Ais-je seulement eu un cœur ?
Lucien dépose sur la table le plat qu'il vient de cuisiner. L'odeur est alléchante, et j'ai réellement faim. J'apprécie ce dîner en tête à tête, en privé cette fois... chez lui, dans son appartement. Je me sens bien, nous discutons tranquillement. Être à la même table que le Président d'Europa... non, ce n'est pas ça qui m'importe. C'est ce que je ressens pour lui, que je n'ose pas m'avouer, que je n'ose pas lui avouer. Il le faudrait pourtant.
- Alors Lina, qu'est-ce que tu penses du plat ?
- C'est délicieux ! Tu es un excellent cuisinier... tu n'as que des talents Lucien ?
- J'ai surtout le défaut d'être perfectionniste.
J'ai rapidement compris ça, en tant que Président d'Europa depuis deux ans, à la suite de son père, il est devenu un homme admirable. Lucien, lui que j'avais déjà rencontré à la biblithèque de ma ville natale, n'était autre que le fils du Président. A l'époque, il semblait plus timide qu'aujourd'hui, il ne me draguait pas aussi ouvertement... et j'étais plus jeune moi aussi.
- Je pense que nous avons surtout bien grandis depuis notre première rencontre.
- Pourquoi penses-tu ça ? me demande t'il, perplexe.
- Tu es devenu un bel homme. Mature, intéressant... grand, non pas par ta taille mais ton rôle. J'ai été touchée, ce jour-là dans le tram, que tu m'aie reconnue.
- Il faut dire que tu es aussi devenue une femme magnifique, Lina. Et ton histoire est fantastique, passer d'immigrée à Elite Diplômée en une année à peine, c'est extrêmement rare.
- Je ne serais pas devenue Elite sans ton intervention. Et ma soeur non plus...
- C'est vrai, je t'ai présentée toi et ta soeur. Et ça a quand même été décidé. Parce que tes travaux de Propagande sont excellents. Parce que les accomplissements de ta soeur le sont aussi. N'oublie pas qu'Europa fonctionne au mérite, rend bien service à Europa et Europa te remercie bien. Je n'ai aucun pouvoir de décision là-dessus, je suis Président, et mon titre ne me donne aucun droit de supériorité sur les autres, l'ensemble des Europans, qu'ils soient Diplômés ou Elites Diplômés, nous sommes tous égaux face au Code Europan. Seul ce dernier nous est supérieur.
- Le Code Europan que j'ai appris par coeur pour mon travail en effet. Je te remercie pour ce que tu viens de me dire, si tu le penses, ça me touche parce que j'apprécie savoir mon travail être admiré. Par toi en plus, je te l'ai sans doute dit et redit, mais... mince, tu ne peux pas savoir combien ça me fait plaisir.
- Lina. Je sais que tu aimes que je t'admire.
Je gratifie Lucien d'un sourire qui, sans poursuivre la conversation, alors que nous avons terminé le repas, se lève et me tend sa main que je saisis. Il me tire alors de ma chaise et me traîne dehors, sur le balcon, d'où nous profitons ensembles de la vue magnifique de La Capitale, dont les multiples tours d'aciers et de verres s'illuminent pour faire fuir les ténèbres.
Je trouve toujours quelque chose de magique ici, alors que le reste du monde est sombre, la lumière brille toujours à Europa. Epargné de la guerre, survivant de l'horreur ; dans ses bras je me serre, les battements de mon coeur.
Nous nous asseyons sur le canapé d'extérieur, le temps passe doucement, doux avec la chaleur réglée du balcon... je me sens vivante, blottie dans les bras de Lucien, je regarde l'horizon au-dessus de ma tête, l'espace infini, les étoiles brilles. Je me demande ce qu'il y a au-delà de cette immensité noire. Quels sont tes secrets, Univers ?
Et je pense au temps qui passe, aux gens qui vivaient ici bien des années avant. Je pense à ceux qui ont vécu les meilleures années de l'Humanité avant le début de la guerre. Les gens du 21e siècle, nous avons tellement de sources historiques sur eux grâce à la sauvegarde faites par Europa... des vidéos, des photos, des enregistrements audios. Ils avaient une vie douce et agréable, non pas sans défauts, mais bien meilleure que celle de ceux qui se sont battus durant la guerre, bien meilleure aussi que celle de ceux qui, désormais, doivent vivre avec ses traces. Et le pire, c'est qu'ils sont à l'origine de la Nouvelle Guerre.
