La sagesse de savoir prendre une décision
Suite à cette visite instructive de la Remedy Armament, m’ayant notamment permis de rencontrer ses dirigeants et d’essayer une arme en prototype qui sera probablement utile pour asseoir définitivement la domination d’Europa sur ce monde, je me retrouvais à nouveau en salle d’interrogation. Face à moi la coursière prénommée sous pseudonyme Elore me regardait. Elle avait déjà été surprise de ne pas avoir été exécutée dès son arrestation en Territorialité d’Italie. C’est effectivement une jeune femme proche de la trentaine, plutôt jolie si on fait abstraction de la fatigue visible sur son visage. Ses cheux mi-longs blonds châtains sont décoiffés et négligés, mais ils encadrent ses yeux d’un gris profond et dont le regard est plein d’angoisse et de détresse. Comme tous les prisonniers, elle est vêtue de son uniforme rouge criard, tandis qu’elle repose ses bras sur une table, seul mobilier lui étant accessible dans cette cellule carcérale souterraine faite de béton.
Pour aujourd’hui, j’étais accompagné à nouveau d’Adélaïde ainsi que de deux Légionnaires, ils étaient censés la frapper et la torturer si elle ne voulait pas parler. La première chose que nous désirions obtenir d’elle était son véritable prénom. Heureusement pour elle comme pour nous, ne désirant pas perdre plus de temps à fracasser son visage fragile, elle s’était mise à répondre à nos questions sans faire preuve de résistance. Mieux, elle nous donnait les détails que nous ne demandions pas nécessairement. Visiblement, son véritable prénom était Bettina. Elle s’était effectivement décrite comme une coursière, précisant son rôle de donner les ordres de l’Unité des Os aux Europans qui s’opposaient à ma politique.
- Je me dois de préciser, s’opposer à vous. S’était-elle exprimer avec une voix douce, presque éteinte. Ce n’est pas à Europa... que je... que ces Europans en veulent.
- Pourquoi ? Avais-je demandé avec fermeté.
- Ils désirent une vie meilleure.
- N’ont-ils pas une vie meilleure ? N’ont-ils pas tout ce qu’il faut à Europa ?
- Elore, dit Bettina, la coursière, marqua un blanc avant de répondre à me jettant un oeil. Son regard était ferme, presque de braise.
- Non. Europa est une bonne chose, ou presque. Mais toi, tu as fais des choses si horribles... Mais l’attaque sur la Pologne a été le véritable déclencheur de ta cruauté... Ces Europans ne veulent pas la chute d’Europa, mais ta chute.
Finalement, il était clair que la majorité des Europans s’opposant à la situation ou à ma politique étaient effectivement de ceux qui étaient arrivés il y a peu, ou alors qui avaient de la famille en Pologne ou à l’extérieur de la Fédération. Certains, ceux nés à Europa, parce qu’ils avaient perdus des proches lors des attentats et estimaient que ma façon de faire était erronnée. Finalement, Sami et Teresa n’avaient peut-être pas entièrement tort, ou alors ils ont semé les graines du doute... Le petit discours d’Horus sur l’unité afin de me protéger ou d’expliquer ma politique n’avait pas eu l’effet escompté pour tout le monde visiblement.
- J’ai fais ce que je devais faire pour protéger Europa ! Sojusz désire non pas ma chute mais celle d’Europa. Ils ont attaqués notre Capitale, ils ont tué mon... notre président ! Ils ont enlevé des... des Europans... et les ont exécutés.
- C’est un cercle vicieux. Ils ne voulaient pas en arriver là, mais les condamnations arbitraires, l’absence de véritables procès, l’invasion de la Pologne. Honnêtement, je ne te juge pas. J’en ferais autant à ta place...
- Hein ? Que veux-tu dire par là ? Et pourquoi tu collabores aussi facilement avec nous pour quelqu’un qui s’oppose à ma personne, à mon système, à ma politique ? Je ne comprends pas.
