Prologue

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 Anton Avdeïev

Je vois ma femme qui tremble de peur alors que les bombes américaines pleuvent sur Moskva. Le sol tremble, les murs vibrent... les bouts de verre des fenêtres explosées au sol rappellent la violence du souffle de ces destructeurs de monde. Dans ses bras, notre enfant hurle et pleure... il est terrorisé.

 Je risque un coup d'oeil dehors, je vois la mort. Les rues sont détruites, les voitures calcinées, les cadavres déchiquetés. L'odeur est insoutenable, le paysage est brouillé par la fumée du chaos. Des ruines... les soldats ennemis marchent, ils rentrent dans les immeubles, sortent des civils afin de les exécuter. Il n'y a plus d'humanité, il n'y a plus de loyauté... juste de la haine.

 La guerre... cette sale guerre. Que pouvons-nous faire ? Les monstres de l'Ouest vont venir, ils vont nous tuer... ma femme, mon fils... moi. 2060, l'année de la fin du monde, de la fin de tout. Je les entends, ils viennent ! Ils vont nous prendre la vie, car cette guerre est lâche !

 Ne me regarde pas avec tes yeux en larmes Anastassiya ! Arrête, je ne veux pas te perdre... j'ai peur moi aussi. Ne rends pas ce moment plus difficile. Je dois y aller... je dois défendre ma famille. Je vais le faire, pour vous... pour vous !

 Je me lève, doucement. Tétanisé, je saisis mon arme... cette carabine ne fera jamais le poids face aux fusils rugissants de ceux à qui je vais faire face. De ceux contre qui je vais me battre, pour protéger les personnes à qui je tiens. Fuyez... et ne revenez jamais.

 Je m'avance vers l'entrée, en tournant doucement la poignée... jetant un dernier regard vers ma femme, mon fils... sans un mot. Jamais plus je ne vous verrai. J'ouvre la porte et sors, en la refermant derrière moi. Les soldats sont dans mon dos, prêts à tirer. Dans un dernier souffle... je me retourne... pour la Russie !

***

 Anastassiya Avdeïeva

Il n'est sans doute plus de ce monde à l'heure qu'il est. Ton père, je veux dire... Nicolas, mon enfant, mon tout petit... tu méritais de grandir dans un monde meilleur. Mais le destin en a décidé autrement.

 Mange, la nourriture est si rare de notre temps. Tu as besoin de manger.

 Nous nous sommes cachés parmi d'autres réfugiés. Ils ont fui Moscou, eux aussi. Mais pas la guerre. On ne peut pas fuir une guerre mondiale. Où que l'on soit, où que l'on aille, elle nous rattrape, nous trouve et nous tue. Sans aucune forme de procès.

 Notre fils aîné est parti au combat, il souhaitait se battre pour nous, pour sa nation. C'était bien avant que le conflit arrive à nos portes. Je fus prise de vertige lorsque nous avons reçu la lettre... cette lettre noire a changé nos vies. Et deux ans après, les bombes sont sur nous. Ils tuent des civils. Mais pourquoi leur en vouloir ? Les soldats de l'Est, les Rouge sang comme nous sommes nommés, cette alliance de divers pays dont bien d'anciens communistes, tuent tout autant de civils là-bas.

 Ce conflit est terrible.

  • Salut Anastassiya. Ton enfant va bien ? me lance Iéléna, une amie que je me suis faite ici.
  • Je dois le nourir, mais c'est devenu tellement difficile de trouver à manger, soupiré-je. Je dois me priver pour lui.
  • Je n'ai rien pour toi... je suis désolée... j'ai à peine de quoi survivre...
  • Je sais. C'est difficile... pourquoi c'est arrivé... pourquoi bon sang !

 Elle me regarde avec ses yeux marrons légèrement en amande, son visage est sale, ses cheveux bruns sont décoiffés, de la boue sur des mèches. La guerre laisse sa trace jusqu'à notre physique... voir bien plus, quand je vois les yeux de démence de certains réfugiés. Ils ont sans doute vu des atrocités, bien plus que nous. Ils voient l'enfer devant leurs yeux, il n'y a rien d'autre, la folie est maîtresse de l'âme de ces pauvres. Personne ne devrait vivre ça.

 Il y a eu tellement d'horreur. Tellement de cruauté.

 Le silence pèse, nous écoutons autour de nous, le bruit des pas, des chenilles des chars ennemis... rien. Il n'y a rien, et ça annonce le pire : un autre bombardement. Je me recroqueville, j'entourre mon enfant de mon corps. Le protéger, je n'ai que ça a faire dans cette guerre. Mon amie s'est réfugiée sous le pont, dans la petite "forteresse" que nous avons construit... notre refuge aussi solide que la Paix dans le monde, aussi sûr que de l'herbe sèche sur laquelle l'on dépose une cigarette. Cette même cigarette, celle qui a embrasé le monde, celle qui a détruit cette fragile Pax, elle a brûlé, elle a consommé... une petite chaleur inssipide, devenant une étincelle, une flamme, un incendie... l'Enfer lui-même. De rouge vêtue, la mort... le sang. Nous.

