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-Ecoutes, je veux juste, je ne sais pas, en apprendre plus sur toi. Je t’ai vu sourire, regarder les étoiles. Dis-moi que derrière la douleur, il y a quelqu’un qui a des rêves.
Elle n’abandonnait jamais. Quand elle avait dit être déterminée, je ne m’étais pas rendue compte que j’avais à faire à une mule.
-Tu ne t’arrêtes jamais. C’est une autre manière pour me garder en vie.
-Peut-être, mais on n’en est plus là. Essaye... supplia-t-elle.
-Tu vois vraiment quelqu’un qui a des rêves, quand tu vois une personne sur un pont, à envisager sa chute ?
-Oui, répondit-elle honnêtement. Mais qui est incapable de les atteindre. Un peu comme les étoiles...
-Parce que c’est le passé.
-Mais pas les rêves. Eux, c’est l’avenir. Et j’en ai plein. Je vis dans le présent, dans l’instant c’est vrai. Mais vivre c'est aussi se projeter dans l'avenir. J'ai besoin de savoir que j'ai des rêves, des possibilités qui s'étendent devant moi, sinon ça sert à quoi ? Penser à demain c'est aussi vivre. Pourquoi vivre sinon vivre ?
Je soupirai. Bouleversé par le sens de ses mots. Bouleversé par elle. Tout simplement.
-Ok, concédai-je en me raclant la gorge. Mais je ne sais pas... rien. Pour moi, je n'ai pas de futur. Cela fait trop de temps que j’ai décidé de ne pas en avoir.
Je baissai la tête. Enfonçai un peu plus mes mains dans mes poches.
-J'ai dit : « Et si », insista-t-elle.
Je soupirai. Pris le temps de réfléchir, essayai d’effacer ces dernières années, pour revenir encore plus loin, au moment où je pensais mourir à quatre-vingt ans passés.
-Et bien, je vivrais alors, mademoiselle Bonheur.
-Et capable d'humour en plus !
-L’année passée, j’ai commencé des études en physique. J'imagine que ... que je les continuerais si j’en avais la force. Et puis, je deviendrais peut-être quelqu’un dont mes parents seraient fiers. Ouais, si seulement… L’année passée, j’avais l’impression que je pouvais me réinventer, mais on peut mentir à tout le monde sauf à soi-même.
Elle ne répondit rien. Notre petite marche continua dans le silence. Son sourire s’était volatilisé, elle arborait une mine sérieuse. L'averse de neige continuait inlassablement de tomber. Le ciel s'éclaircissait. L'air froid semblait moins vif. Même si, au vu de mes vêtements trempés ; je pouvais difficilement m’en rendre compte.
-Et tes rêves ? Tenta-t-elle une dernière fois, d'un ton nonchalant.
-Et les tiens ?
-Dormir, plaisanta-t-elle. Moi je rêve de grasses matinées. Et de voyager, beaucoup. D’en apprendre plus sur les autres cultures sur terre.
-Lorsque j'étais petit, j'étais fasciné par la lune, confiai-je, la cherchant des yeux dans le ciel et la trouvant derrière la branche d’un arbre. J'aurais voulu être astronaute. C’était avant. Ça explique les études de physique, si j’avais continué, je me serais spécialisé en astrophysique.
Et un rêve, un de plus qui s'est brisé. Et moi, pourrais-je jamais être en mesure de me relever ? Elle voudrait me faire croire que je le peux. Que tout est une question de volonté et de désir. Mais c’est bien plus complexe que cela. Nous sommes tous différents, on a tous un passé qui nous définit et au-delà de ça nous avons tous une manière de penser qui nous est propre. Il n’y a pas d’un côté les faibles et de l’autre, les forts. On peut être les deux à la fois. On peut avoir besoin de souffler même quand on est fort comme un roc. Je me suis toujours pensé trop faible pour ce monde, battu par des forces qui sont hors de ma portée. Pour un égoïste, il semblerait que ça soit en grosse partie des choses en dehors de moi-même qui me rende malade de la vie.
Ai-je pour autant envie de vivre ? La vérité c'est qu’on désire des choses avant de se rendre compte que ce n'est pas ça dont on a envie. Ce n'est qu'un stupide jeu. Rien de plus qu'une mise en scène. Ça ne va pas juste en quelques secondes me donner la fervente envie de vivre. Juste en imaginant. C’est cette fille qui me fait croire des choses, cette fille que j’ai envie de croire quand elle me dit qu’il est facile de vivre. Ce n'est pas suffisant. Comment ne pas être certain que si je décide de vivre, je ne m'écroulerais pas ? Je ne le peux pas, tout simplement.
-Astronaute ? releva-t-elle.
-Il paraît que je me baladais avec un bocal à poissons renversé sur la tête.
Elle ne put retenir son fou rire. Elle devait se l’imaginer. Puis, se reprenant, elle ajouta, gênée :
-Mais en fait, je voudrais surtout me former pour répondre aux appels au secours de ceux qui veulent mettre fin à leurs jours.
Elle baissa les yeux, rougissante, presque honteuse. Elle n'a pas à l'être. Elle est formidable, pensai-je. Je percevais la personne qu’elle était, par ses paroles et ses non-dits. Par ses gestes et par son regard. Elle me plaisait, elle était un concentré de tout ce que j’aimais dans la vie. Au cours de cette nuit hors du temps, elle s'était ouverte, elle s'était dévoilée. Elle était arrivée dans ma vie, telle un boulet de canon. Elle s’était immiscée sans que je ne lui demande rien. A cet instant précis, j’aurais donné beaucoup pour réentendre son rire et peut-être, peut-être en être la cause. Avec elle, j’oubliais à quel point je détestais ce monde et ses habitants. Elle effaçait ma haine. Elle effaçait ma douleur. Elle était honnête, alors je ne pouvais pas me complaire dans le mensonge. Certaines choses devenaient envisageables, presque possibles. Quand bien même j’avais peur d’y songer.
-Il fut un temps où je pensais que les flocons de neige étaient tels de la poudre de fée, capables d’exaucer tous mes vœux. Il me suffisait d’en capturer un, juste un dans le creux de ma paume.
Elle tendit sa main gauche vers le ciel, paume ouverte et quand elle recueillit un flocon, elle l’amena vers son visage. Elle l’observa, puis ferma les yeux. Quand elle les rouvrit, le fragment de neige avait déjà fondu. Elle me sourit.
-J’ai fait un vœu, on verra s’il se réalise.
J’étais incapable de détacher mes yeux de son visage. Avais-je encore le droit de formuler des souhaits ? Pouvais-je tendre la main et réaliser un geste que j’avais fait tant de fois étant enfant ? Je laissai tomber ma main à mi-chemin.
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