Un petit saut pour l'homme...

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Comment suis-je arrivé ici ?

C’est la question que se pose John Spitz, assis par terre en tailleur en regardant autour de lui. Cet endroit il le connait par cœur, il en rêve souvent. C’est le sommet de l’ancien pas de tir de Cap-Canaveral. Celui où il aurait embarqué pour son voyage vers la lune si le programme spatial n’avait pas été annulé quelques semaines avant son départ. Ces dernières années, il avait à maintes reprises franchi, à la tombée du jour, le périmètre entourant cette grande tour en ruine pour venir ressasser son passé en observant l’astre de la nuit. Mais cette fois-ci, il ne se rappelle pas avoir traversé les hautes clôtures qui ceinturent ce site ni d’avoir emprunté l’interminable escalier qui mène ici.

Cet endroit ne fait plus partie des priorités de la NASA depuis qu’ils ont décidé de sous-traiter les lancements de leurs explorations à des entreprises privées. Même la technologie utilisée il y a trente ans, pour placer les fusées en orbite, ne vaut plus rien aujourd’hui en 2057. Cette tour n’est plus qu’un danger pour ceux qui s’en approchent. La NASA ne l’a pas démolie, car la réhabilitation écologique de ce site représente un budget bien trop imposant. Les résidus des divers propulseurs et fluides réfrigérants dispersés ici rendent cette opération hors de prix dans ce monde obnubilé par la préservation de l’environnement. L’agence a donc décidé de conserver cet endroit clos et gardé en attendant de trouver une meilleure solution.

Lorsque son passé vient le torturer, John profite souvent de l’obscurité pour monter sur cette tour et lancer un regard plein de regrets en direction du ciel nocturne. Il avait failli s’affranchir de la gravité terrienne pour aller visiter les étoiles, mais était resté cloué sur le plancher des vaches. Ou pire, confiné dans la station spatiale internationale à tourner en orbite. Si près de son objectif, mais si loin en même temps. Ces longues années d’études, tous ces sacrifices destinés à lui assurer une place dans la conquête de l'espace n’avaient compté pour rien. L’humanité avait brusquement décidé de laisser des robots explorer l’univers à leur place et John avait fini sa carrière comme formateur. Un ratage qui l’avait poussé vers un des abus d'alcool dont il avait enfin réussi à s’affranchir, il y a quinze ans. Depuis cette époque, il préférait substituer ce pèlerinage plein de nostalgie à la boisson. C’était bien plus efficace que n’importe quelle séance chez les alcooliques anonymes et bien meilleur pour sa santé. Ce trou de mémoire lui rappelle ces sombres années de désespérance. Pourtant il ne se sent pas ivre.

Est-ce que je suis en train de perdre la boule ?

À la retraite de bonne heure comme tous les astronautes, John a fini par assouvir son « besoin d’ailleurs » en pratiquant le surf. Une hygiène de vie sportive qui lui permet d’être bien plus « en forme » que les autres hommes de son âge. À 56 ans, il arbore une apparence musclée de vieux baroudeur barbu aux cheveux gris hirsutes faisant autorité sur les plages. Mais l'activité physique ne lui garantit pas d’être à l’abri des maladies neurodégénératives. En cherchant dans sa mémoire une explication sur sa présence ici, seul un grand blanc semble répondre à ses interrogations. Il essaye de remonter mentalement dans le temps à la recherche du premier souvenir qui lui revient. C’était hier après-midi. Comme toujours, tout avait commencé devant le placard de sa chambre en regardant sa combinaison spatiale pendue à un cintre.

Cette combinaison, c’est tout ce qui lui reste de sa vie d’astronaute. Un bibelot encombrant qui devrait normalement être stocké dans une malle, dans les combles de sa petite maison. Mais John a toujours préféré la laisser au milieu de ses affaires de tous les jours. Comme s’il lui suffisait de répondre à un coup de fil et de s’en équiper pour partir dans l’espace. Ce serait si facile… Pourtant John s’est fait une existence bien remplie d’éternel vacancier fréquentant les plus beaux spots de surf à travers le monde, à la recherche de la vague parfaite. Un dépaysement garanti de couleurs lagon et liberté. Une vie pleine d’amis, de rencontres et de jolies femmes. Même si elles sont un peu trop jeunes pour un vieux briscard dans son genre, il sort souvent gagnant du tiercé : intellectuel, surfeur et astronaute. Il aime méditer sur le sable en regardant les rouleaux avant de monter sur sa planche comme on dompte un cheval. S’il ne participe pas au circuit des championnats, il a eu l’occasion d’être l’objet d’articles dans des magazines spécialisés où il a récolté le surnom de « Guerrier mystique ». Ce succès, cette retraite très active auraient dû l’empêcher de penser au passé. Mais cet après-midi, il vient de douloureusement se rappeler à lui en le noyant sous une vague de nostalgie impossible à maitriser, quelle que soit la durée de son introspection.