 Au loin une détonation se fait entendre, le bruit est abrutissant. Le sol tremble jusqu'ici. Nos ennemis sont des machines de morts. Nous perdons... non... l'Humanité perd. Elle va perdre. Deux millénaires à construire ce monde pour un conflit qui va le ravager en quelques temps : les deux guerres mondiales du XXè siècle ne sont rien comparé à celle-là... Des centaines de millions de morts, des villes rasées, un conflit planétaire au sens propre. Personne n'est épargné.

 J'entends un avion de chasse passer au-dessus de nous, il largue notre fin. Un dernier souffle... J'attends leur sifflement au-desus de nous, je ferme les yeux... puisses-tu survivre.

***

Nicolas Avdeïev

 Mon père. Ma mère. Vous n'êtes plus de ce monde depuis 27 ans. Nous sommes en 2090. La guerre se termine... Maman, tu m'as protégé des bombes ce jour-là. Des soldats russes vous ont trouvés dans les décombres quelques heures après le bombardement. Si je crois leurs histoires, vous étiez tous morts. Ils allaient partir lorsqu'ils ont entendus les pleurs d'un bébé sous des décombres. Ils sont allés voir, et m'ont trouvé dans tes bras. Tu étais morte, tuée par une pierre tombée sur le crâne. Je ne sais comment j'ai survécu... grâce à Dieu ? Grâce à toi.

 J'aurais aimé te connaître. J'aurais aimé connaître papa. J'ai lu ton carnet, celui que tu avais dans une de tes poches. Tu y raccontais jour pour jour les évènements, dans ton refuge... je suis désolé moi aussi.

 Les soldats m'ont dit qu'il fallait combattre pour la Russie. Le conflit dura encore des années... à 12 ans, ils m'ont mis un fusil dans les mains. Ils m'ont dit "tu es prêt". Alors, j'ai défendu la Russie. J'ai tué nos ennemis, j'ai vengé nos morts. Je t'ai vengé ! Mais pourquoi ? Tu n'es pas revenue pour autant. Ca n'a servit à rien, même si ces chiens t'on otés la vie... j'ai crée des orphelins.

 Tu as raison. La guerre détruit notre humanité, elle brouille nos idéaux. A mes yeux, nos ennemis sont des monstres et méritent la mort si je dois me défendre. Mais faut-il nécessairement allez toujours plus loin dans la haine et la violence ? Est-il nécessaire de détruire, tuer ? Qu'apporte la fin de l'innocence dans notre Histoire commune ? Rien... nos descandants seront honteux. Nous avons détruit l'espoir d'un avenir radieux.

 J'ai trouvé une fille à peine plus jeune que moi, quand j'étais à l'armée, nous combattions côte à côte dans les rues de Moskva, sans nous connaître. On a survécus tous les deux à cette journée, et nous avons fait connaissance au fil des autres journées qui n'avaient pas encore mis fin à nos vies. Je n'avais que seize ans, mais dans la guerre, l'amour n'a pas d'âge. Chaque jour il n'y aura sans doute pas de demain. Alors nous n'avons pas attendu... et un matin, elle est venue me voir, la mine triste, les yeux vers le sol pour articuler doucement ces mots qui se répercutent encore en moi aujourd'hui, et me font tressaillir de crainte : je suis enceinte.

 Comment pouvais-je assumer d'être père ? Je n'avais que dix-sept ans, et j'étais encore un "soldat", ou disons plutôt une dernière chance pour la Russie.

 Alors, j'ai pris l'un de ses mains, et du bout des doigts j'ai redressé son menton pour que son visage, son regard, croise le miens. Je lui ai demandé : mais comment pouvons-nous faire ? Tu ne peux pas te battre enceinte. Il sera peut-être orphelin, ou peut-être qu'il ne me connaitra jamais. Comme je n'ai jamais connu mes parents...

 Elle m'a fait un sourire encore gravé dans ma mémoire. La plus belle chose que j'ai vue depuis des années, les dessin de ses lèvres et son bisous. Elle m'a répondue qu'elle quitte l'armée, qu'elle va s'en aller le plus loin possible de Moscou, le plus loin possible de la guerre et des ennemis.

 Alors, pendant des années, je me suis retrouvé seul à nouveau. Nos communications étaient rares, et il a fallut que j'attende pendant douze ans pour la revoir face à moi. Elle a grandit, et moi aussi. Nous avons désormais presque la trentaine. Nous avons vécu et survécu à la guerre. Notre enfant à douze ans, il voit son père pour la première fois.

 Maman. Papa. Je ne vous ai connu que deux ans. Ce n'est pas assez pour m'en souvenir. Mais avec lui, je vous le promet... la lignée des Avdeïev continue sa route, et pourra dire : j'ai combattu pour ma nation.

Nicolas Avdeïev.

2090.

***

Mardi 11 Août 2201 à 15:21.

Russie, Oblast d'Astrakhan, ville d'Astrakhan.

  • C'est une fille Madame, comment souhaitez-vous l'appeller ?
  • Lina. Lina Avdeïeva.
  • C'est un joli prénom. Dis bonjour à ta maman Lina.

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