageux restaient à leurs postes quitte à être trempés jusqu’aux os.

Les garçons attendirent que la nuit passe, assis de part et d’autre de leur cage. Ils méditaient, espérais, rêvait que quelqu’un les sauve de la faucheuse. Earl caressait lentement la conque à son cou, les yeux clos et se laissa bercer par les souvenirs qui submergeaient son esprit. Il revit les traits du visage du capitaine comme s’il se trouvait face à lui, il parvint même à discerner le son de sa voix et la sensation de son toucher.

« Crois en moi. Je te sauverais quoiqu’il m’en coute, sois-en sûr. »




Au lever du jour, le fort était agité. Les soldats se préparaient à la macabre cérémonie, préparant le chariot et les fers des prisonniers. Les garçons furent réveillés par l’agitation des autres détenus de la prison à l’arrivée de leurs bourreaux. Une à une, les cellules furent vidées, jusqu’à la leur. Deux hommes rentraient dans la geôle et emprisonnèrent leurs poignets.

Tandis que San lançait un regard vers son ami, attendant le moindre signe de fuite, Earl se laissait faire sans résistance. Ce n’était pas encore le bon moment pour s’échapper. Ils furent tirés sans ménagement hors de leur cage et remontèrent à la surface. Passer la grande porte ne fut pas difficile, la lumière les aveuglant violemment.

Le sol était encore humide de la pluie nocturne, éclaboussant leurs pieds et refroidissant les pierres. Un couloir était formé par de nombreux soldats, leur empêchant toute échappatoire. Ce passage les menait directement à l’arrière d’une charrette où était disposée une cage en métal.

Ils montèrent à l’intérieur sans résister et la porte se referma dans leurs dos. Les chevaux avancèrent au pas, passant la porte de la forteresse, accompagnée de soldat à pied. Le clapotis des sabots sur les pavés alerta les passants de leurs arrivées dans la haute ville. Les gens les regardaient dans le silence, contemplant les bêtes de foire qu’ils étaient pour eux.

Les cloches de l’église résonnèrent soudainement dans les rues, annonçant l’heure de leur rendez-vous. Earl trouva l’ambiance sombre, mais leurs arrivées dans la basse ville le firent changer d’avis. La foule était agglutinée sur les bords des rues, aux fenêtres et sur le porche des maisons. Les villageois criaient, sifflaient et brandissaient des outils ou des armes.

San se recula proche de son ami, intimider par la haine présente dans l’air. Earl ne réagit pas face à cette animosité, se contentant de regarder le spectacle qui se déroulait. Il détourna la tête en fermant les yeux lorsqu’une tomate s’éclata contre l’un des barreaux, l’éclaboussant du jus rougeâtre.

— C’est le sang de mon fils, monstre ! hurla une femme.

— Et moi de mon mari ! s’écria une autre.

Il ne répondit pas à ces provocations. Les lancées de légumes et de fruits se firent plus intenses malgré l’intervention des soldats. Ils s’arrêtèrent lorsque l’attelage atteignit la place principale de Nelak, entre terre et mer.

La grille s’ouvrit et deux hommes les tirèrent hors de leur cage. Le plus vieux des deux enfants tomba à genoux face à la force de son bourreau. Mais il ne put profiter de ce moment de répit qu’il fut tiré vers l’avant, traversant un couloir humain vers la scène en bois qui trônait fièrement dos au port.

Le bois craqua sous leurs poids. Leurs pas les menèrent jusqu’au milieu de l’estrade, les cordes furent placées autour de leurs nuques. Ils étaient quatre sur la scène, deux autres prisonniers étaient présents à leurs côtés — un pirate et une femme. Earl fut dégouté du spectacle qui s’offrait à lui : une foule de villageois qui huaient des immondices, et devant eux, une rangée de nobles habillés pour l’évènement, les regards ancrés sur eux.

Bande de chien.

Un officier grimpa les marches de l’estrade, un parchemin en main et demanda le silence de l’assemblée.

— Mesdames et Messieurs, nous sommes réunis en ce jour pour célébrer la punition qui va être donnée à ces mécréants.

Il les désigna eux et le reste de prisonniers qui attendaient leurs tours en bas de l’escalier.

— Ces hommes et femmes sont reconnus coupables et condamnés à mort pour les actes suivants : meurtres, trahisons, vols, violences envers la marine royale, dégradation de bien royale et aide envers des pirates de renoms.

Earl serra les dents en lançant un regard vers son ami. San était totalement pétrifié, terrifié à l’idée de la mort qui l’attendait à la fin de la déclaration de ce soldat. Et son ami ne pouvait pas le réconforter. Il préféra détourner le regard, son cœur se serrait à l’idée de voir son compagnon mourir à ses côtés de cette façon.

— Deux de ces prisonniers sont présents ici pour des raisons différentes, continua l’officier en les désignant. Vous avez devant vous de véritables enfants maudits, des Mannred.

La foule s’agitait, certains étaient stupéfaits, d’autres dévoilaient leurs haines aveugles envers eux. Mais dans cette agitation, un mouvement de foule interpella le garçon, rivant ses yeux vers le fond de l’assemblée. Il aperçut un groupe d’homme différent des villageois ou des nobles présents. Leurs tenues étaient peu communes, et leurs comportements également.

— Ces garçons, recrutés par des pirates, ont été retrouvés par un corsaire après de nombreux mois. Les équipages qui avaient mis la main sur eux semblent avoir été foudroyés par la malédiction qui les hante.

C’est faux, sale menteur. Ils avaient péri à cause de la cupidité et la traitrise d’un des leurs. Personne ne le croirait. Il serrait les dents et continua de regarder le petit groupe qui se dispersa dans la foule. Son regard fut capté par un autre mouvement plus proche de lui et ses yeux s’agrandirent de surprise : un oiseau s’était posé sur le haut d’un mât de drapeau tenu par un soldat. Ce n’était pas un simple oiseau, mais un rapace.

— Sous ordre royal et conformément à la loi, ces individus seront pendus haut et courent aujourd’hui.

— Earl… murmura San, les larmes coulant sur ses joues.

— Chut. Ne crains rien.

L’homme termina son discours et se tourna vers eux. Le regard dédaigneux, un air vainqueur scotcher au visage. Mais le sourire qui trônait sur les lèvres d’Earl le déstabilisa.

— Aurais-tu une dernière volonté ?

Le jeune homme le fixa un long moment dans le silence. Puis il tourna sa tête vers l’assemble et les examina : certains étaient amusés par la situation, d’autres rongés par l’ennui. Il remarqua quelques intrus dans la foule, et leurs présences gonflèrent son cœur d’espoir et de joie.

D’un air fier, il gonfla le torse, sourit et prononça ses derniers mots :

— L’océan vous fera payer votre affront.

Un coup de feu retentit dans l’air.

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