Avachi sur son lit comme un jouet brisé, il regarde longuement le placard et cette combinaison de malheur. John se souvient qu’à l’exception de quelques missions de réparation de la station spatiale internationale effectuées par les Russes, plus personne ne fabrique des fusées habitables. Où serait-il susceptible de trouver un siège pour partir vers la lune ? Même s’il était en parfait état de fonctionnement, cet équipement a sa place dans un musée.

Un musée, n’est-ce pas l’endroit où je devrais finir mes jours, empaillé comme l’une de ces espèces disparues ?

— Mesdames et messieurs, je vous présente John Spitz, le dernier des astronautes de l’âge des pionniers. Un homme qui avait décidé d’exercer son métier dans des conditions extrêmement dangereuses. Aujourd’hui, il n’est plus besoin d’un entrainement physique et intellectuel poussé ou de monter à bord d’une fusée expérimentale hautement explosive. Pour explorer l’espace, il vous suffit de trouver un siège confortable et de vous connecter au robot qui voyagera à votre place. Depuis l’invention du lien cognitif, qui aurait l’envie de risquer sa vie pour faire avancer la science, n’est-ce pas ?

John savait par avance où ces réflexions allaient le mener. Il se rappellerait qu’il faisait partie des rares humains ne pouvant utiliser cette technologie à cause de sa configuration cervicale. Il ne pouvait donc pas profiter de ce voyage, même virtuellement. Il se mettrait à ressasser son passé et, malgré plus de quinze ans d’abstinence, finirait par rechercher la fiole qui pourrait lui apporter l'oubli. Avant de commencer à planifier sa soirée pour parcourir les 65 miles qui le séparent de Cap Canaveral, il se décide à téléphoner à Matthew pour voir s’il n’a pas envie de parler du « bon vieux temps » entre deux cocktails sans alcool.

Matthew est comme lui, l’un des anciens employés de la NASA à la retraite. John n’avait pas eu l’occasion de fréquenter cet astrophysicien pendant sa vie active, mais des circonstances étranges les avaient réunis lorsqu’ils affrontaient tous les deux une chimiothérapie consécutive à un cancer. Des années de beuveries leur avaient, à tous deux, démoli le foie et ils s’étaient rencontrés à plusieurs reprises à l’hôpital. À force de se côtoyer, ils s’étaient trouvé des points communs et une solide amitié était née.

Comme d’habitude, Matthew n’était pas venu les mains vides. Si John ne consomme plus d’alcool, il fume parfois de la marijuana. De médical, son usage de l’herbe est devenu ludique et il partage souvent, avec son ami, ce type de moment où l’on se met à refaire le monde entre deux joints. Cette soirée de printemps était plutôt tempérée et les deux hommes l’ont passée sur la terrasse, au bord du lac à l’arrière de la maison de John, à regarder la nuit tomber doucement.

— Tu vois, c’est dans ces instants-là que l’on se rend compte que nous ne sommes rien dans l’univers, dit Matthew.

— C’est encore ton métier d’astrophysicien qui te pousse à dire ça mec, rétorque John.

— Oui, c’est vrai. Là où monsieur tout le monde aperçoit des lumières scintillantes, je visualise des distances. Des siècles ou des millénaires qui ont vu ces lumières voyager jusqu’à nous. Quand j’observe cette belle nuit étoilée, je mesure, en comparaison, le bon moment que nous passons ensemble et le trouve si fugace.

— Si fugace, mais d’autant plus agréable en ta compagnie, répond John en levant son verre pour porter un toast. À la fugacité de nos vies et à la grandeur de l’espace !

— Oh misère. Dire que je suis venu pour te remonter le moral. Je crois que je suis le plus exécrable des amis.

— Ça ne fait rien, tu es quand même accompagné par ce qu'il faut pour rendre ce moment fun et inoubliable. Allez, fais tourner !

John se saisit du joint que son invité lui tend et enchaine une brève aspiration suivie d’une longue expiration, laissant échapper une fumée immobile. Il regarde la lueur des étoiles qui se reflète dans les mouvements de l’eau du lac. Il ferme les yeux pour profiter de cet instant de calme absolu.

