C’est tout de même incroyable à quelle vitesse peut passer le temps quand on est occupée. Ce matin en me réveillant, je ne me souvenais même pas de ce que j’avais à faire aujourd’hui jusqu’à ce que l’on m’annonce que les prisonniers sont prêts pour le transfert vers la Capitale.

Et maintenant, à 11h du matin précises, je me tiens ici, sur cette estrade au pied de la Mairie. Face à cette foule d’Europans vivant dans la Capitale venus assister à l’exécution rendue publique. Devant les caméras transmettant l’évènement en direct, et surtout destiné à nos ennemis pour leur faire passer un message. Aux côtés des Gestionnaires du Conseil et de tout un autre tas d’Elite Diplômé à responsabilités dont je n’ai aucune idée de l’identité si ce n’est vaguement. Comme ils étaient devenus des Diplômés, les deux terroristes ne sont pas exécutés comme simples rebelles ennemis d’Europa. Ils sont exécutés en tant que traitres à Europa. Et la haute trahison envers Europa est condamnée avec la plus grande fermeté. Il y a aussi Astronaut à mes côtés, et afin de surveiller l’exécution j’ai fait appel aux Assassins de la Légion pour surveiller les environs. Certains sont dans la foule, d’autres bien camouflés avec des fusils de précision de la technologie de pointe dont bénéficie les légionnaires. Ils sont prêts à éliminer la moindre menace en cas de danger.

Il est 11h05. Je m’avance au-devant de cette foule. J’ai peur, il fait froid ce matin. Le ciel est grisé, on dirait qu’il va pleuvoir… Il y a un peu de vent. Et surtout, un silence de plomb alors que je commence le discours pour lequel je répète depuis plusieurs jours déjà.

• Diplômés, Elites. Nous vivons des temps troublés… Par des personnes néfastes, qui en veulent à notre mode de vie. A notre société. Voyez donc ici, devant vous, ces deux rebelles. Ils sont allez jusqu’à passer les examens d’entrée dans l’unique objectif de pouvoir entrer sur le territoire Europan et d’y commettre l’odieux attentat de Tarragone. Etant donc des Diplômés par ce fait, ce ne sont pas que des rebelles. Ce sont des traitres. Aux yeux de la Loi Europanne, c’est le plus grave des crimes. Ils ont étés torturés pendant un mois depuis leur arrestation pour cette raison, et aujourd’hui ils vont être exécutés ici même de ma propre main. C’est de ma responsabilité d’abattre l’épée de la Justice sur eux. Que nul ne prenne en pitié ces traitres, car leur dépouille sera jetée hors d’Europa afin de ne pas salir la mémoire des braves personnes qu’ils ont assassinées. Et puissent-ils nourrir la terre en dehors de nos frontières.

J’abaisse mon arme vers le premier d’entre eux, le petit copain de Madame. La détonation fit sursauter plusieurs personnes. Je pensais que ce serait difficile de le faire, et pourtant je n’ai eu aucune peine à presser la détente. Je ne ressens rien, pas de peine, pas de tristesse, pas de réjouissance… Seulement faire un pas d’un mètre pour me placer derrière la fille qui pleure, voyant son copain affalé sur le sol. Encore une fois, je pointe mon arme vers sa tête, je me préparer à tirer…

• Mort à la Dictatrice !

Je me retourne d’un coup, surprise par ce cri. J’ai juste le temps de voir le Gestionnaire Banzinet s’avancer avec une arme qu’il a visiblement réussi à faire passer à la sécurité... Un jour, on m’a dit que lorsque l’on fait face à la mort on voit toute sa vie défiler devant soit en une fraction de seconde. Je ne savais pas si je devais vraiment y croire… Mais lorsque je vis Samy pointer son arme vers moi, un flot de souvenir me vint d’un coup : ma vie à l’école d’Astrakhan, ma première rencontre avec Lucien dans la bibliothèque, le dernier repas avec mes parents avant de partir pour Europa, la mort de Ian, la discussion avec les passeurs, le passage de mon examen, la découverte de mon premier appartement et de Müllrose, puis celle de La Capitale, l’attentat et la mort de Lucien… Tout ce qui s’ensuivit, chacun de mes actes jusqu’à ce moment précis où je fais face à la mort. Dans cet élan de surprise et d’incompréhension je fais un pas en arrière et, croyant mourir, j’ai fermé les yeux en me recroquevillant. J’ai entendu Samy crier et tirer plusieurs fois… pourtant, après quelques secondes, je peux encore ouvrir les yeux. Je suis en vie… Je relève le visage et voit Samy les yeux baissés en direction du sol à mes pieds. Je cherche à savoir ce qu’il regarde et je baisse aussi mes yeux, je peux voir Astronaut à terre, il ne bouge plus.

• Putain ce n’est pas vrai, il s’est sacrifié pour te protéger mais pour rien, cette fois je vais te buter connasse !

