Chapitre 7
- Halsey, attend moi !
Je me retournai pour voir Payton arriver, tout essoufflée d'avoir couru pour me rattraper. Loin, derrière elle, Brendan discutait avec un des garçons de notre classe à propos du match de badminton qu'ils venaient de disputer au cadre du cours de sport. Lorsqu'elle fut à mon niveau, Payton réajusta son écharpe qui s'agitait au rythme des bourrasques de vent froid qui soufflaient dans les arbres depuis plusieurs jours. Son nez était rougi par l'air glacial et ses gants ne semblaient pas réchauffer suffisamment ses mains qu'elle frottait l'une contre l'autre avec énergie.
- Pfou, souffla-t-elle lorsqu'elle m'eut rattrapée, qu'est ce qui t'as pris de partir si vite ?
Je posai mes yeux sur le jeune homme brun qui se trouvait à quelques pas de là et le sourire de mon amie disparue.
- Écoute, Halsey, tu as bien vu que ça ne servait à rien, répéta-t-elle avec tact pour la énième fois.
- Je sais... Admis-je sans lâcher Chase des yeux .
Cela faisait maintenant plusieurs mois que Chase ne nous adressait plus la parole. Il ne parlait plus à personne d'ailleurs, sauf en cas d'extrême nécessité. Son visage était continuellement fermé et ses yeux semblaient observer un monde que notre regard ne pouvait intercepter. J'avais bien essayé de le sortir de son isolement à de nombreuses reprises, mais avais toujours eu droit à la même réponse.- Fous moi la paix.
Je poussai un soupir à fendre l'âme et tentai de sourire à Payton, sans grand succès. Celle-ci n'insista pas et entama un autre sujet de conversation.
- Je voulais te parler d'un truc.
- Vas-y, je t'écoute.
Elle devint rouge pivoine et observa ses gants, soudainement passionnée par les motifs qui creusaient le cuir à plusieurs endroits. J'attendis quelques instants, habituée à ce genre de réaction de la part de mon amie.
- En fait, c'est par rapport à Brendan, tu sais...
- Quoi ? Demandai-je tout à trac.
J'avais remarqué depuis quelque temps que mes deux amis ne se regardaient plus de la même façon et étaient devenus maladroits l'un envers l'autre. Comme ces signes ne trompaient personne, je m'étais fait une joie de les voir bientôt se faire une déclaration, mais l'une était trop timide et l'autre trop empoté, c'est pourquoi les choses avaient tendance à traîner.
- Ben, il m'a proposé de venir chez lui ce soir... Continua Payton en rougissant de plus belle.
C'était bien Brendan ça... J'étais persuadée qu'il n'y avait aucune mauvaise pensée derrière cette invitation, mais cela montrait bien qu'il n'avait pas tout à fait cerné le caractère de notre amie.
- Et tu te demandes si tu dois accepter ? Demandai-je. Qu'est-ce que tu aurais répondu le mois dernier ?
- J'aurais sûrement dit oui, mais...
- Eh bien, je ne vois pas ce que ça change. C'est toujours Brendan et il ne te sautera pas dessus. Ou alors j'aurais été déçue par mes deux meilleurs amis en l'espace de quelques mois...
- Oui... Tu as sûrement raison... Je vais lui dire...
Et elle repartit en arrière, non sans me lancer un ultime regard me signifiant qu'elle avait parfaitement compris l'insinuation de ma dernière phrase et qu'elle était désolée. Je soupirai. Étais-je la seule à être incapable de poursuivre ma vie normalement après la tournure qu'avaient pris les choses ? Je pouvais le comprendre venant de Payton, Clyde et Trévor, mais comment Brendan arrivait-il à accepter le départ de Chase aussi facilement ? Lorsque je vis ses yeux s'illuminer en regardant Payton accourir vers lui, je compris. Il souffrait à cause de Chase, seulement Payton était une sorte de baume sur son cœur. Grâce à elle, il oubliait presque le chagrin que lui causait l'attitude de celui-ci. En faisant cette constatation, je me sentis horriblement seule.