— En fait, je n’ai pas la même vision que toi de l’univers. Nous n'en avons jamais discuté, mais lors de mon second voyage en orbite, j’ai eu une sorte d’expérience mystique.

— Ho ho, les médecins du centre ont dû adorer t'entendre la décrire, à ton retour de mission.

— Quel con, répond John en s’esclaffant doucement ! Bien entendu, je n’ai rien dit. Tu imagines comme ça les aurait mis en transe. En fait, c’est la première fois que j’en parle à quelqu’un. Je l’avais presque oubliée.

— Je suis flatté d’être ton confident. Je te préviens tout de suite, si tu évoques des petits hommes verts ou une divinité à tête d’éléphant qui s’est mise brusquement à discuter avec toi, je préfère que tu te taises.

— Non, ce n’est pas ça. Tu peux être sérieux quelques minutes ?

— Oui, excuse-moi, je t’écoute.

— Tu sais combien j’aime contempler les étoiles en me vidant l'esprit. Je les observais du hublot de la station spatiale au-dessus de notre planète. Là-haut, elles sont magnifiques. Je me concentrais sur l’une d’elles, justement en réfléchissant à tout ce que tu viens d’évoquer, la distance et tout ça. Mais en la regardant, elle paraissait si proche. J’étais enfermé dans un véhicule orbital et je me disais que je pourrais voyager jusqu'à elle en mettant les fusées en route.

— Techniquement, la station spatiale n’a rien d’un moyen de transport et les réacteurs ne pourraient pas…

— Je sais tout cela, pourtant j’avais l’impression que je pouvais aisément me mouvoir jusqu’à cette étoile... Et puis c’est arrivé !

— ??

— Je l'ai vue bondir vers moi. Je pouvais me déplacer à travers l’espace jusqu’à elle, elle devenait progressivement plus brillante. Je sentais qu’il me suffisait de l’atteindre par la pensée pour pouvoir la rejoindre en voyageant. La configuration stellaire me semblait de plus en plus étrange et inconnue, mais je pouvais quand même me diriger vers elle. Je n’étais plus un grain de poussière insignifiant par rapport à la galaxie, mais une énergie pouvant s’étendre dans le continuum spatiotemporel aussi loin que ma vue peut porter.

— Whaah ! Je ne sais pas ce que tu avais pris, mais c’était surement une excellente came.

— Tu te rappelles qu’on était monitorés et qu’il nous était impossible de boire même une goutte d’alcool.

— Oui, je sais, excuse-moi de t’avoir coupé. Et alors ?

— Rien, je me déplaçais par la pensée vers cet astre qui luisait de plus en plus, au point d’en être éblouissant, et puis il a disparu brusquement. Lorsque j'examinais le ciel dans sa direction, je ne rencontrais que le vide. D’un seul coup, je me suis retrouvé dans la station spatiale en train de rêvasser en contemplant la voute céleste à travers le hublot. L’étoile était de nouveau visible dans un firmament connu et mon voyage mental n’avait duré que quelques instants, trop bref pour être capté par les moniteurs.

— C’était quelle étoile ?

— Je ne m’en rappelle plus. Avec ma formation, j’aurais dû savoir la situer, mais quelques moments après cet épisode, lorsque je la cherchais du regard, je n’arrivais plus à la localiser précisément. Comme si elle avait été effacée de ma mémoire. J’ai rapidement oublié cet incident et si tu n’avais pas évoqué, ce soir, les dimensions de l’espace, je ne m’en serais pas souvenu.

— C’était peut-être un astre mort.

— Quoi ?

— L’étoile qui a disparu lorsque tu t’es approché d’elle. Elle fait peut-être partie de ces étoiles dont la lumière est toujours visible dans notre ciel, mais qui s'est éteinte il y a des siècles ?

— Je ne pourrais pas le dire. Mais tu crois à mon histoire ?

— Je ne sais pas si c’était un véritable voyage, mais tu as l’air d’avoir expérimenté quelque chose qui t’a marqué… Bon, ne t’endors pas sur le joint, fait passer…

Une heure après le départ de Matthew, John était de retour dans sa chambre à observer sa combinaison. Il était couché dans la pénombre tentant de trouver le sommeil. Il regardait, toujours en direction du placard, la manche de ce vêtement se fondant dans l’obscurité. L’heure était trop tardive pour entamer un voyage vers Cap Canaveral, mais le pas de tir semblait pourtant l’attirer à lui comme un trou noir.

