Chapitre 3
Le lendemain, lorsque j'arrivai au lycée, mon soutien-gorge était embarrassé par le sachet de Brendan et malgré mes efforts pour l'enrouler dans du cellophane et camoufler ainsi l'odeur, j'avais l'impression que je serais à peu près aussi discrète en me baladant avec un pied de cannabis dans la main. La prochaine fois, Brendan aurait intérêt à me donner des tuyaux pour m'éviter de répandre un tel parfum derrière moi. C'était ma mère qui m'avait posé ce matin-là "Il y a une drôle d'odeur, tu ne trouves pas, Halsey ? Et je n'avais donc pas pu voir Chase dans le bus comme à mon habitude. Assise sur un banc devant le portail, j'attendais que mes amis daignent faire leur apparition.
- Halsey !
Je levai le nez, c'était Payton. Elle marchait dans ma direction tandis que la voiture rutilante de son père s'éloignait sur la route. Elle s'assit à mon côté et se mit immédiatement à renifler à plusieurs reprises.
- C'est toi qui sens comme ça ? Me demanda-t-elle.
- Oui, c'est un nouveau parfum, ironisai-je en grimaçant. Cannabis pour femme.
Elle comprit tout de suite à quoi, je faisais allusion et tâchai de ne plus avoir de gestes déplacés qui auraient pu trahir mon embarras. Enfin, Brendan apparut, l'air aussi joyeux que possible. Derrière lui se tenait Chase, le regard lointain, les mains dans les poches. Lorsqu'ils furent à notre niveau, je leur souris aussi chaleureusement que possible et ils me rendirent la politesse chacun à leur façon. Je me débrouillai pour donner à Brendan ce qui lui appartenait et il fit la moue en disant que c'était moins bien servi que ce qu'il avait prévu. Je le fusillai du regard pour l'empêcher d'émettre le moindre reproche à mon égard.
- Tu n'avais qu'à y aller toi-même, dis-je. Et toi Chase, tu es bien ren...
Celui-ci me coupa la parole d'un geste et m'entraîna à sa suite en direction du portail en clamant d'une voix forte.
- On devrait y aller, sinon on va être en retard !
Je le gratifiai d'un regard interrogateur et il me fit les gros yeux. Je compris qu'il ne voulait pas que Brendan apprenne que je l'avais croisé dans la zone industrielle hier. Je chuchotai de façon à ce que lui seul entende.
- Ne crois pas t'en tirer aussi facilement !
Il haussa les épaules et sourit mystérieusement, de ce sourire qui faisait tant craquer les filles. Puis il me lâcha et attendit Brendan, qui avait essayé de nous suivre tant bien que mal. Je ne laissai pas le temps à Payton de me rejoindre et partis en direction de notre salle de classe en grommelant.
Cependant, mon amie remarqua rapidement que quelque chose n'allait pas et elle m'interrogea sur les raisons de ma mauvaise humeur à la pause du matin, pendant que les garçons étaient sortis fumer leur cigarette. Je lui racontai que j'avais croisé Chase la veille et lui peignai aussi fidèlement que possible l'attitude qu'il avait eu à mon égard. Elle se montra bon public, retenant des exclamations outrées au moment opportuns, et resta songeuse lorsque j'eus terminé mon récit. Enfin, elle dit.
- Tu ne crois pas qu'il est allé voir les.... ?
Les... Était une façon commune d'appeler les femmes qui paradaient dans ce quartier, vêtues de mini-jupes et de hauts talons, et qui montaient régulièrement dans les voitures d'inconnus. J'éclatai de rire.
- Chase n'a pas besoin de ça ! Ris-je. Il ne prendrait pas la peine de payer une fille alors qu'il peut en avoir autant qu'il veut gratuitement !
Payton rougit, honteuse d'avoir osé songer que Chase puisse être ce genre de garçon, mais je la rassurai en lui disant que cela aurait pu être une explication plausible s'il ne s'agissait pas du mec le plus populaire de l'école.
