DESIERTO 5
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Le général Faugiard se réveilla en sursaut. Il avait rêvé de cigognes. Des nuées d’oiseaux filant vers le nord, et lui, perdu sur le tarmac d’un aéroport, les yeux levés vers un ciel rosi par le couchant, se demandant pourquoi ces stupides volatiles le mettaient mal à l’aise.
N’importe quoi ! Faugiard n’aimait pas les oiseaux, ne les avait jamais aimés. Il ne se souvenait que rarement de ses rêves. Alors pourquoi celui-là ?
Il se leva de mauvaise humeur, fit quelques étirements puis poussa son lit contre le mur. Après quelques secondes de concentration, il commença Hangetsu, son kata préféré. Absorbé par les mouvements lents et circulaires, concentré sur sa respiration, il enchaîna les parades, les blocages, jusqu’aux frappes soudaines. Dans son esprit, Faugiard se devinait crotale. Lent, concentré, patient, jusqu’à l’ouverture. Et puis l’attaque, vive, imparable. Il répéta le kata en inversant le sens, puis les yeux fermés.
La douche froide finit de chasser les cigognes, sa contrariété, et il oublia les oiseaux volant vers un firmament empourpré.
Il graissa le Glock, s’habilla, boucla son ceinturon et vérifia comme chaque matin sa silhouette dans le miroir.
Il y eût un bruit de course dans le couloir. Faugiard ouvrit la porte. Le capitaine Ismar ne prit pas le temps de saluer son supérieur.
— La cellule vient de me contacter, fit-il en reprenant son souffle. Ils sont formels : Titan a été initié à six heures trente GMT.
— La langue plasmatique ?
— Tout droit vers la Terre, à deux pour cent près.
— Nous y sommes ! Contactez le président. Dites lui de prendre la voie douze, celle qui relie l’Élysée à Creil. Je l’attendrai sur le quai. Et soyez convaincant ! On ne peut se permettre qu’il reste sur Paris.
— Et pour Fix ? Quelles consignes ?
— Il nettoie, puis il se protège. Duisenberg a eu les infos ?
— Feldmann s’est enfermé dans son bureau pour passer des appels. Il aura probablement contacté le professeur.
— Au besoin, envoyez le major Koenig chez les Duisenberg. Elle sera sur place en quinze minutes.
— Est-ce vraiment utile ?
— Capitaine, je ne négligerai aucun aspect. Et je n’aime pas que l’on discute mes ordres. Compris ?
— Toutes mes excuses, mon Général. Je les appelle et je vous rejoins au PC.
Faugiard observa le capitaine qui partait en courant.
À sa suite, il remonta le couloir jusqu’à l’ascenseur. Rester froid. Déterminé. D’ici deux, trois heures au grand maximum, l’ancien monde aurait disparu. Ne resterait que celui des survivants. Des guerriers. Ses guerriers.
L’ascenseur s’enfonça dans les sous-sols en un sifflement désagréable. Il s’ouvrit sur une pièce immense où régnait une activité de ruche.
À son entrée, un silence soudain se fit et une centaine de regards se portèrent sur lui.
Faugiard scruta les visages des hommes et des femmes qui le dévisageaient. Il les avait tous recrutés. Un à un. Aptitudes psychiques, physiques, résistance à l’effort, à la souffrance. Et surtout, absence d’attaches familiales. À leurs yeux, Faugiard était le père, la mère pour certains. Il était leur guide et leur passeport pour un monde où ils n’auraient plus d’égaux.
La sélection avait été drastique. Tous avaient des failles, des interstices dans lesquels ses psychiatres s’étaient infiltrés. Sur chacun d’entre eux, le général en savait plus qu’ils ne le soupçonneraient jamais. Les abus sexuels dont avait été victime le lieutenant Julien pendant son enfance ; la cleptomanie de Siuzerand ; l’homosexualité refoulée de Malzieu ; les penchants fétichistes de Biento ; la virginité de la caporale Travers et son goût pour le saké.
Ils étaient son poing, ses doigts, ses armes.
Le général avança jusqu’à la console principale. D’une voix forte, il lança le premier ordre.
— Sergent Finco, fermez les portes des niveaux six à dix, et bloquez les autres en position ouverte.
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