Le calme avant la tempête

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 Alors que je n’avais pas vu Horus depuis plusieurs semaines, j’ai décidé de l’inviter à manger chez moi. Après l’avoir envoyée effectuer des missions difficiles et loin d’Europa, elle méritait un peu de repos. En civil, elle affiche toujours un sourire et une joie qui ne masque pas son sérieux en tant que Faucheuse, elle est merveilleuse, comme un ange aux ailes noires, ou un démon aux plumes blanches. Deux semaines après l’annonce de la guerre, elle semble cependant plus inquiète que jamais.

  • Ça ne me fait peur, c’est quelque chose d’assez exceptionnel.
  • Nous gardons un œil sur la progression de l’Aest. Mais toi, comment tu te sens ?
  • Oh je vais bien. Je peux me repose, grâce à toi.
  • Ces dernières missions étaient difficiles, n’est-ce pas ?

 Horus acquiesce d’un hochement de tête. Être Faucheur, c’est accepter d’être une machine à tuer, c’est accepter d’avoir les mains dans le sang, d’en connaître son odeur, son goût, sa texture… Horus, elle n’a pas accepté tout ça. Elle a été créée pour ça. Je peux sentir sa tristesse, mais elle s’y est résignée. Comment fait-elle…

  • C’est comme ça, c’est tout, dit-elle d’une voix sombre.
  • Comment ça ?
  • Les missions, c’est mon devoir, rien d’autre.
  • En effet. Comment tu te sens alors ?

 Inquiète mais tranquille, c’est ce qu’elle m’a répondu. Alors que je la regarde, je vois qu’elle s’apprête à dire quelque chose mais se rétracte aussitôt. Je me lève pour aller sortir les plats sans dire un mot en laissant Horus. Je reviens aussitôt avec le repas que j’ai préparé, alors que nous commençons à manger, je remarque qu’elle reste étrangement plus sérieuse que d’habitude lorsque nous sommes en privés.

  • Qu’est-ce que tu voulais me dire, tout à l’heure ?
  • Tout à l’heure ? Elle semble perplexe.
  • Oui, tu as voulu dire quelque chose mais tu t’es abstenue.
  • Ah… Oui, je… Je me demandais comment tu te sentais, vis-à-vis de cette situation je veux dire…
  • Tu veux parler de la guerre ?
  • Pas seulement, à propos de ta sœur, de Lucien et aussi de tes parents peut-être.

 Il est vrai que je n’avais pas eu de nouvelles de mes parents depuis un moment à cause de mon travail de Dictatrice. Je ne peux cependant pas m’empêcher de penser à ma sœur… Lucien n’est plus là, il pourrait me réconforter dans ces temps difficiles, mais il ne peut pas. Que penserait-il de moi, est-ce qu’il accepterait mes agissements ? J’en doute fortement, c’était un jeune président, prêt à l’ouverture et au dialogue avant de frapper. La Russie m’a forgé un autre caractère, celui qui préfère l’adage de « la meilleure défense, c’est l’attaque ».

  • Ils me manquent…
  • Je sais ce que tu penses, Lina. S’exclame-t-elle en me coupant la parole. Tu penses que tu ne fais peut-être pas les bons choix. Laisse-moi, s’il te plaît, te dire quelque chose. Tes choix ont été faits. Tu n’as plus à revenir dessus, ce n’est pas après avoir agi qu’il faut se demander si c’était juste, mais avant d’agir. En ce qui me concerne, je ne te juge pas, moi, je ne suis qu’une arme et j’obéirais à tes ordres, peu importe ce que tu me demandes. Je suis là pour te servir, comme les autres Légionnaires. Demande-moi d’exécuter un homme, je l’exécuterais. Demande-moi de détruire un bâtiment, je le détruirais. Demande aux Légionnaires d’exterminer un pays, ils le feront. C’est comme ça, on ne cherche pas à savoir si les raisons sont justes, ou si c’est immoral. Peu importe, je vois les soldats comme les armes d’un chevalier, l’épée aveugle de la guerre. Quand l’on frappe, l’épée ne s’arrête pas, ne se demande pas si le geste de son maître est juste, l’épée frappe et tranche, elle tue. Elle ne regarde pas derrière elle, elle ne visualise pas sa victime. Elle n’est là que pour trancher, c’est tout. Toi qui aime l’histoire, tu devrais savoir que lorsque Louis XIV a ordonné le sac du Palatinat, les soldats étaient réticents. Mais ils l’ont fait, ils auraient pu ne pas le faire. Mais ils l’ont fait. Lors que la Première Guerre Mondiale a éclaté, les soldats se battaient sans se poser de questions, ils se sont battus parce qu’on leur a ordonné de le faire, parce que s’ils reculaient ils étaient exécutés. Qu’est-ce que cela a apporté ? Des millions de morts, des morts inutiles. Mais au final, le temps passe, le temps a continué. Les morts s’oublient… Peu à peu. Mais les soldats, ils sont toujours là. Et lorsque la Seconde Guerre Mondiale a éclaté, ce fut encore la même chose. Et lorsque les Etats-Unis bombardèrent Hiroshima et Nagasaki, les équipages de l’Enola Gay et du Bockscar ne se posèrent pas de questions. Et ce fut la même chose, pour chaque guerre, pour chaque pays. Alors quoi que tu fasses, nous obéirons, mais une fois l’ordre donné, il n’est plus utile de te demander si ton ordre était le bon.