- Non, à mon avis, il n'y a pas de fille, là-dessous... Murmurai-je. Mais il ne veut pas que Brendan soit au courant. De quoi a-t-il peur ?
- Qu'est-ce que Brendan pourrait lui reprocher ? Se demanda Payton à son tour.
Nous restâmes silencieuses un moment puis je repensai au ton froid de Chase et à son sourire qui avait presque immédiatement suivi. Il cachait quelque chose, il n'y avait pas de doute... Mais quoi ?
Nous n'eûmes pas le loisir de réfléchir plus longtemps, car Brendan et Chase nous avaient rejointes et s'étonnaient de nous voir toutes deux si pensives. J'essayai de croiser le regard du beau brun, mais il m'ignora. Il passa une main dans ses cheveux et immédiatement la moitié des filles présentes se précipitèrent à sa rencontre en lui demandant l'une d'elles de l'aide pour son devoir de maths, l'autre un conseil concernant son orientation et une troisième si sa nouvelle couleur de cheveux lui allait mieux que l'ancienne. Il leur répondit vaguement, le regard fixé sur quelque chose que je ne voyais pas, puis il secoua la tête, écarta les jeunes filles qui lui lancèrent des regards implorants et s'éloigna en direction de notre prochain cours.
Brendan le regarda partir et se pencha vers nous en disant .
- Il est bizarre aujourd'hui...
- Tu veux dire qu'il s'est montré plus patient avec ces filles que d'habitude ? Demandai-je sur le ton de l'humour.
- Non, je veux dire pour tout, expliqua mon ami. Il est plongé dans ses pensées, on dirait que quelque chose le tracasse...
Payton et moi nous regardâmes sans savoir s'il fallait lui parler de ce que j'avais vu la veille ou pas. Mais lorsque je repensai au regard que m'avait lancé Chase quand j'avais failli le trahir, je songeai qu'il serait injuste d'en dire plus à Brendan alors que nous ignorions encore tout de l'affaire. Inutile de l'inquiéter pour rien.
- Bah, il s'est peut-être embrouillé avec son frère, dis-je en tâchant d'avoir l'air convaincante.
- Mouais... Marmonna Brendan. Bon, on y va sinon Foster va nous engueuler.
Peter Foster était notre prof de philosophie et il arrivait toujours en retard. Néanmoins, il tenait à ce que ses élèves, eux, soient à l'heure. Mystère que personne n'avait encore pu résoudre à ce jour.
La journée se déroula sans incident notable et lorsque la sonnerie annonça la fin des cours, nous nous précipitâmes à l'extérieur à la suite des autres lycéens. C'était le week-end et les élèves échangeaient d'une voix surexcitée leurs projets pour ces deux jours.
Brendan nous avait invités à le rejoindre chez lui, car ses parents partaient pour le week-end en lui laissant la maison. Trévor et Clyde attendaient à l'entrée du portail, car ils rentraient directement avec lui. Chase, Payton et moi, nous étions mis d'accord pour les rejoindre à dix-neuf heures trente. En effet, le père de Payton recevait un client important, ce soir-là et son père tenait à ce qu'elle soit chez elle de dix-sept heures à dix-neuf heures. Chase, quant à lui, disait avoir "des choses à faire". Pour ma part, je n'avais rien de prévu, mais j'avais la ferme intention de jouer les espionnes et de découvrir ce que le brun cachait.
Nous attendîmes le bus en silence et c'est tout aussi muets que nous montâmes à l'intérieur. Je chantonnai pour chasser mon angoisse à l'idée qu'il me repère lorsque je le filerais et il m'accorda un sourire moqueur. C'est à ce moment-là que je me rendis compte que je chantais "Tu t'envoles" de Peter Pan et je piquai un fard, ce qui ne me ressemblait pas. D'ordinaire, j'aurais plutôt revendiqué ma passion pour les Walt Disney, mais, étrangement, le regard de Chase cette fois-là ne m'avait pas fait le même effet que d'habitude. Lorsque je relevai la tête, il avait disparu. Évidemment, puisque nous venions de passer son arrêt... J'appuyai sur le bouton demandant le prochain arrêt – il n'était pas très loin de celui où était descendu Chase – et me précipitai au-dehors lorsque le bus stoppa. J'aperçus mon ami à quelque distance de là et le suivis discrètement.