Astronaut s’était placé devant moi pour me protéger. Samy est plein de rage face à l’échec de sa tentative, cherchant à recharger son arme. Mais cette fois les tireurs d’élite de la Légion ne lui en donne pas le temps. En un instant, il est sur le sol lui aussi baignant dans son sang, le bras déchiqueté et le torse perforé de plusieurs balles.

Toute la scène m’a semblée durer une éternité, pourtant moins de trente secondes venaient de s’écouler. Je me retourne vers Astronaut encore au sol. A une si faible distance, l’arme assez puissante de Samy a été capable de perforer son armure. Je me jette sur le corps de mon ami, il a été touché à plusieurs endroits dont à la gorge. Il essaye de me parler mais chaque tentative n’est qu’un affreux râle de douleur. Je fonds en larmes en le voyant alors qu’il meurt lentement la tête sur mes jambes. Je ne fais même pas intervenir les secours, je sais que c’est inutile. Je me contente de prendre sa main dans la mienne. On ne sait parlés que quelques fois mais Astronaut, c’était un ami d’Horus, un homme loyal, admirable et passionnant. Ahmed… Il m’a sauvé la vie. Et je ne peux rien faire d’autre que d’assister à son agonie.

Bien que me détestant, jamais je n’aurais imaginé que Samy puisse en arriver jusque-là. Aller jusqu’à tenter de me tuer en direct, devant tout Europa qui visionne… ainsi que Sojusz et les autres nations à qui on piraté les diffusions pour montrer l’exécution. Il venait de montrer à toute la planète une Dictatrice qui a eu peur de la mort, une Dictatrice qui a pleuré devant la mort, une Dictatrice faible est redevenue la jeune adulte originaire de Russie… Juste Lina. Et pourtant je continue de pleurer agenouillée devant Ahmed, alors que toute cette foule me regarde, alors que la police commence à encercler l’endroit. J’entends Horus crier mon nom derrière moi. Elle est accompagnée de Redsky. Ils me demandent comment va leur ami. Lorsqu’ils voient mon visage en larme et mes lèvres tordues d’une grimace de tristesse ils s’arrêtent net. Je sais qu’Horus a compris tout de suite, elle s’approche d’Ahmed sans dire un mot. Elle le regarde sans bouger, tandis que Redsky s’effondre en face de moi. Je peux voir Horus se retourner en direction de l’autre rebelle restée là tout ce temps.

• Ahhh ! C’était mon ami ! Horus se met à frapper la prisonnière, devant tout le monde. Vous avez tout détruit, vous, Sojusz, l’attentat de Noël, vos attaques sur la frontière, vous et votre putain d’Unité des Os. Je vous déteste, je vous hais, sale chienne, tu es rentrée à Europa, tu as obtenus ton Diplôme et tout te ce que vous avez fait c’est tuer des innocents ! Putain et dire que le seul connard qui a un minimum d’honneur en visant directement Lina plutôt que des Europans c’est Banzinet, et il a tué mon ami à cause de vous ! A cause de Sojusz ! Tout est de votre faute !

Horus la frappe encore et encore, et l’insulte. Je ne l’ai jamais vue dans une telle hargne. C’est là que je vois bien plus en elle une machine à tuer que lorsqu’elle est en mission. Là, c’est son cœur qui parle, et non pas un ordre de sa hiérarchie. Même si je devrais intervenir, je ne le fais pas. Parce que je ne peux rien faire pour arrêter Horus dont les pensées pleines de haine et de colère ne désirent qu’une chose, la souffrance et la vengeance. C’est Redsky qui intervient pour calmer Horus.

• Arrête ! Arrête bon sang Alexane ! C’est bon, laisse-là !
• Lâche-moi Arsen, je vais la tuer ! Je vais tous les tuer !
• Calme-toi Alexane.

Redsky tire Horus à l’écart et prend sa tête entre ses mains en la regardant droit dans les yeux, malgré le casque puisqu’ils portent leurs armures. Je n’entends pas ce qu’ils se disent, je peux juste constater qu’Horus se calme petit à petit. Toute la foule est prise dans cette espèce de chaos qui s’est créé entre la tentative d’assassinat de Samy et le tabassage de la rebelle. Je me lève donc en direction de la prisonnière qui crache du sang, couverte des blessures des coups de Horus. D’un regard méprisant, je me rappelle ce que je lui ai dit la dernière fois en sortant de la prison.

• Finalement, nous n’attendrons pas demain pour briser les os.

A peine terminé ma phrase que je l’achève d’une balle avant de pousser un soupir de soulagement. Le bruit du tir a recentré l’attention sur moi, je ne dis rien et je m’en vais en laissant tomber l’arme. De deux exécutions, ce sont finalement quatre qui venaient de se dérouler. Tout ce que j’ai gagné de cette histoire c’est la crainte de certains Europans, le renforcement de la haine de nos ennemis et l’affaiblissement de la sécurité d’Europa.