 Je ne peux que rester sans voix face à l’éloquente tirade de mon amie Alexane, dont je ne lui connaissais pas une telle culture. Elle a mis tant d’émotions dans son discours que sa voix tremblait vers la fin, Horus a beau être ce qu’elle est, elle a beau se dire n’être qu’une simple arme, créée pour tuer, elle est plus que ça, elle n’est pas un réceptacle vide. Horus a aussi un cœur.

  • C’est touchant ce que tu dis Alexane. Merci…
  • Je t’en prie, d’ailleurs je crois comprendre que ça ne va pas bien avec le Gestionnaire Banzinet ?
  • C’est difficile de composer avec lui, qui remet en question chacune de mes décisions. Et de Asma et Teresa qui le soutiennent les trois quarts du temps. Je peux comprendre qu’il fût fâché de ne pas accéder à la Présidence, mais il serait temps de passer à autre chose…
  • Du peu que je sache, Lucien et Samy étaient amis enfants. Ils ont grandis ensembles, accédé aux hautes sphères ensembles. Samy a toujours été, je crois, pour un dialogue avec les autres pays, et Lucien un peu moins…
  • La première fois que j’ai rencontré Lucien, il était à Astrakhan, dans la bibliothèque et…
  • Je sais. J’étais-là, annonce-t-elle d’une façon claire et déterminée.

 C’était il y a seulement quelques années, je me souviens encore la façon dont nous nous étions revus dans le tramway par la suite, à mon arrivée ici. Il était vivant… Ma sœur était encore là. Je n’étais qu’une Diplômée de Propagande et Professeure. Alexane était là ce jour-là, ce qu’elle venait de me dire me surpris.

  • Qu’est-ce qu’une Légionnaire Assassin faisait auprès de Lucien, et que faisait-il en Russie… Pour de vrai ?
  • Ce que tu ne sais pas faire Lina, désolée de te le dire, mais de la diplomatie. Il souhaitait discuter avec des représentants d’Astrakhan, comme tu le sais très bien c’est l’un des Oblasts russes les plus riches… Lucien y avait été envoyé pour de la diplomatie.
  • Ça ne me dit pas ce que faisait une Assassin avec lui, tu n’es pas garde du corps…
  • Je devais tuer un homme. Un russe, un homme d’affaire, qui aurait compromis les accords…
  • Merde… Qu’est-ce qu’il en est arrivé ? La Russie n’est pas l’alliée d’Europa, Astrakhan n’est pas un oblast indépendant.
  • Eh bien, nous informateurs nous avaient dit qu’ils seraient là-bas, mais aucune trace de lui. L’assassinat n’a pas eu lieu… Astrakhan serait devenue indépendante avec l’aide d’Europa, Lucien travaillait sur ça, même à ton arrivée ici. Mais il est mort et sa mort a rendu les accords caducs. Et cet homme d’affaire, il n’est certainement pas sans liens avec Sojusz.
  • Sojusz sont des polonais ! Ce n’est pas possible !
  • On a tous cru que Sojusz était aidé par la Pologne, mais le gouvernement polonais…

 Mais le gouvernement polonais pouvait avoir été financé par cet homme d’affaire… Les révélations d’Alexane remettent en cause tout ce que je savais jusqu’à maintenant. Des mercenaires anti-Europa financés par un gouvernement lui-même financé par un homme dont les motivations restent encore floues pour refuser ce sur quoi travaillait Lucien. L’attentat du jour de l’An était sous faux-drapeau, éclairer Sojusz pour remonter la piste jusque la Pologne… Et pendant ce temps, le véritable artiste de la pièce reste dans l’ombre.

  • Qui était la véritable cible ? Pour Sojusz… Qui était-ce ?
  • Pour Sojusz, pour les rebelles, je dirais qu’ils sont profondément anti-Europa et veulent réellement se libérer de notre traité. Mais Lucien a probablement été visé directement. Ce n’est pas une coïncidence s’il était juste à l’emplacement de la bombe lors de son explosion…
  • Pourquoi il ne m’a rien été dit à ce sujet bordel ?!
  • Parce que le Conseil n’en a aucune idée, outre les Légionnaires, seule une personne est au courant… Samy.
  • Le sale traître ! Je me lève de ma chaise pour aller à la fenêtre. Merde mais pourquoi il n’a rien dit… et toi, pourquoi tu me dis ça que maintenant aussi ?
  • Lina, je ne suis pas censée te le dire je… Alexane semble perturbée. Je suis tenue du secret Légionnaire. Je pourrais être exécutée pour ce que je viens de t’avouer !
  • Désolée. J’oublie que les Légionnaires sont un peu indépendants d’Europa… Mais Samy…
  • Samy souhaitait peut-être te laisser foncer droit sur la Pologne ? Ou alors… Tu sais, il est simple d’acheter des Hommes. Et méfie-toi Lina, même à Europa, ils restent des humains, corruptibles, si ce n’est pas pour l’argent, alors c’est pour autre chose… Le pouvoir, la gloire, la vengeance…
  • La vengeance hein… Oui, je comprends ce sentiment… Fais-je en baissant le visage d’un air sombre.
  • Tu souhaiterais te venger de la mort de Lucien. Je comprends… Je voudrais en faire autant… Lina… Si tu veux faire quelque chose pour te changer les esprits… Je suis là ?
  • Eh bien, tu peux me dire si mon plat te plaît ? Ma question a pour volonté de changer de sujet.
  • Oh, en effet. Il est délicieux, oui. Ta cuisine est excellente, vraiment. Je… Je pensais qu’on pourrait peut-être aller en ville avec Astronaut et Redsky ? Alexane me gratifie d’un grand sourire.

 J’accepte avec joie la proposition de mon amie, les deux autres Faucheurs sont aussi en repos. Ce serait une excellente façon d’apprendre à les connaitre.

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