Ces gens, qui avaient une vie douce et paisible, sont ceux qui ont détruit le monde. Et c'est pourquoi je les détestes.
Lucien me caresse la joue, doucement. Surprise, je sors de mes pensées colériques pour me rendre compte qu'il me regardait. Je ne comprends pas... jusqu'à ce qu'il s'approche de moi, ses mains autour de mon cou.
Je n'ai pas réagit, quand ses lèvres sont rentrées en contact avec les miennes. La douceur, la tendresse, le bonheur... ma colère s'est évanouie. Je l'embrasse, à pleine bouche. Je n'ai pas besoin de lui dire, il comprend que tout ce que je veux, c'est de l'amour.
Ce n'est qu'après avoir terminé cette friandise que Lucien passe sa main dans mes cheveux, se penche vers mon oreille et souffle : tu en as mis du temps.
Sans répondre, je le prends à nouveau dans mes bras, je l'embrasse à nouveau. Je m'enlève mes vêtements qui me gênent, je veux le faire maintenant. Je l'aime.
- Faisons-le Lucien. Je le veux...
- Faisons-le Lina.
Les frissons le long de ma colonne vertabrale, dans le dos, partout sur mon corps. La sensation exquise, j'ai touché du doigt l'Univers. Cette heure intense, fut si bonne, si délicieuse que je me demande encore si ce n'était pas un rêve. Lucien a le même sourire satisfait que moi, qui viens de découvrir une nouvelle chose. Une nouvelle façon d'atteindre le bonheur.
J'en avais besoin. L'amour, c'était tout ce dont j'avais besoin jusque-là. Ce qu'il me manquait. Je me sens être devenue une autre personne, plus grande, plus belle, plus forte.
- C'était bien tout à l'heure, non ?
Nous regardons un film à l'holocran lorsque Lucien me pose la question. Je fais signe de oui de la tête avant de répondre.
- Je ne pensais pas que ce serait aussi bien.
- Tu étais vierge, c'est normal.
- Certainement, c'est nouveau pour moi tout ça... être avec un homme, sortir, s'embrasser, coucher... c'est un fruit délicieux qui me motive à travailler encore plus, c'est ça d'être en vie.
- Ce qui est nouveau, tu vas avoir le temps de le connaître encore une fois, et encore, très souvent. Et crois-moi, si tu te lasses de certaines choses, l'amour est l'une des choses que tu ne peux pas oublier mais dont tu voudras toujours en même temps.
- Ce que je ne veux pas oublier, c'est d'où je viens et ceux qui m'ont amené là où je suis actuellement.
- A quoi penses-tu Lina ?
- A mes parents, à ma soeur, à mes rares amis d'Astrakhan. A ceux que j'ai ici, mais surtout à toi. Sans vous, je n'en serais pas là. Les premiers m'ont aidé à me lancer dans mon voyage pour Europa, et les seconds à me motiver pour devenir quelqu'un. Mais je n'oublierais pas non plus mes compagnons temporaires de voyage... ce garçon, Ian, qui est mort dans une embuscade alors qu'il pensait refaire sa vie à Moskva. Le groupe de passeurs... des gens magnifiques.
- Je sens que tu as une histoire Lina, une véritable et belle histoire, qui n'a rien de commun. Tu es fantastique, et ton caractère, ta façon d'être, le regard froid, la bouche ferme, les yeux perçants, tu es un mystère que je suis parvenu à comprendre.
Je ne sais pas si je suis un réel mystère. Mais on m'a déjà fait comprendre que j'étais froide. C'est pourquoi je n'ai pas eu de relations plus tôt, et pourtant on dirait que ça ne l'a jamais dérangé... au contraire. Lucien est exceptionnel pour ça, agréable en toutes circostances, doux, à l'écoute. Il est ouvert, charismatique, on sent que les gens apprécient aller vers lui. Même si j'ai un peu changé avec le temps, je me suis toujours trouvée renfermée et trop franche avec les autres.
Je suis encore dans ses bras, il est toujours là à passer ses mains dans mes cheveux. Ce que je constate réellement, c'est qu'il a toujours eu un coeur en or, alors que moi... ai-je seulement eu un coeur ? Si tel est le cas, je ne l'ai ouvert que pour quelques rares personnes.
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