J’étais destiné à marcher sur la lune, le second programme d’alunissage devait m’y emmener. Pourquoi l’Homme a-t-il renoncé à visiter l’espace ?

Décidément, les démons du passé sont résolus à menacer son sommeil. John choisit donc d’utiliser le dernier recours face aux troubles qui tentent parfois de l’assaillir. Une méthode qu’il pratique sur la plage au petit matin pour visualiser son prochain affrontement avec les vagues : la méditation.

Il se lève lentement et se dirige vers le salon qu’il traverse pour sortir sur la terrasse donnant sur le lac. Les planches de bois sont froides et légèrement humides, mais feront l’affaire pour s’assoir en tailleur. Il se concentre sur sa respiration et laisse les battements de son cœur ralentir doucement. Il vide son esprit qui se met à vagabonder mollement d’une pensée à une autre et… Quand il ouvre les yeux, le sol est devenu métallique et il se trouve au sommet du pas de tir de Cap Canaveral. Il n’a pas pu s’empêcher de venir ici, mais ne se rappelle plus comment il l'a fait.

Pour une fois, il est heureux que les gardes du site interviennent pour le chasser du sommet de la tour, à peine une heure plus tard. Mais le mystère s’épaissit lorsque John ne retrouve pas sa voiture à l’endroit où il la gare habituellement. À force de les rencontrer, il a fini par sympathiser avec Manuel, l’un des surveillants qui n’habite pas très loin de chez lui. Il accepte de le ramener à la maison.

En approchant de chez lui en début de matinée, John voit que sa rue est fermée par des barrières de police et des camions de pompiers. Manuel le dépose juste devant le barrage. Son cœur se met à battre à tout rompre lorsqu’il se rend compte que son logis est l’épicentre de toute cette effervescence. Sa maison en bois semble avoir explosé. Si l’avant du bâtiment face à la rue est toujours debout. L’arrière du côté du lac a été pulvérisé.

— Mais que s’est-il passé ? interroge John, en s’adressant à un pompier qui donne des instructions aux troupes en présence. C’est mon domicile, j’étais absent et je viens juste de rentrer.

— Vous êtes John Spitz ? C’est plutôt à moi de vous demander ce que vous fabriquez ici. Il y a eu une explosion qui a soufflé les deux tiers de ce bâtiment, mais aucune trace de combustion ou d’explosif. Les seules cendres qui sont répandues sont celles de votre barbecue. Vous n’avez pas un autre modèle fonctionnant au butane ?

— Je n’aime pas ça. J’ai été victime d’une intoxication avec un radiateur à gaz quand j’étais enfant. Même ma cuisinière est électrique.

— Vous n’aviez pas des bouteilles pour la plongée ou pour faire de la soudure ?

— Non. Rien de tout cela.

— Pour l’instant, cet accident est incompréhensible. Tant que l’on ne trouvera pas une explication plausible, j’ai bien peur de devoir mettre cette maison sous scellés pour l’enquête. Si vous voulez récupérer quelques affaires personnelles, je peux vous attribuer un de mes collègues pour vous guider.

Sa chambre a été miraculeusement épargnée par l’explosion, John peut y prendre quelques vêtements et les entasser dans un sac de sport. Quand il se saisit de sa combinaison spatiale, le pompier qui l’accompagne réagit.

— C’est une vraie ?

— Oui jeune homme. Ce n’est pas un costume. Je l’ai portée lors de ma dernière mission dans l’espace en 2025.

— Vous avez été astronaute, répond l’individu avec un ton admiratif. C’est une sacrée aventure. Mais, il n’y a pas des réservoirs d’oxygène ou d’autres gaz là-dedans ?

— Normalement, c’est inclus dans une sorte de grosse valise comprenant les systèmes de survie, les dispositifs climatiques et de retraitement des déjections que l’on accroche dans notre dos pour les sorties extravéhiculaires. Mais je n’ai jamais possédé ce matériel qui est resté la propriété de la NASA. Je n’ai récupéré que la combinaison.

— Vous êtes sûr qu’il n’y a rien de potentiellement explosif là-dedans ?

— Absolument certain. C’est même l’une des priorités du cahier des charges qui a défini la création de cet équipement. Vous pouvez imaginer que sur une station en orbite les risques sont bien encadrés. S’il vous plait, j’y tiens beaucoup, c’est tout ce qu’il me reste de ma vie d’astronaute.

