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« Le monde est fou. Les meilleurs rêves sont ceux dans lesquels je meurs. C’est un peu triste. »
Mad world – Gary Jules
Les flocons de neige tourbillonnaient dans le ciel, emmenés dans une danse par le vent impétueux. Et alors qu’ils tombaient sur le sol, couvrant de blanc la moindre parcelle, j’avançais. J’appréciais le bruit du craquèlement de la neige sous mes chaussures. Le plus beau son au monde. Je faisais même exprès de passer là où la neige n’avait pas encore été piétinée. Le parc était un petit havre de paix en comparaison de l’effervescence insensée de la ville. Ici, la végétation luxuriante assourdissait les bruits de klaxons. Un lieu tranquille la journée et un endroit parfait pour passer inaperçu la nuit. Personne ne se soucierait de ce blond à la lente démarche car aucun ne voulait recevoir d’attention en retour. Ceux qui venaient ici la nuit étaient des drogués et des fêtards qui se rejoignaient afin de combler leur solitude. Ils choisissaient la pénombre pour s’y cacher, délaissant le jour mettant en lumière les failles de leur vie.
Chacun sa peine.
Chacun pour soi.
C’était la rengaine de la vie. Je ne l’avais que trop compris. Je marchais toujours, guidé par la pâle lueur du croissant de lune et des étoiles qui illuminaient la voûte céleste. J’atteindrais bientôt ma destination. Le froid me mordait les joues tandis qu'une bise glaciale s'emmelait dans mes cheveux, les emmêlant plus encore que d’habitude. J’enfonçai mes mains gelées dans mes poches, mais n’accélérai pas la cadence. J’aimais l'hiver. Des quatre saisons, c’était la plus belle. Elle dégageait un charme certain, presque féerique qui m’avait toujours émerveillé. Il me suffisait de regarder dans mon passé pour me rendre compte que les souvenirs les plus éclatants étaient imprégnés du froid de l’hiver et de la senteur de la cannelle et du chocolat chaud qui envahissait la maison les jours de Noël. J’avais construit des bonhommes de neige, lugé dans les pentes des champs déserts et créé des anges de mon corps de nombreuses fois. Trop pour me souvenir de toutes. Je basculai la tête en arrière pour sentir les flocons glacials fondre au contact de la peau de mon visage. Je fermai les yeux pour savourer cet instant. Je ne m’étais jamais senti aussi à ma place que dans ces instants-là, au milieu de la neige. Ni si heureux. Délesté du poids habituel de mes tourments intérieurs. Même quand je ne sortais pas, je pouvais rester des heures le nez collé à la vitre pour observer notre jardin enneigé et même les récriminations de ma mère ne pouvaient m’empêcher de sourire. J’aimais tout dans l’hiver : de la couleur blanche de la neige à la beauté éphémère des flocons. C’est pourquoi j’avais attendu, pour avoir un dernier aperçu de la vie cristallisé sous la glace, de cette blancheur, signe de pureté que l'homme n'avait pas encore perverti, de cette insouciance qu’on pouvait espérer préserver de la souillure de la vie. J’avais attendu pour pouvoir contempler un dernier hiver.
Le pont se dessinait à l’horizon. Structure de pierre au milieu de la verdure, passerelle au-dessus des eaux gelées. Ma destination. Peut-être trop vite à mon goût, je me retrouvai en son centre, à l’apogée de sa hauteur. La fin approchait. Je la sentais. Elle était à présent inévitable, elle était la seule voie que j’avais encore le courage d'arpenter. Ou la couardise diraient certains. Mais le regard des autres m’importait peu. Je me contrefichais de l’étiquette qu’ils m’avaient collée dans le dos. Je grimpai sur le large rebord et plongeai mon regard en contrebas. Une fine couche de glace recouvrait la surface de la rivière, figeant son impétuosité des heures d’été. La violence de l'impact et l'électrochoc de l'eau froide constitueraient une mort instantanée. Elle était là ma prochaine destination, plus de doute. J’irais jusqu’au bout. Je mourrais dans ce décor blanc, ce paysage hors du temps. Les seuls témoins seraient les arbres sur la rive. Ces chênes, ces hêtres, ces pins, ces frênes qui formaient une barrière presque insondable le long de la berge. Leurs branches nues courbées sous le poids de la neige, ils semblaient vulnérables. Les plus hauts d'entre eux tendaient les branches, tentés de pouvoir toucher les étoiles. La lune faisait étinceler la neige d'une lumière irréelle. Le paysage était magnifique. Un peintre aurait assurément aimé le figer de ses pinceaux sur une toile.
L’océan noir constellé de points lumineux happa mon regard. Je me sentais petit, ridiculement minuscule face à l’immensité de l’univers. Je souris. Je n’étais rien. Et ça me convenait parfaitement. Je m'accroupis et effleurai du doigt la neige qui s’était amassée. Je frissonnai, appréciant le froid qui engourdissait mon index. Je fermai les yeux un instant, inspirant une grande goulée d’air froid par le nez. La neige n’avait pas vraiment d’odeur et pourtant il y avait une certaine douceur qui imprégnait mon organe olfactif. J’étais calme. Serein. J’avais passé tant d’heures à m’agiter, retournant mes pensées dans tous les sens, m’imposant de vivre et d’apprécier ça. Maintenant, je me sentais libéré. J’étais là où je devais être et je n’avais plus peur.
Je vais mourir. Cette phrase aurait pu me terrifier, aurait peut-être même dû… Cela avait été ma dernière journée.
Je vais mourir. Je pris une profonde inspiration. Un pas en avant, me laisser chuter, entrainé par la gravité.
- Si j'étais toi, je ne sauterais pas.
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