- Concrètement, par intérêts. Tu as raison, Sojusz désire détruire Europa, sa façon de faire est tout aussi médiocre. J’ai vu chaque camp, j’ai fouillé toutes les cuisines, aujourd’hui je sais que le diable exerce à tous les fourneaux. Je privilégie ma survie, après tout je ne suis qu’une lâche. Protège- moi, protège ma famille...
Intéressant, alors cette coursière qui était d’ailleurs l’un des Diplômés entrés par fraude à Europa avec l’assistance de Teresa et de ses soutiens n’était pas aussi fermement opposée à Europa qu’elle ne pouvait le dire. Elle ne faisait qu’agir pour ses intérêts, choses compréhensible. Très bien, sa position était à réfléchir et je ne désirais pas me débarrasser d’elle encore, pas pour le moment. Après tout, elle venait bien d’ajouter qu’elle me rejoindrait volontiers si je venais à l’associer à ma politique et que je protégeais sa famille restée hors de la Fédération. Par ailleurs quand bien même elle était entrée par effraction, elle semblait avoir des capacités réelles et pourrait obtenir un Diplôme. Je n’ajoute rien et je fis reconduire la jeune femme dans sa cellule de prison.
En sortant de la salle d’interrogation, je tombais sur Horus et Redsky, les deux Légionnaires qui m’avaient justement accompagnée. Ils étaient restés à l’extérieur pour ne pas stresser davantage la coursière. Ils m’avaient demandé comment les choses s’étaient passées, ce à quoi j’avais répondu que l’interrogation s’était bien passée. Adélaïde me demande aussi ce que je comptais faire de sa proposition.
- Si elle est sincère, alors je pense que ce serait un bon élément. Elle pourrait être utile étant donné ses liens avec l’Unité des Os.
Adélaïde comprit l’idée et la trouva acceptable. De son côté, Horus me demande de bien vouloir venir se promener avec moi et avec Redsky avant que je ne retourne à la mairie, elle devait visiblement me parler de plusieurs choses. J’avais accepté son invitation.
Je m’étais retrouvée avec eux en sortant de la prison, le temps de retourner à la mairie, au cœur du quartier administratif de La Capitale. Essentiellement, Horus désirait me parler des évènements récents, et faire un peu le point sur ce qu’il s’est passé ces dernières semaines, mais elle avait aussi évoqué Astronaut. Visiblement, elle a fini par faire le deuil de ce dernier. Redksy n’avait rien prononcé du trajet, si ce n’est pour être en accord avec sa partenaire Faucheuse. Nous avions aussi évoqué leurs missions, la façon dont les choses pouvaient se passer sur le terrain et de ce côté aucun d’entre eux ne se trouvaient désabusés. Au contraire, ils semblaient ravis de leurs obligations, chose normale pour des militaires de leur rang, probablement. Chose normale pour Horus, créée en laboratoire pour tuer. Après un peu plus d’une bonne heure de marche et de transport, nous étions de retour à la Mairie de La Capitale.
J’avais en réalité un rendez-vous de la plus haute importance avec les grandes pontes militaires d’Europa, c’est-à-dire le Général Evans lui-même, les autres membres du Conseils encore en place, des officiers hauts-gradés de l’armée régulière, mais aussi le Consul Arcadia pour représenter les Légionnaires. Lorsque nous étions entrés dans la salle de projection où se tenait une conférence préparée par Evans qui était en train de discuter avec le Consul Arcadia et les autres officiers. De leur côté, les membres du Conseil préparaient la salle pour l’intervention.
Par ailleurs, il ne restait désormais des Conseillers que :
Le Général Evans en tant que Conseiller Général des Armées ;
Adélaïde en tant que Conseillère Recensement et remplaçante de feu Hiroki ;
Adeline en tant que Conseillère Chef de projet Sciences affiliée notamment avec la Sheep Research puisqu’elle est la fille du Directeur actuel ;
Asma en tant que Conseillère de la Communication. Elle avait reprit les charges de Teresa et nommée en même temps et par intérim Conseillère d’Intégrité Europa bien qu’il n’y avait actuellement plus d’examens ;
Lucas en tant que Conseiller Réseau Informatique d’Europa ;
Anu en tant que Conseillère Chef de Projet Technologie et Haute Technologie, qui travaille notamment avec la Remedy Armament et d'autres entreprises du secteur. De son côté, elle avait reprit les charges de Samy, qui n’avait pas encore non plus été remplacé à l’instar de Teresa, en tant que Conseillère IA et Robotique.