***
Le cours de sciences nat' ne m'inspira pas suffisamment pour chasser mes sombres pensées. Notre professeur était une petite femme brune pleine d'énergie qui était devenue enseignante cette année. Par le passé, elle travaillait déjà au lycée en tant qu'assistante de laboratoire, les élèves l'avaient donc toujours appelée par son prénom et ne s'étaient pas défais de cette habitude une fois son diplôme en poche. Seuls les nouveaux élèves l'appelaient par son nom de famille, les anciens ayant coutume de l'appeler Mackenzie, tout simplement. Cette dernière s'approcha de moi alors que, le visage tourné vers la fenêtre, j'observais les nuages qui filaient rapidement sous l'effet du vent.
- Halsey, ces fiches ne passeront pas derrière toutes seules... Me dit-elle, provoquant mon sursaut.
Je regardai sur mon bureau et y trouvai un tas de feuilles petit format, représentant les différentes étapes de la méiose. Je m'excusai, pris une fiche et donnai le reste à Harper, qui se trouvait derrière moi.
- Bien, nous allons donc commencer à étudier la méiose, annonça Mackenzie. Observez les schémas que vous avez sous les yeux, que pouvez-vous me dire par rapport au cours de la semaine dernière ?
Je repris ma contemplation des nuages, tout en prêtant une oreille distraite au discours de la prof, au cas où elle m'interrogerait. Payton étant rentrée chez elle pour cause de maladie. Je la soupçonnais d'avoir inventé cette excuse pour ne pas avoir à se rendre chez Brendan. Je n'avais aucun voisin qui puisse m'empêcher de broyer du noir en paix. Je la soupçonnais d'avoir inventé cette excuse pour ne pas avoir à se rendre chez Brendan. J'étais plutôt satisfaite de constater que, malgré ses démêlés avec la drogue, Chase n'avait pas totalement cessé de fréquenter le lycée bien qu'il ne soit pas rare qu'il sèche pendant un jour ou deux.
Je risquai un regard dans sa direction et, au moment où mes yeux se posèrent sur lui, il tourna les siens vers moi. Je baissai immédiatement la tête, ne voulant pas le laisser croire que je l'épiais. Oh et puis après tout, j'avais bien le droit de le regarder non ? Mais quel était ce sixième sens étrange qui amenait n'importe quel individu à sentir le regard d'un autre sur son dos ? J'aurais bien aimé que l'on m'explique ça plutôt que...
- Halsey, tu m'as l'air d'être particulièrement dans la lune aujourd'hui, m'apostropha Mackenzie. Pour t'occuper, lis-nous donc le paragraphe en haut de la fiche.
Je soupirai discrètement et me lançai dans la lecture dudit paragraphe.
- La méiose est un processus biologique par lequel les espèces diploïdes produisent des gamètes haploïdes, nécessaires à la reproduction, suivant deux étapes majeures...
Lorsqu'un point se présenta, je risquai un nouveau regard en direction de Chase, mais celui-ci semblait absorbé par son stylo qu'il faisait tourner lentement entre ses doigts. Je rebaissai les yeux sur ma feuille et achevai ma lecture sans chercher à ma départir du ton morne qu'avait adopté ma voix. Mackenzie sembla satisfaite et me laissa ruminer en paix le reste de l'heure.
À la fin du cours, j'observai Chase à nouveau, détaillant les moindres de ses gestes tandis qu'il entassait ses affaires, dont il ne s'était même pas servi, dans son sac. Il jeta ce dernier sur son épaule et rejoignit la sortie d'une démarche lourde qui ne lui ressemblait pas. J'avais l'habitude qu'il se meuve avec l'allure princière innée qui lui valait toutes ses groupies. Je fis un signe de la main à Brendan pour lui dire au revoir – il avait encore écopé d'une heure de colle – et me précipitais derrière mon ami. Ancien ami. J'avais encore du mal à me faire à cette formule.
