La maison cessa de vibrer quand la tempête s'éloigna de Rum Cay. Le ciel gris se déchira et le Soleil réapparut. Les cocotiers dodelinaient dans les dernières rafales.

 " C'était un ouragan, papy ?

 - Non, pas tout à fait. Mais c'est déjà impressionnant, hein ?

 - Ouais. C'était quoi le plus fort que tu aies vécu ?

 - D'emblée, je penserais à celui de 1912. Je devais avoir à peu près ton âge. Celui de la Fête du travail en 35 aussi a tapé fort. Allez, viens, Richie, on va faire un tour jusqu'à la plage.

 - Merrill, il est hors de question que tu emmènes le petit là-bas, il y a encore de la houle.

 - On ira seulement à Catfish Bay, Estelle. Ne t'inquiète pas.

 - Vous êtes deux belles têtes de bois à braver la tempête comme ça. "

Elle glissa deux Dr Pepper's et deux parts de tarte aux noix de pécan dans la besace de Papy. Elle nous suivit du regard jusqu'à ce que nous disparaissions au coin de la rue.

 " Mamie est inquiète ?

 - Elle n'aime pas les ouragans, elle en a peur.

 - Pas toi ?

 - Si mais ils me fascinent encore plus. "

Je n'avais jamais vu ainsi la crique où nous pêchions avec mon grand-père. D'habitude turquoises et indolentes, les eaux roulaient aujourd'hui grises et agitées. La plage était jonchée de laisses de mer, de nappes d'algues, de fétus de palmiers, d'objets hétéroclites d'origine humaine. Sur le sable apparent, brillaient les reflets de milliers de coquillages.

J'adorais fouiller dans les trésors déposés par la Grande Bleue. Mon imaginaire, stimulé par les histoires de mon grand-père, trouve une partie de ses racines dans ces chasses. Papy récupérait de vieux bidons pour son jardin, des morceaux de bois flottés pour son atelier.

Une averse arriva, la pluie claquait sur nos cirés. Le monde perdit de sa beauté ensoleillée. Le lagon prit des teintes d'argent. J'allais rejoindre Papy quand une masse sombre aux formes saillantes et régulières attira mon attention.

Un coffre de bois gondolé par l'humidité mais tout à fait reconnaissable. Je me dirigeai vers ma trouvaille quand ma botte heurta quelque chose d'enterré dans le sable.

Une bouteille de verre dont je ne voyais que le goulot. Fermée par un bouchon de cire. Du pied, je la dégageai. Elle n'était pas cassée.

À travers la matière brune, presque noire, je distinguai une forme grise et fine. Comme un rouleau de papier qui jouait avec la lumière.

 " Papy ? J'ai trouvé quelque chose.

 - Montre-moi ça. "

Il regarda l'intérieur à la lumière du jour. Des reflets d'ambre s'étalaient sur sa barbe.

 " À sa forme, je peux déjà dire que cette bouteille a bien plus de cent ans. Un miracle qu'elle soit arrivée là sans encombre. Et dedans, on dirait dit un parchemin ou du vieux papier. C'est peut-être la carte au trésor d'un pirate. Il est possible que ce coffre ait voyagé avec.

 - Trop cool !

 - À l'aventure, moussaillon ! Le trésor d'Achab le Noir est à nous !

 - Wouhou ! " criai-je à la gueule des vagues.

Papy rigola, ses yeux bleus brillaient d'une malice toute enfantine. De son canif, il coupa la cire rouge et tapota le cul de la bouteille. Il essuya ses doigts pleins de sable sur sa chemise et déroula avec délicatesse le rouleau couleur crème.

 " Alors, qu'est-ce qu'il y a d'écrit ?

 - Patience, moussaillon, patience. On dirait de l'espagnol ancien.

 - Tu sais le lire ?

 - Le moderne, oui. Mais celui de cette époque, pas sûr. On va essayer. "

Je ne saisis que quelques bribes de ce qu'il lut. Hispaniola, Santa Rosas.

Quand il eut fini, il leva les yeux vers l'océan. La lueur rieuse était toujours là mais elle semblait tournée vers le lointain, au-delà de l'horizon. Il resta silencieux un instant, mon cœur battait fort. Puis il se tourna vers moi :

 " Je crois comprendre d'où vient cette bouteille à la mer, Richie. Il est temps de boire ces Dr Pepper's. Tu as déjà entendu parler du Grand Ouragan de 1780 ? "