Chapitre 43

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— Au fait San, tu semblais vouloir en démordre lors du combat contre Mannles. Tu n’avais pas peur de lui ?

— Comment aurais-je pu avoir peur en compagnie du phénix ?

Le sourire aux lèvres, ils regardaient l’île s’approcher lentement d’eux. La voilure avait été réduite de moitié et les bricks s’étaient placés à la proue et la poupe du galion. Un étrange calme régnait sur le pont du navire, les membres d’équipage étaient éparpillés entre la dunette et le gaillard d’avant, prêts à contempler le spectacle qui allait s’offrir à eux.

L’eau se fendait au passage du Kingstone, les lampes avaient été éteintes, les plongeant dans l’obscurité. Seule la lune était témoin de leur passage sur ces eaux. Les timoniers étaient présent proche du gouvernail, guidés par Liham. La vigie était le seul à pouvoir correctement les conduire à travers la gorge du diable. Des pics rocheux sortaient de la surface de l’eau, transperçant des épaves parfois encore entières.

Assis sur le bastingage tribord, Earl observait les carcasses qui frôlaient la coque du navire. Il se tendait un court instant avant de se détendre, peu rassuré à l’idée de toucher l’un de ses débris. La gorge du Diable était le seul passage menant à Hiling, c’était un long tunnel creusé dans la roche qui menait jusqu’à la baie. Ses parois rocheuses, son eau peu profonde et sa faible luminosité la rendaient dangereuse.

Pourtant, les deux capitaines ne semblaient pas inquiets. Les yeux du garçon s’agrandirent de surprise en apercevant les vagues colorées que produisait le navire, d’un bleu fluorescent. Il se pencha en avant, incertain de ce qu’il voyait.

— Ce sont des créatures minuscules bioluminescentes

Kora s’était installée à côté des Mannred, souriant face aux têtes d’enfant qu’ils tiraient.

— Elles guident les navires jusqu’à la crique sans encombre.

— Ce sont des gardiens ?

— On peut dire ça, elles ne doivent simplement pas en avoir conscience. Mais elles nous aident énormément.

Leur lumière se refléta sur les parois de la grotte, époustouflant les garçons qui se redressèrent, la tête en l’air, la bouche grande ouverte. Leurs comportements firent rire certains marins, certains se revoyaient à son âge, découvrant pour la première fois ce lieu légendaire.

La contemplation prit fin lorsque la poulaine franchit la fin du tunnel, le pont fut éclairé par les rayons de la lune. Ils se retrouvèrent face à Hiling, île mythique et refuge pour de nombreux hommes et femmes de la mer. Il s’agissait d’un îlot volcanique, jonché de cabane en tout genre, d’épave de navire, et de milliers de lanternes allumées, semblables à une multitude de lucioles.

— Bienvenue à Hiling, jeunes gens.

La voix d’Opal résonna sur le pont principal de son bâtiment, enthousiasmant ses hommes. La plupart des hommes du Phoenix n’avaient jamais mis les pieds sur cette terre, ils trépignaient d’impatience.

— Aux amarres. Choquer les balancines, et préparer l’ancre.

Chacun se mit au travail dans le calme. La manœuvre qui d’ordinaire était bruyante fut bien silencieuse. Personne ne parlait, et aucun autre ordre ne fut donné. Earl et San les observèrent faire et questionnèrent le musicien du regard.

— Nous sommes des fantômes, nous ne devons pas attirer l’attention avant notre entrée au conseil.

— Pourquoi ?

— Ordre d’Arawn. Je n’en sais pas plus. Et aucun autre ne le sait.

Un secret de plus ?

Lorsque les cordages d’amarrage furent fixés au port, les capitaines descendirent de la dunette pour s’adresser à leurs hommes.

— Vous avez la permission de descendre du navire, mais je ne veux aucun incident, quelle qu’en soit la raison, commença Opal d’un ton autoritaire.

— Même chose pour vous, poursuivit Arawn en s’adressant à son équipage. Earl et San viennent avec moi, Asan prend les commandes en mon absence.

— Keya est chargé de la surveillance du navire.





Il était dit dans les récits que ce lieu avait été créé par un équipage pirate perdu en mer. Trouvant refuge sur cette île désertique, d’autres avaient fini par les rejoindre. Ils coexistaient ensemble en harmonie, jusqu’à l’arrivée de pirate de tout Manhal. Vinrent les interactions plus violentes, des vols et des mises à mort sauvages. Pour parer à ce comportement barbare, un ordre fut créé et des lois établis.

Les livres n’avaient pas vraiment tort. Cet endroit avait été construit à partir de rien — des morceaux d’épaves et de la motivation. Désormais, chacun se nourrissait avec les produits vendus ou échanger par les nombreux équipages divers qui s’arrêtait ici, pour s’abriter, s’approvisionner en échange ou profiter du temps qu’ils leur restaient.

Le chemin qu’empruntais le petit groupe grimpait en spirale vers le centre de l’île. En haut de cette colline dormait un immense Man’o’war, vestige d’une guerre oubliée depuis longtemps. À l’intérieur s’était établi le fameux ordre des cardinaux ou ils étaient attendus. Leur entrée fut remarquée par les équipages présents, ceux des plus grands pirates de ce monde.

Ils traversèrent deux grandes portes et entrèrent dans une immense salle commune. Une table ovale se trouvait en son centre, surmonter de deux lustres poussiéreux. Huit sièges étaient placés autour et certains hommes avaient déjà pris place. Arawn et Opal s’installèrent, et le trio qui les accompagnait resta en arrière.

Alors qu’un brouhaha s’élevait dans les airs, le calme tomba soudainement à l’entrée d’une jeune femme. Sa peau couleur perle, sa chevelure blond sable et ses yeux vairons interpelèrent les deux gamins.

— Qui est-ce ? demanda Earl à Asan.

— Sereia, une enfant maudite. Elle est des continents boréaux au nord et fait régner l’ordre de la piraterie et des cardinaux depuis des années.

— Elle est si loin de chez elle… murmura San en la fixant.

— Elle a été sauvée par le premier pirate qui a foulé cette terre et s’est promis de faire régner l’ordre après la mort de ce dernier.

— Quelle loyauté.

— C’est devenu rare de nos jours.

Les capitaines commencèrent à se parler entre eux de sujets diverses et variées. Tous discutaient à l’exception du Phoenix qui resta muet jusqu’à l’intervention de la modératrice. Le silence prit place lorsqu’elle leva une main proche de sa poitrine, puis désigna Arawn. Ce dernier serra les poings avant de parler.

— Mannles est mort. Je l’ai tué.

Un silence de plomb plana dans la salle. Puis la colère explosa.

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