Je dus courir pour le rattraper, mais je ne fis rien pour lui signifier que j'étais derrière lui et préférai poursuivre mon observation à distance. Je vis à quel point ses cheveux étaient coiffés sommairement – depuis combien de temps ne les avait-il pas fait coupés ? Je lançai un regard réprobateur à sa main gauche qui tremblait sans raison. Nous passâmes les portes de sortie du lycée et le vent glacé agressa mes joues tièdes, je relevai mon écharpe jusque sur mon nez et entreprit rapidement de trouver mes gants au fond de mon sac lorsqu'un détail me fit tiquer. Je relevai les yeux et m'aperçus que Chase ne portait qu'une veste légère par-dessus son t-shirt alors que la température frôlait les -5 degrés. Je secouai la tête en levant les yeux au ciel et, lorsque j'eus retrouvé mes gants dans mon sac, je me précipitai à son côté.
- T'as pas froid comme ça, Chase ? Demandai-je d'un air innocent.
- Non, répondit-il.
Tiens, pas de « dégage », « je ne t'ai rien demandé » ou « va faire chier quelqu'un d'autre »? Il fallait sauter sur l'occasion, il était de bonne humeur!
- Tu veux que je te prête mes gants ? Proposai-je en les lui agitant sous le nez. T'inquiètes pas, ils sont mixtes.
Je lui offris un sourire timide et il baissa ses yeux sur moi. J'eus soudain beaucoup plus froid, tant son regard me glaça le sang.
- Je te dis que j'ai pas froid, dit-il.
- Comme tu veux, fis-je en haussant les épaules et en enfilant les gants sur mes propres mains. Ça apporte une résistance au froid les trucs que tu prends, parce que là je...
Mais je n'eus pas le temps d'achever ma phrase, car il me saisit fermement par le bras et me força à lui faire face. Ses yeux brillaient de colère.
- Faut que je te le dise comment ? Cria-t-il. Lâche moi, okay? C'est fini la belle petite amitié ! J'en ai marre de vous, j'en ai marre de TOI !
- Eh, Chase, lâche là !
Trévor s'était précipité et m'avait tirée en arrière tandis que Daphné, sa petite amie depuis peu, regardait Chase avec un mélange de terreur et de profonde aversion. Elle attrapa ma main, qui tremblait sous l'effet de la peur qu'avait déclenchée la brusque explosion de fureur de Chase, dans la sienne et la serra. Ce dernier, retenu tant bien que mal par Trévor, ouvrait des yeux ivres de colère et hurla.
- Ne t'approche plus de moi Halsey , t'as compris?
Puis il se dégagea et partit en direction de l'arrêt de bus, ignorant les têtes qui se tournaient vers lui sur son passage. Je ne pus détacher mes yeux de sa silhouette avant qu'une brusque secousse ne me ramène à la réalité.
- Eh, Halsey, ça va ?
C'était Daphné qui m'observait à travers ses grands yeux d'un bleu profond. Ses longs cheveux blonds s'envolaient sous la brise tandis qu'elle essayait de déterminer si j'étais en état de lui répondre ou non. Je secouai la tête en ravalant les larmes qui étaient restées bloquées au fond de ma gorge.
- Viens, je vais demander à ma mère de te ramener, elle sera sûrement d'accord, dit-elle en m'entraînant à sa suite. Pas question que tu prennes le bus avec ce malade.
- Il a complètement pété un plomb ! S'insurgea Trévor. Halsey, il ne faut plus que tu lui parles, il est devenu carrément fou !
- De toute façon, il ne veut plus que je l'approche, réussis-je à articuler.
- Ben, tu ferais bien de l'écouter, ça vaut mieux pour toi, approuva celui-ci.
Daphné acquiesça, mais je gardai un visage de marbre. Je savais qu'il m'était impossible de leur dire que j'avais pris la décision importante de ne plus laisser Chase continuer sur cette voie. J'allais tout faire pour l'en sortir, quitte à me prendre son poing dans la figure.
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