Contre toute attente, il rentra chez lui. Je l'entendis saluer son frère aîné, Seth, et ses parents adoptifs, leurs parents biologiques étant décédés dans un accident de voiture alors que Chase était à peine âgé de huit ans. Seth dit quelque chose à Chase, qui lui répondit sèchement avant de ressortir. Je me tassai derrière mon buisson en priant pour qu'il ne m'ait pas vue. Il partit en direction du sud, les mains dans les poches, et je le suivis jusqu'à ce que nous soyons parvenus sans grande surprise à la zone industrielle. Nous marchions depuis longtemps dans le labyrinthe de rues malfamées lorsqu'il pénétra dans un bâtiment rouillé qui avait tout l'air d'être abandonné. Que venait-il faire ici ?
Mon cœur battait fort dans ma poitrine. Les raisons étaient simples, j'étais en train de suivre l'un de mes meilleurs amis, il s'était engouffré dans un lieu que n'importe quelle personne sensée éviterait et j'étais en short et débardeur, sans oublier mes sandales ouvertes, dans cet endroit peu recommandable... Je me plaquai contre le mur de l'entrepôt rouillé et passai discrètement ma tête dans l'ouverture. L'endroit était étrangement bien aménagé. La pièce était large et longue et ses murs étaient peints en blanc et parfaitement propres. Des canapés et des fauteuils étaient disposés autour d'une table basse en verre sur laquelle reposaient quelques bouteilles et des verres à moitié pleins. Deux hommes étaient assis sur l'un des canapés, mais je ne parvins pas à les distinguer nettement. Je perçus l'éclat de la chevelure blonde du plus jeune, mais je ne m'attardai pas pour étudier son visage. L'allure de son acolyte, un grand type aux cheveux hérissés et au regard effrayant, me tira un frisson et je reculai en retenant mon souffle.
- Tiens, tu es revenu, Chase, lança l'homme blond.
- Oui, je viens chercher la même chose qu'hier, répondit Chase.
- T'as de quoi payer, gamin ? Demanda l'autre lascar d'une voix moqueuse.
Chase tira de sa poche un billet que je ne parvins pas à identifier. Le grand l'empocha et se dirigea vers le fond de la pièce. Il passa une porte et disparut. Quelques secondes, plus tard, il revint et déposa quelque chose dans la main de Chase. Quelques secondes, plus tard, il revint et déposa quelque chose dans la main de Chase. Puis il les salua et s'en retourna vers l'entrée de l'entrepôt. Je me dépêchai de trouver une cachette et attendis qu'il ait pris un peu d'avance pour le filer de nouveau. Sur le chemin, une boule d'anxiété se forma dans le creux de mon abdomen et ne tarda pas à gagner le reste de mon corps. Quand Chase regagna sa maison et entra, j'entendis son frère lui crier quelque chose. Chase lui répondit d'une manière violente qui ne lui ressemblait pas, mais je ne parvins pas à saisir le sujet de la dispute. Le cœur lourd, je traînai des pieds jusqu'à ma propre maison et m'enfermai dans ma chambre.
Ce soir-là, j'avais envoyé un message à Chase pour lui proposer que l'on se rende ensemble chez Brendan. Je précisai que je l'attendrai devant chez lui vers dix-neuf heures quinze. J'espérais ainsi pouvoir parler seul à seul avec lui pour mettre les choses au clair, mais, quand il me répondit quelques minutes plus tard, mon cœur se gonfla de chagrin. Son message disait : « Laisse tomber. Je ne peux pas me libérer, vas-y sans moi. À lundi. »
J'avais refermé mon portable et me laissai tomber sur mon lit, le regard fixé sur le plafond. J'avais l'impression que toute joie de vivre venait de quitter mon corps.
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