DESIERTO 3
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Base aérienne de Creil. Commandement pour les opérations interarmées.
— Vous y croyez, vous ?
— Il y a une possibilité, fit le général Faugiard, et qui dit possibilité dit opportunité.
Le chef d’état-major saisit la barre de métal vissée au mur de la salle de sport et enchaina vingt tractions. Le capitaine Ismar lui tendit une serviette.
— Mon général, puis-je vous poser une question ? Une question délicate.
— Si vous ne posiez pas de questions délicates, vous ne seriez pas mon aide de camp depuis cinq années. Je n’ai pas besoin d’un rond de cuir qui me lèche les bottes quand j’ai marché dans la boue.
— Le président, il n’est pas informé de nos préparatifs ?
Le général s’assit derrière un banc de rameur et commença une série d’allers-retours.
— Un président, dit-il en soufflant, c’est un homme extraordinaire pour des situations ordinaires. Et la situation est tout, sauf ordinaire. Nous avons piraté les données satellitaires du professeur Duisenberg, et tous les cerveaux que j’ai mis sur ses chiffres ont confirmé ses dires. Ce scientifique est l’un de nos plus brillants esprits, mais c’est un électron libre. J’ai consulté la fiche delta du professeur. Les renseignements généraux et la sécurité du territoire sont formels : Duisenberg est un anachronisme sur pattes. Il n’a jamais accepté de pot-de-vin, même pas tenté de sauter une étudiante, et son vice le plus exploitable est la consommation hebdomadaire de Saumur-Champigny. Les hommes intègres sont ingérables.
— Et les Américains, les Russes, les Chinois, qu’en pensent-ils ?
— Nada. Mes contacts sont formels. Même la NSA a rangé Duisenberg dans la catégorie des doux-dingues sans intérêt. Sans exagérer et sans forfanterie, mon petit Ismar, si notre planète est balayée par ces vents solaires, nous deviendrons tout simplement les maîtres du monde.
— Mais Duisenberg ? Ses proches ? Vous ne craignez pas qu’il ameute les médias ou la population ?
— À chaque problème sa solution, capitaine. On ne vous a rien appris à Saint-Cyr ?
Le général se releva et but une demi-bouteille d’eau. Il consulta sa montre.
— Et notre solution, reprit-il, va frapper à cette porte dans dix secondes.
Ismar ne put s’empêcher d’effectuer mentalement le décompte.
Il y eut trois coups secs.
La porte s'ouvrit et le capitaine sentit son sang se glacer.
Deux hommes et une femme franchirent le seuil et avancèrent en silence de quelques pas.
Ils portaient des vêtements civils, jeans, pulls, des blousons de toile noire. L’homme de gauche était grand, émacié, et il arborait une coupe de cheveux mi-longs à faire hurler le premier adjudant venu. Pourtant, tout en lui respirait le soldat. La démarche, souple et nerveuse, le regard – des yeux froids, presque éteints. La bosse sous l’aisselle gauche trahissait la présence d’un calibre.
La femme se figea dans un semblant de garde-à-vous. Le capitaine remarqua la taille fine, les longues mains musclées, les cals épais sur les articulations, témoignages des heures interminables passées devant des sacs de frappe.
Mais Ismar en avait vu d’autres dans sa carrière. Si le capitaine avait eu un bref instant la sensation qu’un vent polaire avait balayé le gymnase, c’est parce qu’il avait reconnu l’homme au crâne rasé.
Le colonel Santa. Une légende dans les services action du monde entier. Ismar l’avait croisé une fois, à Kaboul en août 2023, lors de la deuxième guerre d’Afghanistan. Le colonel avait été parachuté en territoire moudjahidin avec cinq commandos. La cible était un chef de guerre responsable d’attentats à répétition dans les faubourgs du Kremlin. Un arrangement entre chefs d’états. Une mission noire. Pas d’ordres écrits. Pas de listing. Aucun enregistrement. Santa et ses hommes s’étaient engouffrés dans un hélicoptère avant de disparaître dans la nuit.
L’hélicoptère s’était écrasé contre une paroi rocheuse. Pas de survivants, avait affirmé le général Faugiard. Santa avait disparu, sans médaille posthume, sans reconnaissance officielle.
Ismar se rappelait sa réaction ; un mélange de surprise et de soulagement. Santa trainait une réputation de sadique. Certains racontaient à voix basse que le colonel aimait finir ses victimes au couteau, en prenant son temps. Que ce détraqué avait une préférence pour les gamines. Mais personne n’aurait osé l’affirmer devant lui. Des rumeurs sans fondement, avait dit Faugiard.
Que cet homme plus sec et noueux qu’un tronc d’olivier puisse succomber à un banal accident, voilà ce qui avait sidéré Ismar.
Tu parles, pensa-t-il. Cet enfoiré pète la forme.
— Colonel, lança Faugiard, soyez le bienvenu.
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