— OK, je pense que je peux vous laisser l’emporter. De toute façon, l’explosion s’est passée de l’autre côté du bâtiment…

John avait donc entassé dans son véhicule, garé devant sa maison, le sac avec ses affaires et sa combinaison spatiale. D’ailleurs, la présence de ce véhicule réveille de nouveau des interrogations :

Si je n’ai pas utilisé ma voiture, qui m’a emmené à Cap Canaveral ? Il faut que je voie Matthew. Il se rappellera peut-être de quelque chose.

Après avoir contacté son assureur, John a donné rendez-vous à Matthew sur le parking d’un drugstore se situant à proximité de sa résidence. L’astrophysicien gare son véhicule à côté du sien et s’assoit devant, sur le siège passager.

— Si je comprends bien tu ne te souviens plus de ce qu’il s’est passé hier soir. On n’a pas fumé à ce point, si ?

— Je me rappelle que tu es parti vers…

— Trois heures du matin. Tu avais l’air détendu, mais pas dans les vapes. Qu’est-ce que tu as fait ensuite ?

— Je n’arrivais pas à m'endormir, alors je suis allé méditer sur la terrasse. C’est là que ça se complique. Je me suis réveillé à Cap Canaveral où j’ai été repéré par la patrouille à 5 h 30. Je le sais parce qu’ils consignent cette heure dans un cahier au poste de garde avant de te mettre dehors. Je n’ai pas trouvé ma voiture à l’endroit où je la gare d’habitude, et l’un des gardiens m’a raccompagné chez-moi.

— OK, c’est là que je n’ai pas bien compris ce que tu m’as dit au téléphone. Qu’est-ce qui s'est produit chez toi ?

— Elle a été pulvérisée, Matthew. En arrivant vers 9 h, j’ai découvert que la police et les pompiers étaient sur place. La moitié de mon foyer a été balayée par le souffle d’une explosion qui semble, a priori, énigmatique.

— Tu as été blessé, c’est pour ça que tu ne te rappelles plus ce qu’il s’est passé. C’est tout à fait normal. Sonné par l'accident, tu t’es réfugié dans le premier endroit dont tu te souvenais.

— Oui, c’est une thèse plausible. Mais ça n’explique pas tout. Je ne suis pas commotionné, je n’ai aucune trace qui pourrait provenir d’un quelconque incident. Si tu es parti à 3 h, comment ai-je eu le temps de voyager jusqu'à Cap Canaveral ? En voiture, il y en a pour au moins deux heures et demie. Plus trois bons quarts d’heure pour arriver à la tour et monter au sommet. Soit tu m'as quitté vers 23 h 30 et tout s’explique. Soit, tu es effectivement rentré chez toi vers trois heures et dans ce cas il m’était impossible d’aller sur le pas de tir pour y être arrêté vers 5 h 30. D’autant plus que je me rappelle avoir lutté au moins une heure pour chasser le sommeil avant d’aller méditer. Et en plus, je n’aurais pas pris ma voiture qui est restée devant la maison.

— C’est vrai que c’est troublant mec. Soit tu as trouvé le secret du voyage dans le temps soit c’est moi qui perds la boule et je suis parti plus tôt de chez toi. Mais pourquoi, tu n’as pas réussi à t’endormir ?

— Tu sais. Toujours les mêmes vieux trucs. J’aurais dû planifier mon prochain déplacement pour Hawaï et tout oublier comme d’habitude. Mais cette fois-ci, mon cerveau tournait en boucle sur l’expérience mystique que j'ai évoquée. Quand tu m’as parlé de l’étoile morte, d’un seul coup, j’ai eu l’impression de comprendre des choses. Je n’arrivais pas à m’ôter de l’esprit que je pourrais tenter de voyager vers la lune autrement.

— Quand tu as tenté de méditer, c’est à ça que tu pensais ?

— Oui, j’ai voulu faire le vide dans ma tête, mais je n’ai pas pu repousser cette idée qui s’imposait subtilement.

— Tu as songé aussi à la tour du pas de tir ?

— Comment le sais-tu ?

— Si ce n’est pas toi qui deviens fou, j’ai l’impression d’être également un bon candidat. J’ai peut-être une explication, mais j’ai bien peur que tu ne la trouves complètement démente. Je la trouve délirante et en fait tous mes confrères la trouveraient totalement improbable…

— Que veux-tu dire ?

— Je pense que tu as peut-être trouvé un moyen de voyager instantanément d’un point A à un point B en utilisant ton esprit.

— De la téléportation ? Tu crois que je me suis transporté par magie sur le pas de tir ?