De mon côté, je restais Conseillère Propagande tout en étant Dictatrice par intérim d’Europa.
En me voyant l’approcher, le Général Evan m’interpella et me salua, me demandant de venir le rejoindre. Les deux Faucheurs, restés avec moi, partirent se mettre dans un coin de la salle pour se faire discret, étant donné qu’ils ne participaient pas à la réunion en préparation, ils étaient ici comme observateurs et éventuellement comme gardes du corps.
- Si nous sommes tous réunis aujourd’hui c’est pour évoquer un sujet qui concerne l’intégrité d’Europa d’un point de vue militaire et diplomatique. Il y a quelques mois, les États Américains de l’Est, l’Aest, ont décidé de déclarer la guerre à notre Fédération. Cependant, bien que nous ayons pris la menace au sérieux, nous ne nous attendions pas à une telle armée. Voyez donc.
À l’image, sur la projection, nous pouvons voir des vidéos issues de nos satellites espions. Les vidéos montrent la mer et une très grande armée composée de plusieurs dizaines de navires militaires, mais aussi des sous-marins et quelques porte-avions. Le matériel est globalement ancien et date probablement de la Nouvelle-Guerre, voire d’avant, mais il y a quelques bâtiments qui semblent plus récents. Ils sont rares, mais me paraissent très armes et vraiment dangereux. Europa dispose d’une amirauté réduite car la Fédération concentre ses forces sur les troupes terrestres. En effet, depuis des années les différents Présidents ont toujours estimé que la menace venait des territoires à l’Est de la Zone Morte et que les invasions militaires seraient probablement terrestres ou aériennes pour les pays ayant cette capacité de projection. À aucun moment ils ont imaginé une attaque venant de l’Ouest. Cependant, la force navale d’Europa reste tout de même conséquente mais l’armée qui traverse actuellement l’Océan Atlantique est vraiment très importante. Cela dit, si Europa n’a pas développé plus que ça ses capacités militaires, c’est aussi car elle a misé sur une technologie exclusive, bien plus performante que l’arme atomique.
Les vidéos montrent aussi des bases dans l’Aest, énormément de soldats sont présents. Une véritable armée qui doit approcher la dizaine de millions de soldats, avec énormément de matériel là aussi. C’est incroyable ! La guerre est finie depuis un siècle, les États-Unis d’avant-guerre ont été morcelés, mais on dirait que l’Aest dispose d’une force militaire considérablement bien trop élevée par rapport à ce qu’ils sont censés être. Surtout suite à la signature du Code Europan.
- Comment peuvent-ils avoir une armée pareille ?! C’est impossible ! S’exclama l’un des officiers militaires de la salle.
- J’y viens, reprit le Général Evans. Les provocations de notre Dictatrice n’ont pas été au goût de tout le monde et de nombreux autres pays ont décidé d’apporter leur soutien.
- En d’autres mots, l’espoir de se libérer de la tyrannie d’Europa qui remonte déjà à la signature du Code Europan leur interdisant d’avoir une armée et leur ordonnant de nous payer un tribut annuel, a amené à la formation d’une véritable coalition.
Les mots de la Conseillère Anu Elorante étaient justes et pleins de sagesse. Elle continua après une pause de quelques secondes.
- Ces pays utilisent la Dictature de Lina comme cassus belli, surtout le traitement de la Pologne suite à son invasion.