— Parle-moi encore de ton exploration mentale vers cette étoile morte sur la station. N’aurais-tu pas cherché à renouveler l’expérience en choisissant une destination que tu sais toujours existante ? Un endroit que tu connais par cœur pour y être souvent allé ?

— Matthew, tu n’es pas en train de me prêter des pouvoirs surhumains. Ce n’est plus de la science, mais de la fiction, tu es au courant ?

— Tu veux dire que tu ne t'es pas efforcé de retrouver l’état d’esprit dans lequel tu étais ce fameux jour sur la station ?

— Je n’ai pas dit ça. Si la téléportation était possible, ce serait effectivement une bonne explication. Mais personne n’a jamais…

— Détrompe-toi John, il existe des cas historiques où des individus ont été aperçus à deux endroits à la fois. N’est-ce pas une tentative de voyage mental qui aurait été avortée, qui n’aurait pas été menée à son terme ?

— L'histoire d’Émilie Sagée est une pure œuvre de fiction, Matthew. C’est prouvé. C’est un canular monté par la baronne…

— Il existe des occurrences référencées par le Vatican, John, comme celui du Padre Pio. Tu sais combien ils sont scrupuleux sur leurs enquêtes avant de crier au miracle. La bilocation, l’ubiquité, les doppelgänger ne sont-ils pas en premier lieu une sorte de voyage de l’esprit...

— Matthew, j’apprécie immensément ton sens de l’humour, mais je préfère quand tu parles comme un scientifique. Tu sais, celui qui a été embauché par la NASA.

— En fait John, il se pourrait que la physique quantique puisse justement expliquer ce phénomène. Pas seulement ton déplacement, mais également l’explosion qui a ravagé ton logis. Si tu peux renouveler cette méditation voyageuse, tu pourrais peut-être même faire avancer la recherche sur ce sujet d’une façon impressionnante. Il se pourrait que les théoriciens se soient trompés sur la physique quantique depuis le début.

— Holà, je vois se pointer le bon vieux débat sur l’influence de la pensée magique dans l’équation expérientielle. C’est un serpent de mer évoqué par ceux qui n’ont rien compris à l'hypothèse scientifique ou les théologiens qui la rejettent. Mais pourquoi ma maison aurait-elle explosé si j’avais vraiment réussi un saut quantique ?

— Justement parce qu’il existe à coup sûr, un delta entre la théorie et la pratique. Imaginons que tu puisses réunir les conditions te permettant de courber l’espace et le temps. Le point de conjonction entre ces deux coordonnées spatiotemporelles est susceptible de laisser passer de la matière ou de la compresser. Voire même de concrétiser une part de cette fameuse masse manquante qui créerait un effet de souffle en s’immisçant dans notre continuum. Si ma théorie est exacte, c’est un phénomène collatéral à ton saut quantique qui aurait endommagé ton domicile.

— Mais c’est impossible. Même si j’avais pu computer mentalement ce déplacement instantané, comment aurais-je pu emmagasiner l’énergie nécessaire à cette téléportation sans aucun appareillage ?

— Je n’en sais rien. J’imagine que cette énergie est exogène à notre univers. C’est pour cette raison que j’ai parlé de la masse manquante. C’est peut-être elle qui a généré l’explosion.

— Matthew, je suis d'accord avec toi. Tu délires complètement. On n’est pas dans une histoire de science-fiction.

— C'est vrai. En fait, la seule chose qui pourra nous le dire, c’est si tu es capable de renouveler ce déplacement instantané ou pas. Pour en avoir le cœur net et tenter de théoriser ce phénomène de façon sérieuse, il va falloir le rendre reproductible. Nous allons devoir observer de près tes prochains sauts avec un appareillage adapté.

— Mes prochains sauts ?

— John, avec n’importe qui, j’aurais eu des doutes sur sa volonté de recommencer cette expérience. C’est nouveau, dangereux et très aléatoire. Mais, tu n’es pas n’importe qui et je sais que tu es prêt à risquer l’aventure. Je suis même sûr que tu as déjà choisi où va te mener ta prochaine méditation.

Ho oui, John avait trouvé la destination de son futur voyage.

— Il est grand temps que je remette cette combinaison, dit-il en indiquant du pouce son équipement sur la banquette arrière de son véhicule. Je crois que je vais bientôt passer des vacances sur la Lune !

Lisez la suite de cette nouvelle "... Un bond de géant pour le genre humain" ici : https://www.scribay.com/text/1821595357/les-chroniques-de-personae/chapter/449560

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