- Effectivement, dit fermement Evans. Quoi qu’il en soit, cette armée coalisée est assez puissante. L’armée d’Europa peut bien évidemment la vaincre mais ce serait une victoire pratiquement à la Pyrhus. De plus, rien ne garantie par une tentative d’un double front que pourraient ouvrir les pays à l’Est de la Zone Morte ou Sojusz. Nous ne pouvons pas déployer toute notre armée à l’Ouest du Territoire pour protéger les frontières maritimes.
- Notre armée navale est moyenne, soyons réalistes, et même si elle est technologiquement supérieure, les soldats n’ont pas d’expérience pour des combats maritimes. Nous ne pouvons pas intercepter cette armée en plein océan sans risquer de perdre énormément de troupes et de matériel.
C’étaient les mots d’un autre officier de l’armée, avec son uniforme maculé de gris anthracite, l’enseigne en or représentant Charybde à son cou signifiait qu’il appartenait à la navirauté. Les mots du Général Evans trottaient aussi dans mon esprit “une victoire à la Pyrhus”. Cela ne pouvait être acceptable, cela réduirait considérablement la puissance militaire d’Europa, dévoilant des faiblesses et des failles. Je m’exprimais alors.
- En effet. Ce ne serait pas bon du tout.
- Mais que faire alors ? S'exclama Adélaïde.
- Je n’ai pas d’autres solutions que d’envoyer un message fort à l’Aest, comme je l’ai fait avec la Pologne.
Un silence de mort s’abattit sur l’assemblée. Pendant quelques secondes, le temps fut comme suspendu, jusqu’à ce qu’une voix ressemblant à cette d’une jeune femme détruise à néant ce silence : “Tu comptes utiliser Jine_01 ?!”. Horus venait de sortir du rang et d’entrer dans la discussion, sans en avoir l’autorisation. Elle se fit naturellement réprimander sévèrement par le Consul Arcadia.
- C’est bon. Il y a des choses plus importantes que des questions de protocoles actuellement, Consul.
- Certe Dictatrice, mais ce comportement est indigne de notre Faucheuse et d’une militaire. Je devrais tout de même la punir.
Je vis Horus faire une grimace discrète et se replacer à côté de Redsky. Pour le reste, je ne pouvais rien faire, cela concernait sa relation avec sa hiérarchie, mais je savais que la punition ne serait pas terrible. Je pris tout de même le temps de répondre à son interrogation, en profitant pour expliquer mes choix à l’ensemble des personnes présentes.
- Je ne sais pas trop encore. Je voudrais voir la suite… Peut-être envoyer un premier avertissement pour les faire reculer me semble une bonne chose. S’ils n’abandonnent pas l’idée de nous attaquer, de nous faire la guerre, alors je devrais prendre les dispositions pour défendre Europa.
A ces mots, le Général Evans continua quelques minutes à faire son exposé, puis une séance de questions réponses s’ensuivit. Après une heure, la séance de discussion était levée, me permettant de retourner auprès d’Horus pour lui demande si elle allait bien et si sa punition ne serait pas trop dure. Visiblement et comme je le pensais, il ne s’agissait que d’une petite réprimande et de quelques jours d’entraînement supplémentaires. Rien de mauvais pour elle en soit si ce n’est la privation de temps libre avant d’être envoyée en mission.
Après cette réunion de crise, j’étais retournée à mon domicile. Après un bon repas chaud, une soirée de détente devant l’holo-écran à regarder un documentaire quelquonque et une bonne douche, j’étais partie me coucher, seule, dans mon grand lit. Cet appartement a beau être incroyablement spatieux, loin de ce que j’ai toujours connu toute ma vie, il est aussi terriblement vide. Je n’ai personne afin de partager ma vie, depuis la mort de Lucien. Je suis actuellement la personne la plus puissante du monde et pourtant je n’ai pas la chance d’avoir la douceur d’un époux ou d’une épouse, avec le rire de nos enfants qui jouent dans leur chambre et un animal de compagnie pour venir se caresser sur mes jambes. Je n’ai que le silence de la solitude. Je suis loin de mes parents, loin de ma soeur... Et c’est sur ces pensées amères que je trouve finalement le sommeil.
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